caméras de surveillance
Alors qu’il contribue à une surveillance accrue de l’espace public, le petit monde économique des caméras de surveillance préfère généralement vivre caché. © Getty Images

Le discret business des caméras de surveillance, entre démarchages et accointances politiques

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Une bonne trentaine d’acteurs se partagent les (juteux) marchés publics des caméras de surveillance. Un milieu particulièrement concurrentiel, marqué par des tendances territoriales.

Nombre de caméras de surveillance à remplacer et à entretenir pendant cinq ans, avec une assistance 24 heures sur 24: 225. Dépense maximale estimée par les pouvoirs publics: 7,3 millions d’euros. Fin 2024, la société Equans a décroché ce copieux marché public portant sur l’entretien du réseau de caméras de la zone de police de Liège, pour un montant final de près de deux millions, 750.000 euros en dessous de l’offre la plus chère. Un large coup de filet de plus pour cette entreprise active dans l’énergie et une panoplie de services technologiques. Un grain de sable, toutefois, dans les recettes de ce géant racheté par Bouygues à Engie en 2022, mettant fin par la même occasion au nom de Fabricom, associé depuis 75 ans à l’histoire industrielle belge.

Derrière les yeux numériques surveillant l’espace public se joue une rude concurrence entre des sociétés au profil varié. Les marchés publics de vidéosurveillance attirent à la fois des acteurs télécom (Proximus, Orange, Telenet…), des pieuvres polyvalentes comme Equans, des généralistes de la sécurité (Securitas, Seris) et une bonne vingtaine d’entreprises plus spécialisées, bénéficiant souvent d’un ancrage local: Aegentis et CCDA en province de Hainaut, Win en province de Liège, Netcom dans la province de Luxembourg… «Environ 70% de notre chiffre d’affaires annuel repose sur les marchés publics, commente Frédéric Caprasse, fondateur et CEO de cette dernière société basée à Tenneville. Outre notre province, où nous avons le monopole dans la quasi-totalité des villes, nous essayons de gagner des marchés ailleurs en Wallonie, mais ce n’est pas toujours simple.»

Dans la capitale, le paysage des caméras de surveillance est à peine plus homogène. Irisnet, l’opérateur télécom de la Région en partenariat avec Orange, a décroché quelques marchés émanant des communes ou des zones de police. On y retrouve aussi des noms comme Tein Technology, VAG Security Systems et pour la zone Bruxelles-Capitale-Ixelles, l’association momentanée Jacops-Securitas. En août 2019, la concurrente Engie Fabricom avait obtenu la suspension de ce dernier marché par le Conseil d’Etat, avant de se désister quelques mois plus tard. En amont comme en aval, les parties gagnées n’ont souvent rien d’un long fleuve tranquille.

«Tout le monde veut tout»

Pour au moins deux raisons. D’abord, bon nombre d’entreprises démarchent les communes. «Il y a quatre ou cinq ans, nous avions rencontré Securitas et G4S, la première ayant déjà un contrat-cadre du fédéral et la seconde ayant spontanément présenté ses solutions», illustre Hugues Bayet (PS), le bourgmestre de Farciennes, où 27 caméras (fixes, fixes temporaires ou ANPR) scrutent aujourd’hui la voie publique. «Il faut être proactif, acquiesce Frédéric Caprasse. Il y a dix ans, on arrivait encore à s’arranger avec les concurrents pour se laisser des marchés de nos régions respectives. Aujourd’hui, ce n’est plus possible, puisque tout le monde veut tout.»

«Quand un marché se présentait il y a quelques années en région liégeoise, on savait qu’il était inutile d’y répondre si telle société était dans la course.»

Ensuite, les accointances entre les élus et les sociétés locales ont souvent pu peser dans la balance, malgré les critères des marchés, censés classer les meilleures offres reçues en fonction du prix et –parfois– de la qualité du matériel. «Quand un marché se présentait il y a quelques années en région liégeoise, on savait très bien qu’il était inutile d’y répondre si telle société était dans la course», poursuit le CEO de Netcom. C’est peut-être moins évident aujourd’hui, comme les marchés sont de plus en plus surveillés. Mais pas impossible.»

Il y a comme un paradoxe: alors qu’il contribue à une surveillance accrue de l’espace public, le petit monde économique des caméras de surveillance préfère généralement vivre caché. Trois sociétés bien implantées en Belgique francophone n’ont jamais répondu à nos demandes et relances sur leurs activités dans ce domaine. De leur côté, tant Equans que Securitas n’ont pas souhaité transmettre d’informations, le second invoquant la confidentialité de sa stratégie commerciale. A l’instar de Netcom, une entreprise comme Win a, elle aussi, accepté de lever un coin du voile. La vidéosurveillance à l’attention des pouvoirs publics représente aujourd’hui 0,3% de son chiffre d’affaires, celui-ci s’élevant à 58 millions d’euros en 2024, indique son responsable de la communication, Paul Decloux. «Quatorze clients utilisent ce type de service. Ces solutions permettent de répondre à des besoins variés: sécurité des espaces publics, protection des infrastructures critiques, et support opérationnel pour les entités publiques.»

7.000 à 18.000 euros

La fourchette de prix unitaire d’une (bonne) caméra de surveillance en milieu extérieur.

Après 20 ans de déploiement soutenu, le marché des caméras de surveillance dans l’espace public arrive-t-il à saturation? Surveillance de zones sensibles et de passage, détection de dépôts clandestins, lecture de plaques d’immatriculation (caméras ANPR)… «Il existe encore de nombreuses opportunités, affirme Win. Certaines entités cherchent à renforcer leur dispositif existant en ajoutant de nouvelles caméras, tandis que d’autres n’en possèdent pas encore et envisagent de lancer des projets.» Le CEO de Netcom, lui, estime qu’il y aura moins de marge de progression possible pour ce qui concerne les nouvelles installations.

«Depuis deux ans, les analyses vidéo par intelligence artificielle ont remplacé les précédents algorithmes.»

En revanche, les sociétés spécialisées peuvent compter sur le renouvellement des contrats de maintenance et du matériel («upselling»), qui ne cesse de progresser. Selon la gamme choisie, la durée de vie d’une caméra de surveillance placée en extérieur oscille entre trois et huit ans. «Mais une caméra achetée aujourd’hui peut devenir dépassée le surlendemain, par rapport aux produits affichant de meilleures performances, souligne Frédéric Caprasse. Depuis deux ans, les analyses vidéo par intelligence artificielle ont remplacé les précédents algorithmes, qui consommaient énormément de ressources et nécessitaient des licences très onéreuses. Le métier n’en reste pas moins très technique. Ce n’est pas du plug and play: quand on travaille dans un milieu extérieur, il faut ajuster entre 20 et 60 paramètres afin qu’une caméra fonctionne de manière optimale pour l’environnement spécifique qui lui est dédié.»

S’il existe des entrées de gamme à environ 1.500 euros l’unité, le prix moyen d’une caméra fonctionnelle se situe plutôt entre 7.000 et 18.000 euros. Compte tenu de la mutualisation des infrastructures nécessaires, le coût à l’unité tend à diminuer en fonction du nombre d’équipements installés.

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