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L’Arizona veut dissoudre l’organisation pro-palestinienne Samidoun: «C’est un marqueur d’une droite plus dure»

Sylvain Anciaux

Le gouvernement Arizona est tombé d’accord sur un avant-projet de loi permettant de dissoudre des organisations extrémistes ou radicales. Samidoun est systématiquement cité, alors que d’autres groupes répondent aux critères.

Un petit supplément s’est glissé dans la communication du gouvernement et de son accord de l’été, sans pour autant faire partie de celui-ci: un avant-projet de loi interdisant l’activité d’organisations radicales et extrémistes. C’est Bart De Wever qui a vendu la mèche en commission Intérieur, ce jeudi, alors que (presque tout) le monde politique était en vacances depuis lundi. Le Premier ministre a quelque peu grillé la priorité au ministre en charge du dossier, Bernard Quintin (MR), et ce n’est pas anodin.

En effet, en s’expliquant sur cet avant-projet de loi, l’Anversois n’a cité que le nom de l’association Samidoun. D’autres organisations répondraient pourtant à ces critères d’interdiction, ceux-ci englobant notamment la participation directe ou le soutien logistique, matériel ou financier à des actes de violence, de sabotage et d’attentats; la promotion ou diffusion de contenus justifiant des actes terroristes; l’infiltration d’institutions publiques par ces groupes ou la diffusion répétée de contenus ou de slogans incitant à la haine ou à la violence envers certains publics.

Ce n’est pas la première fois que l’Arizona cible directement Samidoun puisque, encore embryonnaire, le gouvernement nommait déjà l’organisation dans sa déclaration de politique générale et promettait de la dissoudre. De quoi s’agit-il? D’un réseau de solidarité aux prisonniers palestiniens, plaidant pour un Etat palestinien pluraliste et laïc, et qui est à l’initiative des manifestations quotidiennes dans le centre de Bruxelles en soutien à la Palestine. Sauf que ce collectif est visé par un rapport de l’Ocam (Organe de Coordination et d’Analyse de la Menace), et que l’Office des étrangers a demandé au Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides de retirer le statut de réfugié palestinien au leader du mouvement, Mohammed Khatib. Le ministre de l’Intérieur range d’ailleurs Samidoun parmi les proches des Frères musulmans, tandis qu’en Allemagne, l’organisation a été dissoute parce qu’elle soutiendrait le Hamas.

Dissoudre Samidoun, «c’est un peu la tendance actuelle»

Ceci dit, les manifestations organisées par Samidoun sur le sol belge sont pacifistes, et l’Ocam a rédigé des rapports aussi bien sur le collectif écologiste radical Code Rouge, le réseau cybercriminel de recrutement et de propagande nazie dit «764» ou encore Stop Arming Israël. Alors, pourquoi nommer Samidoun, en particulier? Contacté, le cabinet De Wever n’a pas donné suite. Mais il se dit en coulisses que la question de la lutte contre l’antisémitisme est particulièrement prégnante à Anvers, ville historique du Premier ministre.

«Il n’est pas vraiment étonnant que le gouvernement Arizona hausse le ton de la sorte, commente le juriste, philosophe et docteur en sciences juridiques du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques), Vincent Lefebve. C’est un peu la tendance actuelle, de croiser la question de la sécurité à celle de l’islamisme, c’est un marqueur d’une droite plus dure assez conforme à la campagne menée par Georges-Louis Bouchez également.» Le chercheur pointe tout de même le manque de précision dans la communication gouvernementale qui ne définit pas les contours du terrorisme, «qui n’existe pas de manière unanime en droit international», et l’absence de possibilité de recours jusqu’ici. «On sent cependant que Gaza est en filigrane dans le texte.»

«C’est le même Premier ministre qui refuse de dire « vive la Belgique » qui nous vise, répond Mohammed Khatib. Il est plus le représentant d’Israël que de la population belge.» Le militant ne se dit pas étonné d’une telle stratégie de Bart De Wever, et affirme qu’il protège des intérêts économiques entre la Belgique et l’Etat hébreu. «Il est important de rappeler que nous ne sommes appelés par aucune Cour ou tribunal. Nous utiliserons tous les moyens légaux et démocratiques contre cette décision. Pour nous comme pour toutes les organisations concernées, pas uniquement celles en lien avec la Palestine. Les mouvements écologistes, LGBTQIA+ ou en soutien à la Palestine souffrent tous de la même manière contre la politique d’extrême droite menée par une équipe dans laquelle on retrouve Theo Francken

Vincent Lefebve est d’avis que certaines organisations adoptent les codes des droits de l’Homme pour saper la démocratie de l’intérieur. Néanmoins, toucher à la liberté d’association doit se faire en regard de la Convention européenne des droits de l’homme, rappelle le chercheur. «Si le pouvoir exécutif peut décider seul d’interdire certaines organisations, c’est une grosse nouveauté. Il y a la possibilité d’instrumentaliser certains aspects dans un positionnement politique ou idéologique. Cela renforcerait encore un peu plus le pouvoir exécutif alors que la démocratie s’appuie sur un équilibre des pouvoirs. Si, dans un scénario loufoque, le Belang arrivait au pouvoir, cet outil pourrait s’avérer très dangereux.» A noter par ailleurs que le texte prévoit de ne pas interdire d’organisations politiques, syndicales, philosophiques, philanthropiques ou encore religieuses.

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