Les enquêteurs tentent de vérifier ou infirmer les justifications de Didier Reynders sur l’origine du cash qui était en sa possession. En suivant la piste de ventes d’œuvres d’art supposées, ils ont perquisitionné un antiquaire du Sablon ainsi que l’ex-bras droit du ministre et Commissaire européen, Jean-Claude Fontinoy.
L’enquête se déroule dans une grande discrétion, depuis la révélation début décembre des perquisitions et auditions de l’ex-ministre et Commissaire européen Didier Reynders (MR) et de son épouse, la magistrate honoraire Bernadette Prignon. Mais cette enquête, qui porte pour l’instant sur des soupçons de blanchiment d’argent, avance. Et la discrétion a été légèrement écornée ce lundi: le journaliste indépendant Philippe Engels a en effet révélé que l’antiquaire et vendeur d’art Olivier Theunissen avait été perquisitionné en juin dernier dans le cadre de ce dossier Reynders. Les enquêteurs de la police judiciaire fédérale (PJF), sur mandat du conseiller instructeur Olivier Leroux, se sont rendus dans sa boutique du quartier du Sablon ainsi qu’à son domicile. Ces perquisitions sont confirmées par le parquet général de Bruxelles.
Le Vif, avec ses partenaires du Soir, du Standaard et de Follow The Money, révèle en outre que, le même jour de ces visites impromptues chez l’antiquaire bruxellois, le 5 juin, les enquêteurs de la PJF se sont rendus au domicile de Mozet (province de Namur) de Jean-Claude Fontinoy pour une autre perquisition simultanée. Toujours dans le cadre de cette enquête pour «blanchiment» contre le libéral et son épouse. Fontinoy était l’ancien président du conseil d’administration de la SNCB et fidèle et dévoué conseiller ministériel de Didier Reynders durant 20 ans. Le parquet général ne confirme pas cette autre perquisition du mois de juin.
Vérifier les dires de Didier Reynders
«Je n’ai pas de commentaire à faire», a laconiquement répondu M. Fontinoy, contacté ce lundi par téléphone. Même son de cloche du côté d’Olivier Theunissen, qui ajoute seulement qu’il n’a «jamais» vendu ou acheté des œuvres à Didier Reynders. «Je regrette simplement qu’il y ait la presse de gauche qui raconte n’importe quoi», a balayé l’antiquaire du Sablon. L’avocat de Didier Reynders, Me André Renette, a répondu qu’il n’avait pas de mandat pour communiquer. Le conseil de Mme Prignon n’a pas donné suite.
Selon nos informations, Didier Reynders, comme son épouse, n’ont pas encore été réentendus depuis leurs seuls interrogatoires du 3 décembre dernier. Les enquêteurs vérifient des allégations de l’ancien ministre des Finances et des Affaires étrangères quant à l’origine de l’argent cash qu’il est soupçonné d’avoir tenté de blanchir. Pour établir la qualification de «blanchiment», il «suffit» au ministère public de démontrer que le suspect n’est pas en mesure de justifier l’origine des fonds.
Sans doute plus d’un million d’euros à justifier
Comme Le Soir l’avait révélé en début d’année, Didier Reynders a déposé en liquide, sur son compte à vue chez ING, jusqu’à 800.000 euros sur une longue période. La Cellule de traitement des informations financières et le parquet général ont trouvé des traces de dépôts remontant à 2008. Il a fallu attendre 2018 pour qu’ING interroge son client sur l’origine de ces fonds. Ainsi, mi-2018, Didier Reynders –seul ou avec son épouse, on l’ignore encore– a commencé à jouer massivement à des jeux d’argent de la Loterie nationale. Notamment environ 200.000 euros cash misés au travers de e-tickets (des coupons de jeu numériques) plafonnés à 500 euros par semaine et permettant de miser sur plusieurs types de jeux. Mais une vendeuse de la station-service uccloise fréquentée par Didier Reynders, avec qui Le Soir s’était entretenu en janvier dernier, assurait que le Commissaire européen venait les bras chargés de parfois jusqu’à 3.000 euros en liquide. Il se reversait les gains sur son compte ING et re-misait avec de l’argent frais, au moins jusqu’en 2023. Surtout, d’après ce témoignage de la vendeuse confirmé de source judiciaire, M. Reynders ne jouait pas «que» via les e-tickets. La somme d’un million d’euros au total à justifier par le couple Reynders –800.000 en dépôts bancaires plus 200.000 en jeux de hasard– pourrait donc être sous-estimée.
