Alain Jollois, un faux lord au Pays noir: la folle histoire de cet arnaqueur arrêté lors d’un karaoké à Charleroi (récit)

Escroc professionnel, Alain Jollois a tour à tour endossé le costume d’espion, d’émissaire du président français ou du riche héritier suisse. En 40 ans d’activité, il a arnaqué des dizaines d’innocents comme des villes entières. Puis il a jeté son dévolu sur Charleroi. Où ça ne s’est pas très bien fini pour lui…

Un malheureux ticket a fait vaciller l’un des plus grands orfèvres français de l’escroquerie. Alain Jollois avait pourtant pensé à tout à son arrivée à Charleroi, au début du mois d’octobre 2024. Il s’était trouvé un nom –Andrew McGregor–, un titre –lord écossais–, un garde du corps assez malléable –Benoît (1)– et l’excuse crédible d’être en transit, dans l’attente de la réparation de sa luxueuse Range Rover, laissée en France.

Comme à son habitude, il a aussi pris soin de poser ses griffes sur une victime, Lucie. Il lui «empruntait» des centaines d’euros chaque semaine pour se permettre des dépenses à la hauteur de son statut. Le natif de Saint-Germain-en-Laye affirmera plus tard le contraire, mais il n’avait en revanche vraisemblablement pas prévu qu’une ingénieure sociale urbaniste à haut potentiel, sorte de Morgane Alvaro de la série HPI, la vulgarité en moins, découvrirait sa véritable identité sur une contravention. Pas plus qu’il n’aurait pu imaginer son arrestation dans un bar du centre de la cité carolo, en pleine soirée «karaoké casserole», un concept qui célèbre les pires chanteurs.

«A tout autre moment, j’aurais crié à l’olibrius. Là, je me suis dit “pourquoi pas?”»

Un CV en acier

«A tout autre moment, j’aurais crié à l’olibrius. Là, j’étais dans l’angoisse et j’avais face à moi une personne sûre de son coup. Je me suis dit « pourquoi pas ? »…» Etienne Grandchamps est bouquiniste depuis 40 ans à la Galerie de la Bourse. Ouvert «de quand je me lève à quand je me couche», son magasin est avant tout dédié aux livres de seconde main, mais sa vitrine recèle quelques fantaisies, comme des monnaies internationales ou ce DVD de témoignages de vétérans du Rwanda. Le jour où Alain Jollois y fait son apparition, Israël vient d’entamer ses bombardements au Liban, où vit l’une des filles d’Etienne avec sa famille. «J’expliquais à un client qu’on s’inquiétait quant aux possibilités de rapatriement, déroule le libraire, la main gauche prête à s’emparer d’un ouvrage sur le kayak. Dans la file, un homme a pratiquement levé son doigt pour proposer deux façons de nous aider. Il se disait proche à la fois de François Hollande et des services secrets britanniques.» La fille d’Etienne privilégiera finalement les voies officielles, mais la graine est plantée

Le mystérieux Andrew McGregor commence alors à fréquenter le bistrot de la deuxième descendante du bouquiniste, où les deux hommes partagent bientôt un café ou un apéro. «C’était un personnage souriant, jovial, avec beaucoup d’à-propos», dépeint le sexagénaire. «En plus, il était bon public avec mes mauvaises blagues –et avec moi, si tu ris, tu es mon copain.» Etienne est alors loin de s’imaginer qu’il côtoie l’un des plus grands escrocs français de ces 40 dernières années. Un homme capable de se présenter comme l’émissaire du président de la République, mandaté pour organiser une rencontre entre chefs d’Etat à Amiens. Un malin aux blases éphémères –Daniel Cohen, Daniel Goldenberg, Laponie Hallan, Andrew Alan Itzac Fraser of Lovat…– qui trompe la ville entière de Périgueux en affirmant que Julia Roberts s’apprête à y tourner un film. Ailleurs, il dit être en repérage pour le tournage du prochain Spielberg, ou envoyé en mission secrète par l’armée britannique. A chaque fois, il profite de la crédulité de ses contacts pour bénéficier d’un toit, une table, une voiture, un zodiac, du cash. Parfois, il disparaît. Parfois, il se fait prendre. A l’automne 2024, son CV liste déjà huit condamnations en France lorsqu’il franchit en train la frontière via Charleville-Mézières.

