Walter Pauli

L’exténuante campagne de Bart De Wever

Walter Pauli Walter Pauli est journaliste au Knack.

Si Bart De Wever ne devient pas incontournable après les élections de 2014, il valsera dans l’opposition partout.

Il y a quelques mois, un parlementaire N-VA m’a dit, comme si c’était une évidence : « Bien sûr qu’au soir du 14 octobre 2012 la campagne de 2014 a déjà commencé ». Apparemment, la ruée sur le pays a débuté le jour de l’éclatante victoire aux élections communales (anversoises). Et cela a été le cas, vu l’allure hyperrapide avec laquelle Bart De Wever et les siens font l’actualité ou s’y retrouvent depuis. Et c’est la règle de toutes les campagnes : la visibilité permanente. Ils vont devoir tenir encore pendant seize mois.

Parce que souvent les membres de la N-VA « font » l’actualité eux-mêmes. Prenez la bulle d’actualité de ces derniers jours. Personne n’a obligé les membres de la N-VA Jan Jambon et Peter Dedecker à porter plainte contre les pratiques illégales de la comptabilité ACW. Personne n’a obligé Sarah Smeyers (N-VA) à déclarer que les antirétroviraux ne tombent pas sous l’aide médicale urgente et que pour elle les CPAS ne doivent pas les rembourser aux sans-papiers. Personne n’a tordu le bras à Bart De Wever pour que dans une interview avec le journal néerlandais NRC Handelsblad, il lance une pique aux chrétiens-démocrates et libéraux flamands, tout de même ses deux partenaires de coalition à Anvers. Ce n’est donc la faute de personne, sinon d’eux-mêmes, si les nationalistes se retrouvent si souvent dans l’actualité.

La question est de savoir si cette stratégie est bonne ou mauvaise pour la N-VA, et donc bonne ou mauvaise pour les autres partis. Johan Vande Lanotte semblait penser : « mauvaise pour nous », et a décidé de ne plus parler de la N-VA. Ses propos ont déjà été cités plus souvent que tous ses autres propos rassemblés. La N-VA reste branchée.

L’attaque contre la comptabilité de l’ACW a touché le mouvement chrétien ouvrier au coeur. Mais la N-VA a été plus loin que d’autres. Le rédacteur en chef de Trends, Johan Van Overtveldt, n’a jamais déclaré que l’ACW se rendait coupable de pratiques criminelles, il s’est interrogé sur la « morale politique » d’un nombre de constructions et d’opérations. Dedecker n’a pas eu cette réserve. Résultat, l’ACW menace de porter plainte pour diffamation contre Peter Dedecker et/ou la N-VA. Reste à voir si l’ACW en arrivera à cette extrémité. Cependant, il en découle que le débat politique c’est rapidement « criminalisé » ou en tout cas « juridisé ». La question se pose : la N-VA a-t-elle évalué les conséquences d’une telle stratégie?

Le soussigné n’appartient pas aux privilégiés ayant accès aux cénacles du mouvement ouvrier chrétien. Mais connaissant un peu l’ACW, Bart De Wever n’a plus qu’à obtenir une majorité absolue en 2014 ou devenir vraiment incontournable. Nous osons parier quelques billets d’euros que, dans l’autre cas, la N-VA se retrouvera dans l’opposition partout et à tous les niveaux. Le mouvement chrétien ouvrier s’en occupera. Dans les années quatre-vingt, l’irritation suscitée par le jeune Verhofstadt auprès de l’assemblée ACW, n’était pas moitié assez vive que la fureur et la stupéfaction engendrées par la dernière attaque de la N-VA. Même si le CD&V n’est plus depuis longtemps ce qu’était le CVP à l’époque, l’ACW reste l’ACW. Un facteur de pouvoir avec lequel il ne vaut mieux pas jouer.

Et bien sûr: qui critique, doit pouvoir supporter les critiques. Qui critique vivement, et souvent et avec avidité, ne doit pas pleurnicher quand a lieu le retour du bâton donné avec la même régularité, empressement et précision. Bart De Wever ne doit donc pas prendre des airs dépités quand ses propos sont analysés à la loupe. C’est la rançon de la gloire, le prix payé par tout numéro un.

Prenez sa dernière interview, avec le journal néerlandais NRC Handelsblad. Il ne prend pas la peine de téléphoner au ministre-président néerlandais Mark Rutte, déclare-t-il dans cette interview, parce qu’une telle réunion serait de toute façon annulée par des coups de téléphone de libéraux flamands jaloux. Et d’ajouter : « Si à l’époque nous avions rendez-vous avec un membre du CDA (le parti démocrate-chrétien néerlandais), celui-ci était parfois annulé au dernier moment. Nous savions que le CD&V était intervenu. Si je voulais rencontrer Rutte, il y aurait un coup de téléphone de l’Open VLD : « Vous ne devez pas recevoir cet homme ».

