Ils ont changé de parti, l’ont quitté pour un autre, ou pas, et ils en sont toujours fiers. C’est notre série d’été «Partir un jour». Cette semaine, Fouad Ahidar, avant-hier Volksunie-ID21, hier Vooruit, aujourd’hui Team Fouad Ahidar.
Début 2024, Fouad Ahidar a quitté Vooruit depuis plusieurs semaines, et il s’interroge, mais de moins en moins. «Un soir, je demande à ma femme « Nathalie, si je lance un parti, tu votes pour moi? » Elle me répond « non ». Je m’emporte, « quoi, tu te fous de ma gueule? », elle me dit « ça fait 20 ans que t’es pas là, que tu n’es pas à la maison », avant d’avouer qu’elle plaisante. « Si tu te présentes, c’est normal que je te soutienne. » Ça me fait une voix, deux avec la mienne, ça a commencé comme ça…», nous dit-il, souriant, dans son grand bureau du Parlement bruxellois. Il vient de déposer un texte avec le MR sur la lutte contre les frelons asiatiques, et il s’assied.
Quand il demande à sa femme si elle ne se fout pas de sa gueule, l’interrogation a donc dépassé son for intérieur, gagne son foyer, puis la rue, jettoise d’abord. «Le matin, on se lève, les enfants arrivent tous à la maison, ils ont entre 18 et 25 ans, ils disent: « OK papa, on va t’aider ». Ça faisait six voix, plus la mienne, sept, je vais chez le boulanger, ça fait huit… Je me dis « hum, ça va ». Et j’ai huit frères et sœurs, ils sont tous mariés, ça va vite! J’ai un noyau de deux centaines de personnes qui sont prêtes à jouer le jeu.» Quatre mois avant les élections la Team Fouad Ahidar est lancée. Le 9 juin, elle se retrouve avec trois députés bruxellois dans le collège électoral flamand, un député flamand, et le 14 octobre, elle rafle 31 conseillers dans six communes bruxelloises, grâce à beaucoup d’électeurs francophones.
Un an après sa rupture avec Vooruit, Fouad Ahidar a créé une formation devenue plus grande, à Bruxelles, que celle qu’il avait quittée, après 20 ans de chemin commun, fin 2023, «à cause d’une seule personne».
Et plus grande que la N-VA dont Fouad Ahidar aurait pu être membre à sa création, en 2001.
La raison de son départ en 2023 tient selon lui en un seul nom: Conner Rousseau. Mais ses premières élections communales, en 2000, à Koekelberg, il y participe en effet sur une liste VU-ID 21, le parti dont est issu la N-VA. Un an et demi plus tôt, Vic et Bert Anciaux, père et fils, deux figures bruxelloises de l’indépendantisme flamand, l’ont recruté pour participer aux régionales de juin 1999. «Je travaillais dans une maison de jeunes flamande à Molenbeek, je m’étais disputé avec un conseiller du ministre Anciaux, un certain Sven Gatz. Quelques semaines plus tard, ils me demandent d’être sur leur liste, VU-VLD-Onafhankelijken, comme indépendant. Sur la liste, il y avait aussi Guy Vanhengel, je le connais depuis lors. A l’époque, il y avait onze sièges flamands et le Vlaams Blok en avait quatre. Pour éviter que le Belang ne bloque la Région, ils étaient allés chercher des francophones ou des bilingues sur la liste pour compenser les votes de l’autre côté. Le projet, c’était quoi? Rassembler un maximum de monde pour sauver la démocratie à Bruxelles. Il faut casser ce cou au canard ou je ne sais pas comment on dit ça, une fois que tu es sur une liste NL, tu ne peux plus changer… Ce n’est donc pas une stratégie francophone néerlandophone je ne sais pas quoi de ma part pour piéger les électeurs, des conneries pareilles… Moi, depuis 1999 je suis dans le groupe linguistique néerlandais, je ne peux pas en changer, et je n’ai rien planifié», explique le parfait bilingue, né à Malines-Mechelen, mais qui a passé douze ans dans l’enseignement francophone molenbeekois, puis a fait ses études supérieures dans une haute école flamande, et qui entre ensuite au cabinet de Bert Anciaux, et prend sa carte à ID21, mais pas à la Volksunie. Celle-ci éclate, Bert Anciaux refuse de joindre la N-VA qui se forme, fonde Spirit, qu’il flanque au sp.a. Plus tard, le cartel explose, Spirit périclite, mais Anciaux reste au sp.a. Comme Fouad Ahidar, «j’ai toujours été de gauche, mais je deviens socialiste via le sp.a, pas le PS, parce qu’à Molenbeek, je n’arrêtais pas de me disputer avec Philippe Moureaux, là-bas les socialistes me prenaient pour un emmerdeur fini», dit-il.