M. Reynders aurait justifié cette frénésie de jeu par une addiction à la loterie. Une affirmation mise en doute par l’analyse de la Loterie nationale. L’organisme public a remarqué que, pour des addicts aux jeux, le couple Reynders ne réinjectait jamais ses gains dans davantage d’e-tickets, mais encaissait sur son compte et remettait au pot avec de l’argent neuf. Un comportement «atypique» qui ne correspond pas aux habitudes d’un joueur compulsif.
Reynders a livré l’explication des œuvres d’art à ING
Pour le volet des dépôts en liquide, préalable à cette supposée addiction aux jeux, Didier Reynders a expliqué tant aux enquêteurs le 3 décembre 2024 que lorsqu’ING l’a interrogé en 2018, qu’il avait du cash en sa possession en raison de (re)ventes d’œuvres d’art ou d’antiquités. C’est dans ce cadre que la PJF a visité la boutique et le domicile d’Olivier Theunissen, mais aussi de Jean-Claude Fontinoy, lui aussi grand amateur d’art.
D’après nos informations, le conseiller instructeur Leroux –un ancien juge d’instruction notamment en charge en co-saisine de la méga-enquête sur les attentats de Bruxelles– cherche à vérifier si, oui ou non, l’origine du cash peut s’expliquer par du commerce d’art et d’antiquités.
Theunissen et Fontinoy, deux noms connus de la justice
Les noms d’Olivier Theunissen et de Jean-Claude Fontinoy ne sont pas inconnus des autorités judiciaires. En effet, dans une dénonciation pour «blanchiment» contre Didier Reynders réalisée mi-2019 par l’ex-agent de la Sûreté de l’Etat Nicolas Ullens (qui sera par ailleurs prochainement jugé aux assises pour le meurtre de sa belle-mère), celui-ci accusait M. Fontinoy de blanchir des fonds issus de pots-de-vin présumés au travers de fausses ventes d’œuvres d’art. Pour lui-même et pour son patron, Didier Reynders. Le texte de cette plainte, que Le Soir avait pu consulter à l’époque, mentionnait Olivier Theunissen. Dans le livre Le Clan Reynders paru en 2021, le journaliste Philippe Engels dévoilait des rendez-vous réguliers de M. Fontinoy au Sablon sur base d’agendas de ses chauffeurs à la SNCB. La dénonciation avait été rapidement classée sans suite par le parquet général à l’époque. Olivier Theunissen n’avait jamais été inquiété avant ces perquisitions de juin 2025.
Quant à Jean-Claude Fontinoy, deux enquêtes judiciaires l’ont concerné. La première au sujet d’un pot-de-vin présumé qui aurait été versé au conseiller de l’ombre de Didier Reynders par feu le Baron Aldo Vastapane pour «débloquer» le dossier des fonds libyens. Un témoin-clé du versement de ces 50.000 euros s’étant rétracté devant la juge d’instruction, M. Fontinoy –qui a toujours démenti– a bénéficié d’un non-lieu l’année dernière dans cette affaire. Une autre information judiciaire avait été précédemment ouverte et confiée à l’Office central pour la répression de la corruption (OCRC). Elle s’intéressait au patrimoine immobilier hors du commun de la famille Fontinoy. Interrogé ce lundi, le parquet de Namur n’a pas souhaité indiquer si cette enquête –que plusieurs sources nous disaient moribonde il y a quelques années déjà– était toujours en cours ou pas.