Les politiques belges sont-ils davantage épargnés par la justice de notre pays que les Français chez eux? La justice française est-elle plus sévère à l’égard des représentants de l’Etat? En Belgique, aucun n’a été en prison après condamnation.
L’ex-président Nicolas Sarkozy bientôt derrière les barreaux? C’est très probable, même s’il ne devrait pas y rester longtemps et bénéficier, vu son âge, d’un aménagement de peine. Le séisme provoqué par la décision du tribunal de Paris n’en est pas moins énorme. Un ancien chef de l’Etat en prison, cela s’est déjà vu dans des démocraties comme le Brésil, avec Jair Bolsonaro et Lula (dont la condamnation a finalement été annulée) ou Israël, avec Ehud Olmert, mais jamais encore en France. Pourtant, la justice hexagonale n’est pas tendre avec les représentants de l’Etat qu’elle poursuit pour avoir enfreint la loi. La liste de ceux qui ont été condamnés à des peines de prison est longue. Avant Sarkozy, un autre ancien président de la République avait été condamné à une peine de prison, plusieurs années après son mandat. C’est Jacques Chirac, dans l’affaire des emplois de la mairie de Paris, mais il s’agissait d’une peine avec sursis.
Les politiques français qui ont effectivement séjourné dans une cellule carcérale ne sont pas si rares: Claude Guéant, Patrick Balkany, Bernard Tapie, Georges Tron, Alain Carignon, Jacques Médecin… L’ancien ministre du Budget, Jérôme Cahuzac, lui, a tout juste échappé à ses quatre années d’incarcération, prononcées en appel, en obtenant le droit de porter un bracelet électronique. Epinglons encore l’ancien Premier ministre François Fillon condamné, en juin dernier, à quatre ans de prison avec sursis en appel au lieu d’un an ferme en première instance pour détournement de fonds publics. Des maires, des ministres, un Premier ministre et maintenant un président… Dans son histoire récente, la justice française a décidément le glaive plutôt lourd.
Plus lourd que chez nous? En Belgique, les politiques qui ont goûté à l’ambiance humide et froide d’une cellule de prison, après condamnation, il n’y en a pas. L’ancien ministre wallon Serge Kubla y a passé deux nuits à Saint-Gilles en 2015, au début de l’enquête sur l’affaire Duferco. Il sera finalement condamné à deux ans d’incarcération mais avec sursis, en 2023, pour des faits de corruption et de blanchiment d’argent. Idem pour Stéphane Moreau qui, lui, a passé 20 jours à Lantin, en 2021, dans le cadre du dossier Nethys. Il s’agissait aussi de détention préventive. En 2023, l’ancien eurodéputé Marc Tarabella, lui, est tout de même resté enfermé à Saint-Gilles pendant six semaines, avant de pouvoir retourner chez lui avec un bracelet électronique. Son procès dans l’affaire du Qatargate n’a pas encore eu lieu. Celui qui est resté le plus longtemps en détention préventive est Merry Hermanus –deux mois à Lantin en 1997– dans l’affaire Inusop. Il sera finalement condamné à un an avec sursis.
Les condamnations à des peines de prison avec sursis ne sont pas légion non plus en Belgique. On peut relever Guy Spitaels et Guy Coëme dans l’affaire Agusta, l’ancien bourgmestre de Charleroi Jacques Van Gompel dans une des affaires carolos (il a passé 22 jours en préventive), Jean-Charles Luperto pour des faits d’exhibition dans une station-service namuroise, Alain Mathot dans le dossier Intradel, plus récemment, Dimitri Fourny pour fraude électorale, et ceux déjà cités plus haut. En France, ces douze dernières années on compte plus d’une centaine de condamnations de représentants politiques, tous partis confondus. Chez nous, même l’extraordinaire affaire du Kazakhgate s’est terminée en eau de boudin: à la suite du décès du principal inculpé Armand De Decker, l’action judiciaire s’est éteinte.
«Il y a une certaine excitation, voire une partialité, quand il s’agit d’un politique connu.»
La justice paraît plus sévère. Pourquoi? L’avocat Marc Uyttendaele, qui a défendu de nombreux responsables politiques, apporte un éclairage. «Il n’y a pas d’explication rationnelle, dit-il. En Belgique, les rapports entre les politiques et la justice sont tout de même très tendus. Je l’ai constaté dans pas mal de dossiers. En France, le climat de tension qui se reflète dans les relations politico-judiciaires est peut-être plus extrême. Mais, chez nous, j’ai néanmoins pu observer, dans nombre de procédures, que la sévérité du monde judiciaire à l’égard des représentants politiques suspectés dans un dossier est plus nette que pour un quidam, même si cela ne se termine pas par de la prison comme chez nos voisins. Il y a une certaine excitation, voire une partialité, quand il s’agit d’un politique connu.»