Le président des socialistes flamands, Conner Rousseau, a probablement pensé la même chose très tôt, alors qu’il durcit la ligne de son parti sur les sujets culturels, et qu’il considère qu’il ne se sent pas en Belgique lorsqu’il passe à Molenbeek. «Moi, j’avais pris position pour ses concurrents dans l’élection interne, Christ’l Van der Paal et Bart Callaert, je l’avais fait en public, et certainement qu’il ne me l’a jamais pardonné. Il est rancunier, à partir de ce moment, c’était presque la guerre», se rappelle Fouad Ahidar.
Deux événements postérieurs entérinent la rupture avec son parti, dont l’aile bruxelloise avait pourtant gagné en autonomie, «alors que, moi en 2019, quand on a fait One.brussels pour se démarquer du sp.a national, j’avais insisté pour qu’on fasse One.brussels-sp.a, parce que le socialisme parlait aux gens». Deux événements sur la ligne qu’il défend, et qui parlent à pas mal de Bruxellois, souvent musulmans pour le premier, toujours propalestiniens pour le second.
D’abord la défense de l’abattage sans étourdissement, qui lui vaudra d’être exclu du bureau national du parti, parce qu’une de ses collègues a rejoint sa position. «Moi, en vingt ans, je n’ai jamais voté quelque chose contre la volonté du parti. Et sur l’abattage rituel, on avait un accord du parti, on était trois députés, moi je votais contre l’interdiction de l’abattage sans étourdissement, Hilde Sabbe s’abstenait, et Els Rochette allait voter pour. Quand ils ont eu la pression de Gaia, au parti, ils ont commencé à devenir fous, mais tout le monde était d’accord et tout le monde était au courant de nos positions. Conner Rousseau a dit qu’il n’était pas au courant, mais on en parlait tous les jours… Puis en écoutant les auditions, et en voyant que ça devenait vraiment une chasse aux sorcières, Hilde est venue me voir et m’a dit qu’elle allait voter avec moi. Et là ils ont discuté. Ils ont dit quoi? « On va t’exclure momentanément du bureau politique national. » Pour moi, ce n’était pas grave… Un mois, deux mois, trois mois passent, je n’ai pas de nouvelles. Finalement, j’apprends que tant que Conner sera président, je ne serai pas réintégré. Là c’était un truc personnel, c’est clair», affirme-t-il.
Ensuite les attentats terroristes partis de Gaza le 7 octobre 2023, qu’il qualifia de «petite réponse» contre la colonisation israélienne depuis 70 ans. «Je me suis tout de suite excusé, et plusieurs fois, mais Ans Persoons, la cheffe des socialistes flamands à Bruxelles, sort dans les médias pour dire que ce que j’ai dit était idiot, sans même me parler, sans même revoir la vidéo», s’insurge Fouad Ahidar, soulagé que le parquet général, «après des heures d’audition», ait classé sans suite, en mai dernier, la plainte pour négationnisme déposée par trois organisations juives.
