La surpopulation carcérale a agité le débat politique jusqu’au dernier Conseil des ministres de 2025. Hans Claus, ancien directeur de la prison d’Audenarde, propose une analyse surprenante. Pour lui, les drogues sont la cause de la surpopulation carcérale. «On ne peut pas éliminer les stupéfiants par le biais du droit pénal»
La surpopulation dans les prisons reste un problème insoluble. «3.200 criminels condamnés sont en liberté en Belgique parce qu’ils ne peuvent pas être incarcérés», titrait le 23 décembre dernier le journal De Morgen. Plus de 600 détenus sont contraints de dormir à même le sol en Belgique. Chaque semaine, 25 nouveaux détenus viennent s’ajouter à ce nombre. La ministre de la Justice Annelies Verlinden (CD&V) plaide donc en faveur d’une extension de la loi d’urgence existante et d’une libération anticipée des détenus.
«Mais ce n’est qu’une mesure d’urgence», réagit Hans Claus, ancien directeur de la prison d’Audenarde, qui a pris sa retraite l’année dernière. «Au cours de ma carrière, j’ai connu pas moins de 30 à 40 mesures de ce type. Mais cela n’a bien sûr rien à voir avec des solutions structurelles.»
Quelle est votre analyse de la surpopulation dans nos prisons?
J’ai travaillé pendant 40 ans dans des prisons (NDLR: notamment à Gand, Bruges, Saint-Gilles et Termonde). Dans les années 1980, il n’y avait absolument pas de surpopulation et certaines sections étaient même vides. Puis, ces sections se sont progressivement remplies, jusqu’à être surpeuplées. Très tôt dans ma carrière, j’ai commencé à tenir des statistiques sur cette population carcérale. Quand j’ai débuté en 1986, presque personne n’était derrière les barreaux pour des affaires de drogue. Quand j’ai quitté la prison Nieuwe Wandeling à Gand en 1997, les détenus incarcérés pour des affaires de drogue représentaient déjà près de 40% de la population carcérale.
Et aujourd’hui?
Environ 60%. Vous pouvez bien sûr aussi vous retrouver en prison pour vol, afin de payer vos dettes de drogue. L’escroquerie et l’extorsion sont également monnaie courante lorsque vous vous livrez au commerce illégal. Ces 60% concernent donc les délits liés à la drogue. Il s’agit soit d’infractions directes à la législation sur les stupéfiants, soit de délits «ordinaires» tels que l’escroquerie, le vol et l’extorsion, qui sont liés à ces drogues illégales.
Lutter contre la drogue à l’aide du droit pénal est un choix. Dont on paie encore le prix très cher aujourd’hui.
Pourquoi?
Parce que cette lutte est bien sûr impossible à gagner. On ne peut pas éradiquer une drogue à l’aide du droit pénal. En réalité, nous aurions dû le savoir dès le départ: si nous nous lançons dans cette voie, nous nous retrouverons dans une situation sans issue. Nous avons finalement évolué vers une guerre contre la drogue. Mais toute guerre doit tôt ou tard aboutir à un cessez-le-feu. Nous en sommes prêts.
«La détention provisoire est encore trop souvent utilisée comme une sanction. Introduisons donc au moins un plafond, par exemple de deux mois, pour les infractions liées à la drogue»
Hans Claus
Faut-il en conclure que retirer les drogues du code pénal résoudrait le problème de la surpopulation carcérale?
Ce n’est bien sûr pas aussi simple. Ce qui a été construit au fil des ans ne peut être démantelé que progressivement. Mais il faut agir. D’autant plus que nous devons constater que l’objectif –réduire la consommation de drogues– n’a absolument pas été atteint. Il faut alors se demander si l’on a utilisé le bon moyen. Et il s’avère que le droit pénal ne l’est pas. Il faut donc réduire progressivement cette composante pénale.
C’est-à-dire?
La détention provisoire est encore trop souvent utilisée comme une sanction, alors qu’elle n’est pas censée l’être. C’est pourquoi je propose d’introduire, au moins pour les infractions liées à la drogue, un plafond, par exemple de deux mois. Commençons par là.
Vous souhaitez aller encore plus loin, voire réduire de moitié les peines infligées pour les infractions liées à la drogue?
En effet. Les peines que nous prononçons en Belgique sont beaucoup plus longues que celles prononcées aux Pays-Bas, par exemple. Pourtant, nos pays ne sont pas si différents. Mais derrière les murs de la prison, cela fait une grande différence. Si vous prononcez des peines longues, les détenus occupent naturellement une cellule. Pour les personnes qui ont un véritable problème de drogue, il n’est pas bon de rester longtemps derrière les barreaux, où rien n’est fait pour résoudre ce problème. En raison de la surpopulation carcérale, le peu d’aide qui existe encore ne parvient même plus jusqu’aux détenus.
