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Qui veut la peau des superflics? Pourquoi l’OCRC fait l’objet d’attaques répétées

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

La question des moyens alloués aux enquêtes politico-financières ressemble à une ritournelle. L’inculpation du chef de l’anticorruption en est le dernier triste couplet.

Ces dernières années, l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC) a multiplié les «trophées», malgré un nombre d’enquêteurs, divisé par trois en 20 ans, largement insuffisant. Pour ne citer que les plus connus: les enquêtes carolos, le Kazakhgate, Nethys, Serge Kubla, le Qatargate… Bref, toutes les affaires majeures des deux décennies passées. Résultat des courses: Hugues Tasiaux, son chef ad interim durant sept ans, a été démis de ses fonctions et… inculpé pour «violation du secret professionnel» après avoir fait l’objet d’une perquisition en février dernier, à la suite d’une plainte de Marie Arena, inculpée, elle, pour «organisation criminelle» dans le dossier du Qatargate.

Ce n’est pas la première fois que ce service de pointe est malmené. C’est qu’il dérange… Les enquêteurs se disent, depuis de nombreux mois, trop contrôlés par leur hiérarchie et par le monde politique. A l’origine de l’éviction du commissaire Tasiaux: une note du grand patron de la «lutte contre la criminalité organisée» de la Police fédérale imposant aux enquêteurs des offices centralisés –OCRC, Ocdefo (Office central de la lutte contre la délinquance économique et financière organisée), FCCU (Federal Computer Crime Unit)…– de désormais passer par lui avant de transmettre un PV auprès des autorités judiciaires ou administratives. Une note étonnante qu’Hugues Tasiaux a vivement critiquée, dénonçant une mainmise inquiétante et une atteinte à l’intégrité de ses enquêteurs. Il en subit aujourd’hui, à l’évidence, les conséquences.

Les offices centraux, en général, font l’objet d’attaques en règle qui ne disent pas leur nom. Le motif officiel invoqué est toujours celui de la rationalisation. L’OCRC, qui comptait 120 hommes au début des années 2000, ne disposait plus que d’un cadre organique d’une soixantaine d’équivalents temps plein il y a douze ans. Lequel cadre n’était qu’à moitié rempli en 2018 avant d’être porté à une petite cinquantaine en 2019. Depuis lors, il stagne. Un autre service central, l’Ocdefo, a failli être carrément supprimé voici une dizaine d’années, alors qu’il était cité en exemple dans toute l’Europe et au-delà pour avoir enquêté avec succès sur les fameux carrousels TVA qui coûtaient des dizaines de millions d’euros à l’Etat, mais aussi sur les dossiers Questions financières internationales et européennes (QFIE) et «Cash companies» impliquant de grandes banques belges.

C’est une guerre d’usure qui touche les superflics.

C’est le Collège des procureurs généraux qui, en 2013, a sauvé les meubles, plaidant pour le maintien de l’Ocdefo, mais avec un nombre limité et précis de compétences. Dans le cadre d’un plan intitulé «Optimalisation», les effectifs du service sont passés d’une bonne soixantaine à 18 policiers équivalents temps plein et seize fiscalistes détachés du SPF Finances. Il était prévu qu’un maximum d’enquêtes soient décentralisées dans les services de police judiciaire (PJF) des différents arrondissements du pays. Cette réforme a été très critiquée, ne fût-ce que parce que la plupart des enquêtes de l’Ocdefo dépassent le champ opérationnel d’un seul arrondissement.

Deux ans après ce qu’il faut bien appeler le «démantèlement» du service central, le Comité P de contrôle des polices constatait que le cadre prévu pour les enquêtes Ecofin décentralisées était loin d’être rempli, en particulier à Anvers et à Bruxelles où les dossiers de criminalité financière sont les plus nombreux… En 2022, lors d’auditions à la Chambre dans le contexte de la mégaenquête Sky-ECC sur des trafiquants de drogue, le député Ahmed Laaouej (PS) avait souligné qu’avoir «désossé» ce service de pointe constituait une grave erreur historique et qu’aujourd’hui un dossier sur cinq n’était pas traité en raison de la pénurie d’enquêteurs spécialisés.

Au-delà de ces tentatives répétées d’élimination ou de fission, c’est une guerre d’usure qui est aussi menée contre les superflics de ces services. En 2012, les hommes de l’OCRC détachés à Charleroi au sein d’une cellule spécifique pour travailler sur les affaires carolos avaient été poursuivis en justice pour une histoire absurde de notes de frais. La Chambre du conseil les avait totalement blanchis, une bonne année plus tard. Mais le mal était fait: on déplorait stress, burnout, problèmes cardiaques… au sein de l’équipe, sous la pression de cette procédure inédite lancée contre elle. Plusieurs enquêteurs avaient alors choisi de quitter le navire, dégoûtés. Le souci, lorsqu’un limier chevronné s’en va, c’est qu’il faut le remplacer et que la formation sur le terrain de son remplaçant peut prendre des mois, voire des années. Le problème de recrutement est toujours d’actualité à l’OCRC…

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