Les discussions postérieures quant à sa place sur la liste sont, à l’entendre, un faux prétexte. «J’ai dit à Ans Persoons que ca ne m’intéressait pas, peu importe la place qu’ils me proposaient.» Et le 3 décembre 2023, un dimanche, il appuie sur le bouton. Un communiqué de presse annonce son départ de Vooruit. Il en reste l’impression que sa toute nouvelle Team Fouad Ahidar, lancée en février («on a trouvé ça avec un bureau spécialisé, à quatre mois des élections, le seul truc que les gens connaissaient un peu, c’était moi…») se focalise sur ces questions culturelles.
L’éponyme s’en défend, parce que ça l’énerve.
«Il n’y a pas très longtemps, je rencontre une journaliste flamande, qui sans arrêt vient avec ça, « islam, islam islam ». Moi, j’ai 123 points dans mon programme, il n’y en a qu’un qui parle de liberté de culte, et on n’y dit rien de plus que ce que disent le PS, Ecolo ou le PTB ou même le VLD, mais nous, apparemment, on serait un parti communautaire, bon, bref… A cette dame j’ai dit « vous posez encore une question sur la religion et j’arrête l’interview ». Elle me parle alors d’homosexualité, mais ça fait vingt ans que je travaille avec Pascal Smet, comment ose-t-on dire que j’ai un problème avec les homosexuels? Dans notre programme, c’est limpide, on condamne toute forme d’homophobie, si je croise un homophobe dans mon groupe, il est dehors dans la seconde, OK? On a ensuite parlé de tout le reste. Résultat, ça a été la plus belle interview que j’aie jamais eue…», conclut-il, espérant en donner beaucoup d’autres.
«Dans notre programme, c’est limpide, on condamne toute forme d’homophobie, si je croise un homophobe dans mon groupe, il est dehors.»
13 octobre 1973
Naissance à Malines. A 6 ans, au milieu de l’année, il entre à l’école primaire à Molenbeek. «J’étais le petit Flamand, je suis devenu la tête de turc de la classe. Depuis, j’ai une horloge dans la tête qui compte dix minutes, le temps de la récréation.»
13 juin 1999
Première participation électorale, comme jeune travailleur social. Sur une liste Volksunie-VLD-Indépendants. Quelques mois plus tard, il entre au cabinet de celui qui l’avait attiré sur sa liste, Bert Anciaux.
13 juin 2004
Est élu député régional sur la liste sp.a-Spirit à Bruxelles. Dix-septième et dernier candidat, il récolte le deuxième meilleur résultat en voix de préférence. Réélu en 2009, 2014 et 2019, il sera notamment président du parlement néerlandophone bruxellois.
3 décembre 2023
Annonce quitter Vooruit en raison des «nombreuses gaffes, des condamnations pour racisme et sexisme», et de la «gestion lamentable du parti» par Conner Rousseau. Fouad Ahidar est approché par plusieurs formations. Mais il n’accepte aucune proposition.
9 juin 2024
La Team Fouad Ahidar est fondée début février. Tête de liste au parlement bruxellois, Fouad Ahidar récolte 7.600 voix de préférence, son groupe comptera trois députés du collège néerlandophone. La TFA envoie également un député au parlement flamand.
L’idée qu’il ne défend plus
«Je jure que j’ai réfléchi, mais je n’ai rien trouvé. J’ai toujours été d’accord avec la ligne socialiste. Mais si je repense à quelque chose, je te rappellerai.»
L’idée qu’il conserve
«La défense de la mobilité douce: dans mon parti, il y en a encore beaucoup qui sont trop probagnole.»
La pire vacherie
«Faire croire que j’ai quitté Vooruit à cause de ma place sur la liste, alors que j’ai toujours eu des places de merde.»
La personne qui l’a fait changer
«Bert Anciaux m’a fait entrer en politique. Il a toujours eu le cœur à gauche, et je sais qu’il a évolué sur plein de questions.»