La population belge a plus que vraisemblablement franchi la barre des 11 millions d’habitants en 2011, annonce ce vendredi le SPF Intérieur, sur base de chiffres encore provisoires. La Belgique est en plein boom démographique. En cause : l’immigration, principalement. Le démographe André Lambert met en cause le manque d’anticipation du monde politique.
« Au 1er janvier 2012, sur la base de la poursuite des tendances observées entre 2007 et 2009, la Belgique comptera près de 11 million d’habitants, soit environ : 1 130 000 à Bruxelles-Capitale, 6 327 000 en Flandre et 3 540 000 en Wallonie », avait évalué le démographe André Lambert.
Ce dernier dirige le bureau d’études indépendant Adrass (Association pour le développement de la recherche appliquée en sciences sociales), établi dans le Brabant wallon et qui travaille, depuis 1982, pour des institutions belges et étrangères. André Lambert est ce démographe qui, profitant d’une source bien placée, a établi, en 2010, que les néerlandophones ne représentaient que 5,3 % de la population bruxelloise et, au sein de celle-ci, 7,4 % des Belges. A la N-VA qui rétorquait que, pendant la journée, Bruxelles était majoritairement flamande, Lambert a précisé que le nombre de Flamands « de jour » dans la capitale n’était que de 28 %…
A tous égards, Bruxelles-Capitale est un cas à part. La Région s’accroît de près de 2 % chaque année. Un chiffre considérable, ordinaire dans les pays en voie de développement, mais déroutant dans un contexte occidental. « Ce chiffre est dû à l’afflux des immigrants et à la faiblesse du nombre de départs des Belges ou des étrangers », explique le démographe. Les principaux migrants ont d’abord été français, italiens et néerlandais, puis marocains, turcs et congolais. Actuellement, ils viennent en grand nombre de l’Est (Polonais, Bulgares et Hongrois), grâce à la libre circulation au sein de l’Union européenne.
De 1950 à 2000, le solde migratoire (différence entre les sorties et les entrées du territoire) épousait, avec deux ans de retard, les évolutions du PIB (produit intérieur brut). Depuis 2000, le solde migratoire s’est découplé du PIB. En effet, quelle que soit l’évolution de notre richesse, le nombre de migrants continue à grandir. « Parce que la Belgique est perçue comme un eldorado, avance André Lambert, nous allons sans doute devoir accepter un peu plus de Turcs, Marocains, Africains et des migrants de pays de l’est et du sud de l’Europe, pays qui ne vont pas bien du tout, comme la Bulgarie, la Roumanie, la Grèce, l’Italie, le Portugal ou l’Espagne. »
Curieusement, compte tenu de l’état moyen de son économie, la Wallonie est aussi attractive que la Flandre. « Si les tendances 2007-2009 se poursuivent, décrit le démographe brabançon, la Wallonie aura gagné un million d’habitants d’ici à 2050. S’imagine-t-on ce que cela représente, sachant qu’une ville nouvelle comme Louvain-la-Neuve compte 30 000 âmes ? Faudra-t-il accepter une conurbation de Mouscron à Verviers ? Ou être plus audacieux ? »
A cette poussée migratoire extérieure s’ajoute le fait que la Belgique fait partie d’un axe où, de la Finlande à la France, Royaume-uni compris, la fécondité est favorable (1,8 à 2 enfants par femme) et la mortalité faible. « Si l’on envisage les personnes dont l’espérance de vie restante ne dépasse pas les dix ans, le pourcentage des vrais « vieux » n’a pas augmenté depuis cinquante ans. Les personnes âgées ne vont pas coûter plus cher à la sécurité sociale si l’on parvient à maîtriser l’augmentation de la consommation des soins de bien-être, pour lesquels il y a une publicité énorme. »
Depuis dix ans, André Lambert taille en pièces la théorie selon laquelle l’immigration serait le principal moyen de sauver notre sécurité sociale, en augmentant le nombre de cotisants. « L’impact de l’immigration sur la sécurité sociale est faible en comparaison des dangers collatéraux, souligne-t-il. Un : les jeunes migrants vieillissent. Deux : il faut construire des crèches, des écoles, des logements, créer des emplois… Si les tendances actuelles se poursuivent, les nouvelles classes d’école proposées par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles seront, à l’avenir, plus surpeuplées que celles d’aujourd’hui. L’immigration comporte des engagements implicites dont on ne se rend pas toujours compte. »
Face à ce défi, comment réagir ? « On pourrait interdire de transformer des maisons de maître bruxelloises en clapiers où cinq personnes vivent dans une pièce sans toilettes. L’enseignement doit être ouvert à tous mais avec des exigences. A Bruxelles, il existe des classes de rénové où des jeunes ne savent pas écrire… Par ailleurs, certains aspects du regroupement familial nous rendent ridicules aux yeux mêmes des migrants. Une femme est épousée, puis « abandonnée » avec le revenu des allocations familiales, l’homme se remarie, fait venir sa grand-mère…. C’est une exploitation de notre système social. Nous sommes responsables vis-à-vis de nos enfants, qu’ils s’appellent Mohammed ou André. Si nous laissons filer notre patrimoine vers le monde entier, il ne restera plus rien ici. »
En Belgique comme en France, la démographie est une science qui sent un peu le soufre. De ce fait, on n’a pas suffisamment valorisé le travail des démographes. André Lambert enfonce le clou : « En Belgique, il est impossible de travailler sur trois sujets cruciaux : les pratiques linguistiques, les affiliations religieuses et l’état réel de la richesse des particuliers. On invoque la protection de la vie privée… Mais les démographes ont leur déontologie. Quand ils travaillent sur des données personnelles, ils les rendent anonymes. En revanche, Colruyt et Delhaize savent très exactement ce que vous achetez… » Un plaidoyer pour garder les yeux grands ouverts face aux transformations de notre société.
MARIE-CÉCILE ROYEN