Qui fut vraiment le diamantaire Louis Coetermans ? Il aurait été le grand financier de l’époque de Léopold II, fondateur d’un empire industriel international. Nos révélations sur un personnage trouble.
Sur une photo prise à la fin du XIXe siècle, l’homme d’affaires anversois a une allure un brin « orientale » : moustaches à la Plekszy-Gladz, toque d’astrakan, tenue officielle de consul général de Perse. Notable de la Belle Epoque, Louis Coetermans (1855-1925) était actif dans le commerce du diamant et a organisé des réceptions lors des visites officielles du Shah en Belgique.
Coetermans aurait été le fondateur d’un immense empire industriel, le grand financier de l’époque de Léopold II et un concurrent de Rothschild dans le business international. « Son syndicat diamantaire a détrôné celui de Londres, prétend Vincent Mercier. Louis Coetermans a fondé la première taillerie des Etats-Unis, à Cincinnati, et est devenu le principal importateur de pierres en Amérique. Sa maison diamantaire a ouvert des succursales en Chine, en Perse et dans les pays de l’Est, où il a voyagé. » selon son biographe Vincent Mercier.
Toujours selon son biographe, le diamantaire anversois aurait investi sa fabuleuse fortune dans l’électricité, le pétrole, les transports ferroviaires, les mines d’or, de cuivre, d’argent… « Il a joué un rôle crucial dans de nombreuses expositions universelles en Europe, où il développait ses relations d’affaires, nous assure Vincent Mercier. Appelé « Prins Diamant » par le peuple anversois, il a mis fin au travail des enfants dans ses usines et a participé à la création de boulangeries coopératives destinées au plus démunis. Grand investisseur dans l’immobilier, il a fait construire de nouveaux quartiers près d’Anvers, à Knokke et ailleurs, dotés du gaz, de l’électricité et pourvus de cafés, de cinémas, de théâtres… Il a fourni des milliers de logements à des familles juives et mis en place des structures d’émigration à grande échelle vers New York. »
Aucune trace dans l’Histoire
Comment expliquer qu’un magnat d’une telle envergure, si l’on en croit les thèses de l’auteur, n’ait laissé aucune trace dans l’Histoire ? Consultés par Le Vif/L’Express, les spécialistes de l’histoire économique au temps de Léopold II ne cachent pas leur embarras. Ginette Kurgan, professeur émérite à l’ULB, n’a pas repéré de référence à Louis Coetermans dans les sociétés citées par l’auteur, qu’elle a longuement étudiées. « Compte tenu de la multiplicité des entreprises et réseaux dans lesquels cet homme d’affaires se serait manifesté pendant plusieurs décennies, il n’y aurait pas de raison qu’on n’en trouve pas de mention », estime-t-elle.
L’historien flamand Eric Laureys, collaborateur à la Politique scientifique fédérale, apparaît comme l’un des experts les mieux placés pour apporter un éclairage sur cette étrange affaire. Il est, en effet, l’auteur de publications sur l’histoire du commerce diamantaire anversois et sur la présence belge en Perse au début du XXe siècle. « Je ne doute pas que Louis Coetermans ait existé, nous confie-t-il. Je constate seulement, à partir des articles de l’époque auxquels se réfère l’auteur, que ce personnage était consul général de Perse à Anvers, ce qui est tout à fait honorable, mais pas un fait d’armes considérable. Qu’il était membre de Belgische Juweliersvereniging, devenu ensuite le Syndikaat der Belgische Diamantnijverheid (SBD), ce qui n’est pas exceptionnel non plus. Qu’il a formé un consortium avec des partenaires qui, eux, sont bien connus au bataillon. Mais ce phénomène de partenariat, récurrent dans le commerce diamantaire, ne signifie en aucun cas un poids particulier dans l’industrie. Louis Coetermans avait, d’après mes sources, une centaine de lapidaires à son service, pour quelque dix mille chez Goldmuntz. »
Un grand ami de Léopold II et du Kaiser ?
