Bart De Wever a-t-il bien fait de comparer les pensions des magistrats et des politiques? Pas sûr… © Martin Bertrand

A «8.000 euros par mois», les magistrats sont-ils les pensionnés les mieux lotis du royaume, comme l’affirme Bart De Wever?

Clément Boileau
Clément Boileau Journaliste

Le Premier ministre estime que les magistrats ont une pension confortable et doivent donc contribuer aux efforts d’économies en tant «qu’épaules les plus larges», au même titre que les politiques dont lui-même fait partie. Si, côté chiffres, Bart De Wever est plutôt dans le vrai, la comparaison ne tient pas (du tout) la route.

«Ils touchent les pensions les plus élevées de toute la Belgique. Comme moi, je fais de la politique depuis longtemps, je vais aussi toucher le maximum, ce sont des pensions qui vont jusque 8.000 euros par mois –c’est beaucoup. Quand on a des épaules larges et qu’on n’est pas capable de dire: « OK, je laisse tomber un tout petit peu d’index pour les prochaines années », ce qui fait perdre quelques centaines d’euros chaque mois sur une pension de 8.000 euros, je ne sais pas comment je pourrais convaincre la société si ces épaules larges rejettent cette économie pourtant acceptable, comme si c’était la fin du monde.»

Interviewé par la RTBF sur les 100 premiers jours de son mandat à la tête du gouvernement fédéral, le Premier ministre Bart De Wever (N-VA) a défendu en ces termes les manœuvres de l’Arizona pour raboter les pensions des magistrats du pays (réforme qui qui touche théoriquement les fameuses «larges épaules», dont par exemple, des professeurs d’université). Concrètement, il s’agit de plafonner leur indexation (au moins jusqu’en 2029). Il a été rejoint par son collègue socialiste chargé de la santé publique, le vice-Premier Frank Vandenbroucke (Vooruit). «Le gouvernement investit dans la justice malgré des économies sur tous les fronts, et pas qu’un peu», a estimé ce dernier, exprimant au passage «très peu de compréhension» envers les magistrats, qui multiplient les actions de protestation ces dernières semaines pour défendre leurs pensions. Ces derniers abusent-ils vraiment de leur pouvoir pour défendre un privilège, comme le sous-entend le gouvernement?

De bonnes pensions, mais…

Côté chiffres, et dans l’absolu, le Premier ministre est plutôt dans le vrai: les magistrats, en tant que fonctionnaires bénéficiant d’un régime spécial, se situent dans la tranche haute pour ce type de pension, d’après les données les plus récentes (2023) du service fédéral des pensions; autour de 7.000 euros brut. Mais, selon le collège du ministère public, si le gouvernement applique bien les mesures annoncées, les magistrats risqueraient toutefois de perdre, à terme, entre 30 et 40% de leur pouvoir d’achat. Une perte sans doute un peu plus élevée que les «quelque centaines» d’euros évoquées par le Premier ministre. En cause, comme le souligne le collège, l’absence de mesure transitoire et le fait «qu’à partir de 2027, il faudra être nommé avant 27 ans et racheter ses années d’étude pour bénéficier encore d’une pension complète…»

Salaire différé

En réalité, ce rabotage des pensions des magistrats n’est d’ailleurs pas le principal problème, ainsi que ces derniers le crient dans toutes les langues. Le problème, ce sont les conditions de travail actuelles et le manque de moyens humains et matériels dont pâtit l’ensemble de l’institution judiciaire, dont les budgets sont aujourd’hui ultra-contrôlés. «Suite aux désinvestissements des gouvernements précédents, le gouvernement Michel a pris une série de mesures qui ont entraîné une économie de 16% sur la justice et l’ont soumise à des contrôles budgétaires constants, ce qui signifie, par exemple, qu’il faut maintenant plus d’un an pour remplacer un magistrat (sous réserve que le budget soit disponible). Ensuite, il y a eu des investissements d’une catastrophe à l’autre. Souvent temporaires, plus du football panique que de l’investissement structurel», s’émeut le procureur général près la Cour d’appel de Bruxelles, Frédéric Van Leeuw, au diapason de la fronde actuelle.

«Il ne s’agit pas d’un débat sur le confort, mais sur le respect.»

C’est que la pension «haute» des magistrats serait à considérer comme du salaire différé, ainsi que le clame notamment l’ASM, l’association syndicale des magistrats. Pour résumer: puisque ces derniers travaillent autour de 54 heures (voire plus) au lieu de 40 heures par semaine, du fait que leur charge de travail ne peut être différée, la pension élevée vient rattraper ces heures supplémentaires jamais officiellement comptées.

«Il ne s’agit pas d’un débat sur le confort, mais sur le respect», se sont émus de jeunes magistrats dans une lettre ouverte fin avril, faisant remarquer qu’ils ne bénéficient «d’aucun avantage extralégal, contrairement à la plupart des secteurs professionnels, qu’ils soient publics ou privés.»

Comparaison malvenue

Et c’est sans doute sur ce dernier point, celui des avantages et privilèges divers, que la comparaison entre la pension d’un Bart De Wever et celle d’un magistrat peut paraître particulièrement malvenue. Non pas sur le montant de la pension en elle-même, mais sur la qualité de vie professionnelle qui aura donné droit à cette fameuse pension «haute» a priori similaire. Parle-t-on vraiment de la même chose? Un simple exemple: lorsque le Premier ministre profite d’une voiture avec chauffeur et, s’il le désire, d’un logement de fonction, certains magistrats doivent, eux, se battre pour obtenir des imprimantes fonctionnelles…

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