Ce n’est pas tout: vous incarcérez des personnes qui n’ont jamais touché à la drogue, mais qui finissent par sortir de prison dépendantes. Il est donc logique de ne pas les incarcérer trop longtemps, mais de les orienter vers des services d’aide le plus rapidement possible.
Cela semble effectivement logique. Mais cela ne se produit pas.
Au cours de ma carrière, j’ai observé un cycle bien défini. On commence par s’attaquer aux consommateurs de drogue. Ensuite, on se concentre sur les dealers. Mais finalement, ceux-ci ne sont que des petits larbins. On se met donc à traquer les chefs de gang, qui sont eux-mêmes dirigés par des parrains de la mafia. Et à terme, on se dit: violons le secret postal. Nous avons donc piraté Sky ECC. Cela nous a permis de remonter la filière en suivant le principe «follow the money». C’est ce qui a été fait. Des centaines de dossiers ont pu être ouverts. Cela a entraîné une augmentation considérable du nombre de détenus, en particulier dans la région d’Anvers.
Et aujourd’hui, plusieurs années plus tard, la consommation de drogue a-t-elle diminué? La réponse est non. Au contraire, nous assistons à une escalade, accompagnée d’une recrudescence de la violence, avec des bombes et des grenades dans les rues. Le choix initial de résoudre le problème de la drogue par le biais du droit pénal s’avère donc être une impasse. Pire encore, il entraîne une dangereuse escalade.
Et que s’est-il passé entre-temps? On a suivi la piste de l’argent, vers le haut, mais on constate que cela n’aide pas encore. On recommence donc à infliger des amendes aux personnes qui font la queue sur la place de Bethléem à Saint-Gilles. Retour à la case départ: on s’en prend à nouveau aux consommateurs.
«Je ne préconise pas de ne plus punir du tout les infractions liées à la drogue. Mais à un moment donné, il faut bien mettre en place une stratégie de désescalade»
Vous ne trouvez pas que la politique de répression immédiate du procureur bruxellois Julien Moinil soit une bonne idée?
Une guerre se caractérise par le fait que les armes deviennent toujours plus puissantes et plus violentes. Mais à un moment donné, cette guerre doit tout de même prendre fin. Julien Moinil fait à Bruxelles ce que nous faisons systématiquement en Belgique depuis des décennies, à savoir intensifier le combat à chaque fois et utiliser de nouveaux moyens. Mais en réalité, cela ne fait qu’exacerber la violence dans les rues.
Le ministre Verlinden propose désormais de libérer les détenus jusqu’à un an avant la fin de leur peine. Une bonne idée?
Il s’agit d’une mesure d’urgence. Si vous ne la prenez pas, une situation très dangereuse va se créer. Les mesures d’urgence sont actuellement nécessaires, car la situation dans les prisons est devenue tellement ingérable et dangereuse, et tellement dramatique en termes de droits de l’homme, qu’il s’agit simplement d’une mesure supplémentaire permettant de relâcher un peu la pression.
Comment faudrait-il procéder, alors?
Une solution structurelle implique que l’on respecte les capacités limitées du système pénal, car on sait qu’elles sont utilisées à bon escient avec les détenus. J’en arrive ainsi au changement de paradigme général et structurel que je préconise depuis des années: travailler à plus petite échelle, avec des centres de détention plus petits, etc. Cette capacité doit éventuellement être élargie en cas de crise sociale.
Dépénaliser les drogues ne semble pas être un scénario réaliste sur le plan politique et social.
Je ne préconise pas non plus de ne plus punir du tout les infractions liées à la drogue. Mais à un moment donné, il faut bien mettre en place une stratégie de désescalade.
Aucun politicien ne veut se brûler les doigts de cette manière…
Je vais chaque semaine parler dans une salle paroissiale quelque part. Et quand j’explique la situation, les gens sont plutôt réceptifs. Quand on prend un peu de recul pour regarder les choix que nous avons faits, on constate que les résultats se font attendre. Il faut oser l’expliquer à la population, non ?
On peut tout de même attendre de nos dirigeants politiques qu’ils brossent un tableau complet de la situation et ne se contentent pas de suivre les instincts primaires de la masse, n’est-ce pas? Car cela mènerait tout droit à la catastrophe. C’est donc une question de courage politique. Tant que celui-ci fera défaut, rien ne sera résolu. Ni les problèmes de surpopulation carcérale, ni les problèmes liés à la drogue en soi.