Valdoche, Strip-Tease et araignée

Lucie est la première à rencontrer Alain Jollois à Charleroi. Un jeudi, à l’entrée de l’hôtel Ibis situé en face de la gare. Cette ancienne prof de français, d’espagnol et de latin traverse alors une période critique. «Mon compagnon de près de 20 ans m’avait laissé tomber quelques mois plus tôt, grince-t-elle encore. Il avait dépensé notre argent destiné au loyer pour s’acheter de la « farine des rues », ce qui a provoqué mon expulsion de l’appartement pour impayés. Comme le CPAS n’a pas voulu de moi, j’ai puisé dans l’héritage de mon papa pour m’installer à l’Ibis à la fin janvier 2024.»

Lucie fait donc partie des meubles de l’établissement quand elle aperçoit deux hommes en pleine discussion animée, un soir d’octobre. Le réceptionniste, un comparse de cigarette, lui confie que leur carte de banque ne passe pas. La Carolorégienne se propose alors d’avancer la nuit et un peu d’argent de poche, «environ 500 euros». Elle s’engage parce qu’elle est tranquillisée par le discours de l’un d’eux, qui se dit lord écossais, fortuné et bien embêté par la situation. Cette ancienne SDF a un peu pitié, aussi. «C’étaient deux vieux, ils n’avaient qu’un petit K-Way et surtout une valdoche remplie de médocs. Ils n’auraient jamais survécu à la nuit… surtout à Charleroi, le little Chicago of Belgium.» Le fameux seigneur, Andrew McGregor, promet un remboursement une fois récupéré son portefeuille, oublié dans sa voiture de luxe en panne en France.

En réalité, Alain Jollois vient de refermer son piège sur sa proie et se servira de ses finances pour asseoir son histoire, pour légitimer auprès d’autres contacts son rôle de lord brièvement de passage au Pays Noir. Avec l’argent de Lucie, le Français achète des vêtements de marque et fréquente quelques adresses branchées où sa bonhomie et son apparente générosité facilitent les rencontres. L’homme a du bagou, parvient à transporter son audience en Ecosse à la force de ses mots drôles et passionnés. Puis il a de la culture générale, il peut donner le change tant en matière de vin que d’investissements immobiliers ou d’Horeca.

Sophie Lebeau accroche avec ce joyeux voyageur autour d’un verre en terrasse, introduite par Etienne Grandchamps. «On a notamment parlé d’humour belge, il m’a donné son numéro pour que je lui envoie des séquences cultes de Strip-tease, raconte cette ingénieure sociale urbaniste, les bras aux tatouages fleuris. A partir du lendemain, il m’a régulièrement envoyé des messages pour me dire ce qu’il faisait, me demander des nouvelles. Le courant passait bien, donc on a commencé à se voir tous les deux ou trois jours.»

Sophie n’a pas spécialement d’argent –«Je suis une mère célibataire classique»– mais elle est une cible de choix vu le large réseau qu’elle possède au centre-ville et dans le milieu artistique. C’est d’ailleurs à ses côtés qu’il croise Julie Patte, alors bourgmestre faisant fonction. Il tisse aussi sa toile d’araignée auprès des boutiquiers de la Ville-Basse, se rapproche d’un député fédéral et d’un client franc-maçon du salon de coiffure Renzo. Pour mieux appréhender cette cité qu’il prétend vouloir mettre en valeur afin d’attirer des investisseurs écossais? Plutôt pour repérer une nouvelle victime. Parce qu’après quelques semaines, l’héritage du père de Lucie se liquéfie dangereusement

Le thé de la grande vie

Il faut dire que McGregor et Benoît mènent la grande vie. Prétextant d’obscurs retards dans la livraison de sa voiture, le premier parvient même à obtenir de Lucie une carte de banque prépayée qu’elle recharge régulièrement. «J’avais trop bon cœur et j’ai été prise dans un engrenage», juge l’intéressée. Convaincus à l’époque que ce lord survient à ses propres besoins, ceux qui ont côtoyé Lucie aux côtés de Jollois comprendront seulement plus tard pourquoi il la maintenait isolée, certains assurant même qu’il l’approvisionnait en bouteilles de vin pour la museler. «Quand ils voulaient faire du padel, on achetait de bonnes raquettes. A la piscine, je leur payais des maillots. Puis Andrew offrait des tournées, invitait des groupes entiers au resto…»

Au centre du boulevard Joseph Tirou, Jollois visite régulièrement un magasin de thés à la fois coloré et parfumé qui propose des dégustations gratuites. Il s’y montre vantard et dépensier. «Il a acheté plusieurs paniers à 200-300 euros avec des thés à 90 euros les 100 grammes, se souvient Clara, une vendeuse au nez percé. Ses emplettes lui donnaient droit à des petites boîtes à thé métalliques qu’il offrait ensuite en cadeau à des commerçantes du coin pour se faire bien voir.»