Ses propos – concernant Rutte – ont été démontés le jour même. Les journalistes qui se sont renseignés auprès du service de presse de Rutte, se sont entendu dire qu’une telle demande n’avait jamais été introduite. C’est ce que De Wever avait déjà fait comprendre lui-même. Cependant, le ministre des Affaires étrangères, Frans Timmermans, a fait savoir qu’il souhaitait un rendez-vous avec De Wever et que ce dernier n’était pas disponible. En effet, à ce moment-là, le bourgmestre était en réunion avec Jozias van Aartsen. Et ce Van Aertsen est… un membre du VVD, tout comme Rutte, donc un libéral. Oups! L’Open VLD avait-il par hasard oublié de saboter cette rencontre ? Ou Gwendolyn Rutten avait-elle raison quand elle a déclaré: « C’est trop idiot pour réagir. Et vous pouvez me citer là-dessus. »

Reste que De Wever déclare – littéralement – qu’à l’époque des choses mystérieuses ont eu lieu. Il découle du contexte qu’il ne parle pas d’un fait unique (cela se produisait « parfois »). Appelons un chat un chat : cette histoire sent le roussi. Combien de membres du CDA DE Wever a-t-il rencontrés à l’époque ? Cinq ? Dix ? À propos de quoi? La réunification des « Grands Pays-Bas » ? La Grande Dictée de la Langue néerlandaise ? De nouveaux harengs ?

Et « parfois » cette rencontre belgo-néerlandaise a donc été annulée pour d’obscures raisons. D’après le président de la N-VA et son entourage, c’était suite à une manoeuvre du CD&V. Nous nous demandons un peu naïvement : comment les membres du CD&V savaient-ils avec quel Néerlandais De Wever avait rendez-vous ? Ou le chrétien-démocrate moyen a-t-il si peu de confiance en lui qu’il téléphone d’abord à un Belge (Wouter Beke en personne ? Son porte-parole ? Le directeur en stratégie ? Wilfried Martens en tant que président du CVP?) Pourquoi De Wever choisit-il des interlocuteurs ayant aussi peu d’assurance ? Qu’ont-ils de si intéressant à raconter ? Ou le quartier général de la N-VA abrite-t-il un espion du CD&V ? Une variante de Bart De Bie, pas pour la sûreté de l’État mais pour le compte de la démocratie chrétienne internationale ?

Et si la réponse à toutes les questions ci-dessus est très probablement négative, il ne reste plus qu’une seule option. Le soupçon que Bart De Wever n’a pas dit la vérité. Qu’il a menti. Et si ce n’est pas le cas, qu’il nous dise quels rendez-vous avec quels membres du CDA ont été annulés aussi brusquement et inopinément? Nous pourrons alors le contacter pour lui demander ce qui est vrai, et s’il plane le moindre doute, les confronter avec leur lâcheté. Sinon, il semble qu’il s’agit d’un mythe cousu de toutes pièces.

Mais voilà ce qui arrive lorsque, comme De Wever, on est tout le temps dans les médias et qu’on s’inquiète continuellement de l' »effet » entraîné par ses mots. Comme si De Wever, loué partout comme le plus grand communicateur de Son temps, ne savait pas qu’il susciterait une polémique en parlant – par hasard – d’un t-shirt du mouvement homosexuel. Comme s’il ne savait pas qu’une telle interview dans un journal néerlandais important ne serait pas analysée par toutes les rédactions de quotidiens flamands. Il le savait – ou aurait dû le savoir, ou son entourage ou son porte-parole auraient dû le protéger contre lui-même. Cela n’a pas eu lieu et il continue donc sur le chemin qu’il s’est choisi lui-même. La campagne, jusqu’en 2014. Encore et encore et encore. Et alors, on commet des petites erreurs. Ou des erreurs. C’est humain. Et à part la clique N-VA qui prend vraiment De Wever pour un demi-dieu, un hercule (lisez les réactions sur les forums flamands), on peut partir du principe que rien de ce qui est humain n’est étranger à Bart De Wever. L’erreur humaine non plus.

On se demande si De Wever se perçoit encore correctement. Il choisit de mener le peloton pendant seize mois. Un sprint de dix-mille mètres. Si cela n’a rien d’humain, il prend tout de même le pari. Dans ce cas, Bart De Wever et ses adhérents n’ont qu’à espérer que la rue de la Loi et la presse de la rue de la Loi pensent que cette fois Johan Vande Lanotte a réalisé une analyse intelligente et surtout ne parle plus de De Wever et de la N-VA. Parce que, supposons que les médias continuent à parler de lui, que chaque propos de sa part suscite la polémique, les discussions, bref, un rabâchage infernal. Qui peut supporter cela pendant un an et demi ? Mentalement et physiquement ? Quel public souhaite entendre la même chose pendant si longtemps? Les lois du marketing s’appliquent-elles à tous, de Coca Cola aux biscuits Vitabis en passant par les politiques Steve Stevaert et Yves Leterme ? Sauf à Bart De Wever. Vient-il vraiment d’une autre planète ? De Mars? Ou de Vénus?

Avant de connaître la réponse à cette question, Bart De Wever devra continuer à exercer la pression pendant seize mois sur l’opposition politique et à bombarder l’opinion publique. Intégralement, parce que temporiser ne fera bientôt plus partie des possibilités. On est curieux de voir pendant combien de temps lui et son parti peuvent tenir le rythme des semaines passées. Si et quand ils seront épuisés. Si et combien ils élargiront le fossé. S’ils peuvent garder leur avance. Si les autres pourront éventuellement rogner sur leur retard. Quelle sera sa marge à l’arrivée. Nous regardons tous le sprint de dix-mille mètres où De Wever dépasse, pour l’instant, les autres.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire