Spray au poivre
Le ministre de l'Egalité des chances souhaitent ouvrir le débat sur la légalisation du spray au poivre. Clémence Merveille, avocate pénaliste, s'y oppose formellement. © Getty Images

Le spray au poivre bientôt légal en Belgique? «On charge assez les femmes, les solutions doivent être trouvées ailleurs»

Le ministre de l’Egalité des chances a annoncé l’ouverture du débat sur la légalisation du spray au poivre, arguant qu’il pourrait s’agir d’un moyen de défense pour les femmes. La proposition indigne celles et ceux qui luttent, chaque jour, pour l’écoute et la protection des victimes d’agression et de harcèlement sexuels.

Selon une enquête de 2023 menée par Stand Up Against Street Harassment en collaboration avec l’ASBL Touche pas à ma pote (TPAMP), 95% des femmes interrogées ne se sentent pas en sécurité dans les rues de Belgique. 83% ont répondu avoir déjà vécu du harcèlement de rue, tandis que 80% en ont été témoin au moins une fois au cours de leur vie. Une femme sur cinq affirme même avoir été suivie dans la rue. Près de 30% des femmes belges indiquent, en outre, avoir déjà fait l’objet de remarques et de commentaires désobligeants sur leur physique. Des chiffres qui font froid dans le dos.

Pour répondre à ce sentiment d’insécurité, le ministre de l’Egalité des chances, Rob Beenders (Vooruit), veut ouvrir le débat sur la légalisation du spray au poivre. Selon lui, les femmes étant «physiquement moins aptes à se défendre», le spray d’autodéfense pourrait compenser l’avantage de leur agresseur. Le ministre souhaite toutefois d’abord mener une étude avant d’envisager une légalisation. «Je suis d’accord pour que les femmes aient du spray au poivre dans leur sac, mais je veux connaître les avantages et les inconvénients, et savoir si cela a vraiment un impact.»

L’extrême droite est emballée

Deux semaines avant la sortie du social-démocrate, le Vlaams Belang avait déjà pris la parole à ce sujet. Le parti d’extrême droite plaide pour la légalisation «immédiate» du spray au poivre pour les Belges de 16 ans et plus, après le meurtre, aux Pays-Bas, de Lisa, une adolescente de 17 ans qui rentrait seule à vélo de nuit. Il avait d’ailleurs déposé une proposition de loi en ce sens, en 2020. «Les incidents aux conséquences graves montrent que les mesures préventives et les interventions rapides de la police ne suffisent pas toujours», déclare le président de la commission des Affaires intérieures de la Chambre, Ortwin Depoortere (Vlaams Belang)

«Le problème n’est pas là. Le problème, c’est que des hommes agressent d’autres personnes.»

Bien qu’il soit aisé de s’en procurer, le spray au poivre est strictement interdit en Belgique. S’agissant d’une arme prohibée à l’instar d’un couteau à cran d’arrêt, d’un taser ou d’un poing américain, il n’est ni permis d’y avoir recours, ni d’en posséder un. «Les infractions liées à la détention d’armes prohibées sont punies d’amendes pouvant atteindre 25.000 euros ou de peines de prison allant jusqu’à cinq ans», prévient le SPF Justice.

«Idiot» et «contre-productif»

Pour Clémence Merveille, avocate pénaliste spécialisée dans la prise en charge des victimes d’agression sexuelle et intrafamiliale, la proposition de Rob Beenders est tout simplement «idiote». Selon elle, légaliser l’utilisation du spray d’autodéfense ne fait pas partie des solutions qui pourraient améliorer le sentiment de sécurité des Belges en rue. «Le véritable problème, c’est qu’il y a des gens qui pratiquent du harcèlement, argue l’avocate. Je n’aime pas ce glissement vers une responsabilisation des victimes, qui consisterait à dire que c’est à elles de se défendre. Le problème n’est pas là. Le problème, c’est que des hommes agressent d’autres personnes.»

Un avis que partage Victoria Debuck, coordinatrice de Touche pas à ma pote, bien qu’elle soit plus nuancée. «Que le sujet arrive sur la table est une bonne chose, ça veut dire que l’on parle de la problématique des agressions commises envers des femmes, débute-t-elle. Le projet peut être bénéfique pour faire baisser le niveau d’insécurité des femmes, qu’elles se sentent actives pour agir. Mais en même temps, responsabiliser les victimes n’est pas la solution, ce serait un moyen de leur dire ce qu’elles doivent faire. On charge déjà assez les femmes, les solutions doivent être trouvées ailleurs

«Plutôt que légiférer sur le spray au poivre, cela me semblerait plus utile de financer la justice correctement.»

Entendre les victimes, pas les responsabiliser

Clémence Merveille ne nie pas l’importance de l’autodéfense pour les victimes, mais sous une autre forme, à l’image des cours de défense pour femmes, durant lesquels elles apprennent à réagir en cas d’agression. «Cela leur permet de reprendre un petit peu de pouvoir», commente-t-elle, soulignant que l’emploi du spray au poivre pourrait être, tout au contraire, contre-productif. «La contre-réaction de l’agresseur est totalement incontrôlable. L’utilisation d’un spray contre quelqu’un peut le rendre complètement enragé et aggraver la situation.»

Pour l’avocate, la lutte contre les agressions et le harcèlement sexuel repose avant tout sur l’éducation, la sensibilisation et une meilleure prise en charge des victimes, «pour qu’enfin ce genre d’acte soit pris au sérieux.» «Quand une victime sur 100 décide de se rendre au commissariat et de déposer plainte parce qu’elle se fait régulièrement insulter dans la rue, ce qui est déjà une infraction pénale, les policiers lui rient au nez et le parquet ne poursuit jamais, regrette Clémence Merveille. Plutôt que de légiférer sur le spray au poivre, il serait plus utile de financer correctement la justice, et de faire en sorte que le parquet ait les moyens de poursuivre ce genre de délit.»

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