«C’est un très bon acteur. Quand il entre dans la peau d’un personnage, il se plonge à fond dans le rôle.»»

En tout, Lucie estime s’être fait dérober quelque 40.000 euros, la justice limite le préjudice à une dizaine de milliers. Mais il n’y a pas que l’argent. Avec ses nouveaux amis, Andrew est certes trop rusé pour se montrer précis dans ses projets, mais il lance des bouquets de promesses. Il entend faire entrer la fille de Sophie en médecine à Cambridge. Il compte acheter la maison de Mont-sur-Marchienne qu’il a visitée avec Lucie, avant de lui louer. Même Benoît semble bluffé par les engagements de son employeur. Plutôt victime que complice, ce Martiniquais d’origine, passé par la Légion étrangère, a été recruté par Jollois dans un bus parisien alors qu’il fréquentait un centre pour SDF. Il n’a pas pu cracher sur ce poste de garde du corps à 5.500 euros par mois et la perspective de déménager sous peu en Ecosse. «On l’aura vue, l’Ecosse, lance Lucie. Dans Braveheart

L’amende fatale

A chaque fois que ses proches ont le moindre petit doute –qu’ils gardent pour eux– McGregor en rajoute une couche qui le rend miraculeusement exempt de tout soupçon. Quand Etienne Grandchamps lui présente un ami fan de whisky, il se montre intarissable sur le sujet. Quand Sophie Lebeau lui demande pourquoi il n’a pas d’accent, il rétorque qu’il a travaillé avec un orthophoniste pour le gommer. «C’est un arnaqueur professionnel, pose Sophie. Ça fait plus de 40 ans qu’il travaille ça, c’est son métier. Puis c’est un très bon acteur. Quand il entre dans la peau d’un personnage, il se plonge à fond dans le rôle.» Au point de se mettre en danger…

«Si je ne jouais pas bien la partition, il allait se tailler.»

A force de répéter que sa nature rêveuse l’empêche de se consacrer à sa comptabilité, Sophie insiste pour s’en occuper. Benoît apporte alors un sac à dos entier de tickets de caisse et de souches mal pliés chez la quadragénaire. «Ses dépenses en France se situaient entre 500 et 1.000 euros par mois, expose Sophie, photos de ses tableaux de calcul à l’appui. A partir de son arrivée en Belgique, les sommes se sont envolées: plus de 11.000 euros en octobre et près de 10.000 en novembre.» La Carolorégienne est surprise. Ce n’est pas fini. Elle tombe ensuite sur deux amendes de la SNCB datées du jour de l’arrivée du duo en Belgique. L’une d’elles est au nom d’un certain Alain Jollois. Sophie tape son nom dans Google. Elle découvre un CV d’escroc long comme un bras. «J’ai d’abord eu envie d’en parler à tout le monde, mais si je ne jouais pas bien la partition, il allait se tailler», rejoue l’enquêtrice amateure. Etant HPI comme lui, je savais qu’il pouvait décrypter le non-verbal, il fallait donc que je l’évite.»

Sophie prétexte un mal de tête pour reporter un rendez-vous prévu le vendredi, mais les inspecteurs à qui elle livre son témoignage et les documents le samedi lui demandent de maintenir le karaoké du soir même. Arrivée au bar avant lui, elle les avertit par message de l’arrivée de Jollois, qu’elle désigne discrètement. Il est cueilli sur le coup de 22 heures. «Orgueilleuse, je me suis avancée pour lui dire que je l’avais eu à son propre jeu. Il m’a regardé très méchamment, sans un mot. J’ai alors vu toute la noirceur de son âme.»

Sept mois plus tard, Alain Jollois est condamné à trois ans de prison ferme et 8.000 euros d’amende au terme d’un procès rythmé par ses fantaisies. Quand il ne feint pas un infarctus lors d’une audition, il entre dans un mutisme total, les yeux rivés sur son livre, ou tente grossièrement d’amadouer la juge. Lui se dit persuadé d’être victime de sa réputation. Mais ses explications restent vagues. De la prison de Saint-Hubert où il réside, Aain Jollois n’a pas donné suite à notre demande de le rencontrer.

Restent alors les hypothèses de ceux qui l’ont côtoyé de près, comme Etienne Grandchamps. «Au mieux, c’est une sorte de gigolo qui extorque les vieilles femmes; au pire, c’est un Landru… J’espère sans le fourneau. Moi, je n’ai rien perdu et, bizarrement, j’éprouve une forme de sympathie pour le personnage. Ce n’est pas le syndrome de Stockholm.» C’est l’effet Alain Jollois.

(1) Le prénom a été modifié

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