Lointain descendant d’une soeur de Louis Coetermans, le biographe tient un tout autre discours : « Aujourd’hui encore, une partie du milieu diamantaire juif anversois considère mon ancêtre comme le « patriarche », celui par qui tout a commencé. Léopold II et lui étaient inséparables. Ils ont essayé ensemble la première automobile d’Ostende et ont vécu, avec le Shah, des moments inoubliables. Le diamantaire a réalisé les joyaux de la Couronne et était l’un des principaux investisseurs dans les entreprises coloniales au Congo. Il a par ailleurs obtenu du Kaiser Guillaume le pouvoir sur les mines de diamants allemands du Sud-Ouest africain, au grand dam de Rothschild. Après la Première Guerre mondiale, le diamantaire sera soupçonné d’avoir accumulé une fortune pendant le conflit, en convertissant des marks en dollars. On lui reprochera aussi sa complicité avec l’empereur d’Allemagne, mais la Flandre restera son meilleur allié. »
Pour y voir clair, le Dr Laureys a effectué pour nous de plus amples recherches. « Louis Coetermans était proche des milieux flamingants, indique l’historien anversois. Par ailleurs, la marine américaine lui a confisqué des diamants d’origine allemande. Il n’est pas exclu qu’en important des diamants allemands hors du cartel de la société De Beers, il se soit mis les grands diamantaires juifs à dos. Il est président de l’Antwerpse Fabrikantenvereniging, un sous-groupe du SBD, qui regroupe les mécontents de Campine. Par antisémitisme, ce milieu collaborera avec les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Louis Coetermans s’inscrit donc dans la tradition des travailleurs du diamant campinois flamand, qui favorisait l’importation directe, sans intermédiaires juifs, de pierres du Congo ou d’Allemagne. Ces diamantaires campinois étaient en conflit avec les Juifs d’Anvers qui monopolisaient l’importation du diamant brut de Londres. Ils étaient aussi en concurrence avec le puissant syndicat socialiste des ouvriers diamantaires anversois qui, contrairement aux Campinois, étaient aux premières loges pour les fournitures de brut londonien. »
Une fortune accaparée par des trusts flamands ?
La disparition du prétendu « empire Coetermans » intrigue, elle aussi. Selon le biographe, la fortune de l’homme d’affaires a été accaparée, dans les années 1925-1930, par des groupes financiers flamands qui gravitaient autour de lui. « Après la Première Guerre mondiale, des portefeuilles entiers ont été absorbés dans des trusts issus de fusions, assure Vincent Mercier. Le Boerenbond a créé, avec la Volksbank van Leuven et l’Algemene Bankvereniging, la holding Almanij, où, après la mort de Louis Coetermans, ont été aspirés les millions qu’il avait investis. » L’auteur estime, en outre, que des groupes français et américains sont impliqués dans cette affaire.
Toujours d’après Vincent Mercier, Frans van Cauwelaert, alors bourgmestre d’Anvers, aurait persuadé l’archiviste Floris Prims, auteur d’une monumentale histoire de la métropole, de ne faire aucune mention du rôle du diamantaire dans son texte. « En 1926, un an après le décès de Louis Coetermans, sans enfant reconnu, toute trace de lui avait disparu, s’indigne le biographe. Pourtant, de son vivant, les journaux ont beaucoup parlé de ce mécène et de ses activités. Aujourd’hui, on ne trouve aucun document à son sujet dans les archives officielles. Son dossier de consul, aux archives des Affaires étrangères, est vide. Il ne contient qu’une vieille coupure de presse. »
« Réhabilitation peu convaincante »
Qu’en conclure ? « Louis Coetermans a probablement connu un bref moment de gloire, admet l’historien Laureys. Mais, comme il a fait les mauvais choix et qu’il n’appartenait pas à l’élite juive des diamantaires, il n’est pas parvenu, comme beaucoup d’autres, à obtenir des positions de quelque conséquence. Il me semble qu’il a dépensé beaucoup d’argent pour se faire remarquer, mais je ne vois aucune position sociale d’importance dans son CV. Un membre du Diamantclub van Antwerpen ou de la Beurs voor Diamanthandel aurait été de bonne foi. Si Louis Coetermans n’en faisait pas partie ou, pire, s’il était membre de la bourse diamantaire flamande Fortunia, cela expliquerait le peu de cas que l’on a fait de lui dans les cercles dirigeants. »
Nous avons contacté Van Halewyck, l’éditeur qui a publié la biographie en question. Nous avons fait part à cette maison d’édition réputée de l’avis des historiens sur les thèses défendues par l’auteur. Nous lui avons également avoué notre scepticisme quant à la fiabilité de l’ouvrage. Seule réponse, envoyée par le service presse : « D’abord, les historiens vous effacent des livres d’histoire, puis ils disent que vous n’êtes pas dans les livres d’histoire. On a beaucoup de raisons de croire que la version officielle n’est pas la version correcte. »
Obsédé par son rêve de sortir son ancêtre de l’oubli, Vincent Mercier pense y être arrivé en exhumant quelques actes notariés et des articles de journaux belges et étrangers de l’époque. Confronté à nos doutes et à notre méfiance, il a posté, sur l’adresse Facebook « Louis Coetermans », des dizaines d’extraits de presse et autres documents censés prouver la fiabilité de ses recherches et la validité de ses interprétations. « Il s’impose de vérifier les sources, convient l’historienne Ginette Kurgan. Toutefois, les réponses de l’auteur à vos questions révèlent sa tendance manifeste à une présentation exagérément élogieuse du personnage, avec force dénonciations qui nuisent à la crédibilité de la thèse. Il n’est pas rare que des personnages notables à leur époque tombent dans l’oubli, mais dans le cas présent, la réhabilitation me paraît peu convaincante. »
Par Olivier Rogeau