C’était du jamais-vu. Entre 1951 et 1960, deux rois cohabitent à Laeken. Une solution inévitable mais qui crée la polémique. Qui règne vraiment sur le pays ? La question est posée. Surtout que Lilian, la belle-mère, aime aussi se faire remarquer…
« Nous craignons que la présence physique du roi ne soit nuisible à la paix nationale. » Paul-Henri Spaak est inquiet. Nous sommes en avril 1950. Léopold III s’apprête à laisser le trône à son fils. Et celui-ci se prépare à poser ses valises à Laeken, l’habituelle demeure du roi régnant. Reste cette question : que faire de Léopold ? Dans le camp socialiste, on redoute sa présence. Spaak songe même à l’envoyer au Congo. Histoire d’apaiser les tensions et d’attendre que refroidissent les cendres brûlantes de la question royale… L’idée est rejetée, notamment par les sociaux-chrétiens au pouvoir. « On leur a dit que c’était impossible et imprudent de laisser Baudouin, qui se croyait déjà parricide, seul dans un palais immense. Il ne l’aurait pas supporté », confiera plus tard Pierre Harmel.
Dès lors, une seule solution : la cohabitation. Tout le monde se retrouve à Laeken. Satisfaisant ? Pas vraiment. Régulièrement, la question revient sur le tapis. Surtout dans le camp socialiste. « Le peuple nous blâme parce que nous payons deux rois », regrette Max Buset, le président du PSB en 1953. Certains craignent un nouveau rebondissement de la question royale. « Il faut que la famille de Léopold III quitte le Palais royal » estime Achille Van Acker au bureau de son parti.
Une monarchie bicéphale ?
C’est que la cohabitation n’est pas sans causer quelque ambiguïté. Léopold III a fait un pas de côté. Mais il ne s’est pas totalement écarté ? Certains lui reprochent une influence de l’ombre. Elle est inévitable. A la maison, Baudouin est peut-être roi, mais c’est Léopold qui est le chef. A table, le père ne peut s’empêcher de discuter politique avec son fils. Et de lui glisser quelques conseils. Un ministre officieux ? Dans la presse, en tous cas, on parle de dyarchie. Ou de monarchie bicéphale. C’est pareil. Les observateurs constatent notamment que les rancoeurs du père marquent les actions du fils. Qui refuse par exemple de serrer la main d’Hubert Pierlot, l’ancien Premier ministre auquel Léopold s’était opposé…
Léopold nuance : « La situation est très difficile car mon fils m’aime beaucoup et je l’aime beaucoup mais je me borne à lui donner des conseils sur le plan humain », explique-t-il en privé. Baudouin abonde : « Mon père qui a bien plus d’expérience que moi, se refuse avec scrupule de me donner des avis », raconte-t-il à un ministre. Plusieurs avis vont dans le même sens. Dès 1953, Max Buset a même le sentiment que Léopold ne se mêle plus trop des affaires de l’Etat. Mais la pénible impression demeure. Surtout qu’il y a Lilian. Sa beauté est unanimement reconnue. Son influence est largement condamnée. A Laeken, elle met de la vie et mène la danse. En public, elle aime les premiers rôles. Lilian aime parader. Au risque de déplaire. « Madame veut faire parler d’elle », raconte-t-on au parti socialiste. Et encore : « Il faut en finir avec de Rethy ».
Une seconde résidence à Laeken ?
Que faire ? L’idéal serait de marier le roi. On y pense. Mais on n’y arrive pas. Certains prétendent même que Lilian dissuaderait Baudouin… D’autres imaginent de construire une seconde résidence dans le parc de Laeken. Des plans sont dressés. Mais la solution s’avère coûteuse (on parle de 50 millions) et psychologiquement insatisfaisante. En 1959, Léopold se décide finalement et annonce son prochain déménagement. Il faut dire que les pressions politico-médiatiques ont atteint un haut niveau. Il faudra attendre décembre 1960 – et le mariage de Baudouin – pour voir Léopold et Lilian quitter vraiment Laeken et gagner Argenteuil. Léopold ne décèdera qu’en 1983 mais il n’y aura plus de polémique. La question royale est vraiment terminée. L’heure de Baudouin et Fabiola a enfin sonné.
Vincent Delcorps