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L’enfer de Sclessin, côté VIP

François Brabant Journaliste politique au Vif/L'Express

Ce sont des alcôves avec vue sur match. Le champagne y coule à flots, bu gaiement par le gratin du sport, de la politique et de l’argent. Bienvenue dans les loges du Standard.

A Sclessin, le deuxième étage de la tribune 1 du stade du Standard est réservé aux loges : 30 pièces fermées, avec baie vitrée donnant directement sur le terrain. Chacune peut accueillir 12 personnes. Businessmen, mandataires politiques, journalistes, personnalités people et gloires sportives y assistent aux matchs du Standard, tout en devisant autour d’un bon repas. Parmi les 30 sociétés qui y louent un espace, on retrouve la Loterie nationale, Ernst & Young (consultance), Knauf (plâtres), Base (télécoms), Lampiris (électricité), SPIE (génie électrique), Collignon (maintenance industrielle), CMI (sidérurgie), Ethias (assurances), Tecteo (énergie et télécoms), Liège Airport, Meusinvest…

Certaines loges poursuivent une vocation commerciale pure et dure. Y sont invités les gros clients, ou les personnes dont l’entreprise espère qu’ils deviendront de gros clients. D’autres sociétés conçoivent plutôt leur présence au Standard comme un moyen d’accroître leur notoriété, et reçoivent aussi bien des politiques que des people.

Les loges « ouvertes », qui permettent aux invités de voir ce qui se passe dans le couloir (et d’être vus), se distinguent par ailleurs des loges « fermées », où la porte reste close pendant toute la durée du match. « Quand tu viens avec un client super exclusif, tu n’as pas envie de le partager. Alors, tu t’isoles », explique Frédéric Leidgens, directeur commercial du Standard de 2007 à 2011.
L’ensemble forme un mix de grandes sociétés au rayonnement national, voire international, et d’entreprises davantage ancrées dans le tissu liégeo-liégeois, ou liégeo-limbourgeois. Car dans les loges du Standard, on parle autant français que néerlandais. Et ça ne date pas du rachat du club, en 2011, par Roland Duchâtelet, un homme d’affaires de Saint-Trond.

Posé en bord de Meuse, entouré d’usines, le stade de Sclessin se situe littéralement au coeur de la vie économique liégeoise. Un député hennuyer, venu à deux reprises, s’avoue impressionné par la force des réseaux qu’il y a aperçus. « On voit que Liège est un bloc. On voit aussi que ça reste un bassin industriel important. J’ai vu beaucoup de gens du monde de l’entreprise. Avant d’être invité au Standard, je m’étais souvent rendu dans les loges de Mons, ce n’est pas du tout la même échelle. Parce que le club est plus petit, mais aussi parce que le tissu économique, dans la région, est beaucoup moins développé qu’à Liège. »

« Quand j’assiste à un match depuis les loges, trois ou quatre fois par an, le volet foot est couplé avec du boulot, que ce soit une prise de contact ou une négociation, indique le ministre verviétois Melchior Wathelet (CDH). Mais l’aspect sportif prédomine toujours. J’ai déjà été invité à Genk, à Anderlecht et à Bruges, ce n’est pas du tout la même convivialité. Là, je serais capable de rester à table pendant le match. Au Standard, c’est hors de question. »
On croise un homme débonnaire, le patron des briqueteries Nelissen, qui loue une loge au Standard depuis plus de vingt ans.

« Si je n’aimais pas le football, je ne serais pas ici, explique-t-il. En même temps, ça amène des relations. Mais je ne parle jamais boulot au Standard. » A quelques mètres de là, Mario Franchi, à la tête du groupe de transport routier Frisaye, résume l’atout loges : « Un client qui arrive ici en disant M. Frisaye, il repart en m’appelant Mario. »

La location d’une loge n’est pas un investissement anodin. Avec les repas et les boissons, le coût revient à environ 80 000 euros par saison, play-offs compris. Les loges les plus convoitées sont celles situées face au rond central, à côté des toilettes (« là, on est sûr de voir passer chacun des 360 invités au moins une fois sur la soirée ») ou près du bar.

Ces alcôves où se côtoie le gratin de la politique, du sport et de l’argent alimentent les fantasmes. Les grands accords s’y décident-ils en secret ? « J’y ai négocié à plusieurs reprises, mais ça aurait tout aussi bien pu se faire à mon cabinet ou dans un restaurant. Le fait que ce soit au Standard ne facilite rien », déclare Melchior Wathelet. « Il y a certainement des gens qui se sont rencontrés ici et qui ont fait des affaires ensuite. Sinon, les loges n’auraient pas d’utilité », estime le président de Liège Airport, José Happart. L’ancien ministre socialiste relativise toutefois l’impact : « C’est un endroit où les personnes qui comptent se rencontrent. Mais quantifier le return est impossible. Disons que si un candidat hésite à venir travailler à l’aéroport de Liège, il sera peut-être plus facile de le convaincre si on l’invite à un match. C’est la cerise sur le gâteau. »

Les loges renforcent aussi le « spirit liégeois », selon l’expression de Christine Defraigne, sénatrice MR. « Cela aide à tisser des liens, qui permettront ensuite de défendre un projet collectif liégeois N’oubliez pas que nous sommes des principautaires. »
« Les politiques sont invités dans une loge, mais au cours de la soirée, ils passent de l’une à l’autre, observe le bras droit d’un mandataire PS. Cela leur permet de rencontrer plein de monde en peu de temps. Leur présence est aussi une façon de manifester leur intérêt pour le développement régional. Par ailleurs, il est certain qu’il y a des dossiers qui avancent là-bas. Notamment en matière de construction, de permis. Les loges donnent la possibilité aux décideurs d’expliquer leur projet en direct au ministre, sans passer par le chef de cabinet. »

François Brabant

Le reportage intégral dans Le Vif/L’Express de cette semaine

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