Unia et le Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire ont publié un rapport sur la maladie mentale en prison. Les établissements pénitentiaires ressemblent de plus en plus à des lieux d’attente qui deviennent des résidences définitives.
Plus de 1.000 détenus dans les prisons belges y résident suite à une mesure d’internement découlant de problèmes de santé mentale, un chiffre record et en augmentation constante depuis 2018. C’est ce que révèle le rapport d’Unia et du Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire qui sera bientôt examiné par la commission justice de la Chambre. Alors que la Belgique voit sa surpopulation carcérale croître avec plus de 13.000 prisonniers pour 11.000 places, le rapport des deux organismes ouvre un nouveau regard sur la gestion des personnes souffrant de graves soucis de santé mentale qui, selon la délégation qui s’est rendue dans six prisons du pays, n’ont rien à faire derrière les barreaux.
Initialement, en Belgique, une personne présentant des troubles mentaux qui commettrait un délit grave (menaçant l’intégrité physique ou psychique d’autres personnes) peut faire l’objet d’une mesure d’internement. Ces personnes passent par la case prison s’il est estimé qu’elles présentent un danger pour la société avant de trouver une place dans un environnement adapté. Généralement, il s’agit de l’établissement de défense sociale –à mi-chemin entre la prison et l’hôpital psychiatrique- de Paifves, en région liégeoise, qui compte 205 places. Sauf que, comme pour les prisons, les institutions pouvant accueillir les personnes concernées sont débordées. En 2020, la Belgique comptait 11.279 lits agréés en hôpitaux psychiatriques (dont seulement 3.270 en Wallonie et 587 à Bruxelles). Auxquels s’ajoutent les 3.684 places dans les services psychiatriques des hôpitaux généralistes. On trouve à peu près le même nombre de lits dans les prisons belges. «Sauf que les prisons augmentent les capacités en transformant une chambre simple en chambre double, par exemple», note Marie Horlin, de la cellule «Convention ONU Handicap» d’Unia, et co-rédactrice du rapport.
L’encadrement légal toujours en retard sur la santé mentale en prison
Cette surpopulation de personnes en situation de détresse neurologique dans les prisons découle, notamment, d’un manque d’encadrement légal qui empêche avant tout d’y voir clair. En fait, le chiffre avancé plus haut des 1.000 personnes sous mesure d’internement qui séjournent en prison est à mettre en contraste avec le nombre total de détenus en situation de détresse mentale, voire psychiatrique. «L’identification et le diagnostic mental d’un détenu sont une compétence propre à chaque prison», explique Marie Horlin. Un détenu diagnostiqué en mauvaise santé mentale à Lantin ne le sera peut-être pas à Haren, ou vice versa. «Or, dans la société libre, une personne sur cinq présente des troubles psychiques. En prison, on estime ce nombre à une sur deux.»
«Ces personne ne sont plus placées selon leurs besoins, mais selon les emplacements disponibles», déplore Sarah Grandfils, membre du bureau du Conseil Central de Surveillance Pénitentiaire. La justice fait ce qu’elle peut avec ce qu’elle a. D’abord, parce que la loi ne définit pas clairement la notion de trouble psychiatrique, dont le diagnostic est à charge d’un psychiatre. Mais aussi parce qu’il n’existe pas de statut juridique pour les personnes dont la situation psychique ou psychiatrique, internées ou non, est particulière. Alors, ceux qui doivent être placés dans un établissement de défense sociale (comme à Paifves), le sont finalement dans l’aile psychiatrique d’une prison. «C’est le cas à Gand, où 200 personnes de régimes différents sont mélangées et dorment parfois sur un matelas à même le sol», explique la juriste.
«La solution, c’est un parcours de soin efficace et complet»
Comment sortir de l’impasse? «Le temps d’attente pour quitter les prisons suite à une décision d’internement est parfois de plusieurs années, et la santé mentale du patient-détenu s’y aggrave pendant ce temps», dénonce Marie Horlin. Une situation tout aussi grave qu’inégale, établit le rapport, puisque la Belgique a déjà été épinglée à ce sujet, en 2017, par le Comité pour la prévention de la torture. En décembre 2024, le Conseil de l’Europe a adopté une résolution priant la Belgique de se conformer aux obligations internationales en matière d’internement et lui demandant d’augmenter les places pour les personnes internées en dehors des prisons.
Puis, rappellent plus simplement les deux rédactrices du rapport, les personnes en mauvaise santé mentale n’ont rien à faire en prison, et les y placer n’est rendre service à personne. «La prison ne permet pas de prendre en charge le profil santé ou neurologique de ces personnes», rappelle Marie Horlin. Car –on le sait– les agents pénitentiaires sont déjà en sous-effectifs. «Et ces personnes ont besoin de soin, complète Sarah Grandfils. La raison pour laquelle ils passent à l’acte se trouve souvent dans l’absence de prise en charge. Sauf que les centres de soin refusent généralement les personnes sans-papiers, les auteurs d’infractions à caractère sexuel, ou les personnes sujettes à des addictions. Pourtant, la solution, c’est un parcours de soin efficace et complet.»
Cela convoque plusieurs compétences politiques, et à plusieurs niveaux de pouvoir. Lueur d’espoir: il y a du mouvement. La loi sur l’internement qui avait pour but –en vain– de restreindre le nombre de mesures d’internement fait l’objet d’une analyse par l’Institut National de Criminalistique et Criminologie (INCC) à la demande du ministère de la Justice. Le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit), voudrait également s’impliquer dans le processus. D’ici-là, le rapport d’Unia et du CCSP appelle à mettre en place des alternatives à la détention en prison et à se plier aux demandes du Conseil de l’Europe.