Caroline Lallemand

Images choquantes du crash en Ukraine : faut-il vraiment « voir pour croire »?

Caroline Lallemand Journaliste

Le traitement journalistique de l’actualité relative au crash de l’avion de la Malaysia Airlines en Ukraine soulève des questions déontologiques suite aux faux-pas de certains reporters sur place et à la publication de photos choquantes des victimes dans de nombreux médias.

L’exposition Controverses organisée en 2009 au Botanique abordait le délicat traitement journalistique des photos de guerre et de catastrophes humanitaires. Parmi ces images, une seule des attentats du 11 septembre : une main arrachée d’un bras, le doigt pointé, gisant sur le trottoir de Liberty Street, juste avant l’effondrement du Wall Street Center. Photographiée par Todd Maisel, « la main » a été publiée dans le New York Daily News au lendemain de l’attaque terroriste. Ce n’est pas la seule photographie de fragments de corps humains meurtris prise ce jour-là, mais de tels clichés restent rares, car la presse américaine s’était tacitement accordée pour ne diffuser aucun détail macabre des « falling men », les photos des prisonniers des tours qui ont préféré se défenestrer plutôt que de mourir brûlé ou étouffé s’étant rapidement auréolées d’un tabou médiatique généralisé. The Herald, en publiant en une le 12 septembre 2001 la célèbre photo de « l’homme qui tombe » de Richard Drew, voltigeant dans les airs pour, on l’imagine, finir écrasé lourdement sur le bitume new-yorkais avait d’ailleurs suscité de nombreuses controverses.

Autre époque, autre zone géographique avec le crash du vol MH17 de la Malaysia Airlines le 17 juillet dernier en Ukraine, le traitement journalistique de la catastrophe par les envoyés spéciaux présents dans le périmètre de l’accident, au début complètement insécurisé, est très différent de celui de 2001. La course de plus en plus effrénée aux scoops relayés par les réseaux sociaux a fait déraper plus d’un reporter dans leur empressement malsain. Les journaux télévisés ont ainsi diffusé des images éparses de corps décharnés, à une heure de grande écoute. Dans un autre registre, le journaliste vedette Colin Brazier, de la chaine britannique Skynews, a aussi provoqué la colère et l’indignation de nombreux téléspectateurs et internautes ce week-end en fouillant, en plein direct, la valise d’une des victimes du crash. Prenant conscience du caractère intrusif de son geste, le journaliste s’est vite ravisé, s’excusant par la suite de ce geste inapproprié qui a choqué à la fois les téléspectateurs, mais aussi ses confrères atterrés par son manque de déontologie à l’égard des victimes. Pour se repentir, le journaliste a publié un édito dans The Guardian intitulée « Mon erreur de jugement« . Le journaliste regrette la détermination de certains « à faire de [son] geste un exemple marquant de dérive journalistique » et revient sur le contexte: « Les journalistes passent le plus clair de leurs journées de travail dans des environnements qui leur sont familiers et développent une certaine routine (…). Mais notre job nous confronte parfois aussi à l’inconnu et à l’insécurité« . Et d’expliquer son « désarroi » face à l’horreur du site du crash : « C’était comme un film d’horreur. Sauf que les films ne sont jamais autorisés à montrer ce que nous avons vu ce week-end. L’odeur nauséabonde de la mort ne me quitte pas. »

S’il est inévitable d’aborder le sort des victimes, on peut toutefois se demander ce que ces images macabres apportent à l’information. Pas grand-chose, sinon rien. Et pour les proches des victimes, être confronté à ces images lugubres ravive une douleur déjà insurmontable. Les psychologues avanceront que l’être humain a besoin de « voir pour croire » et que ces preuves sont nécessaires pour que les familles entament leur deuil, qu’aller sur place favorise la visualisation et permet de se sentir plus proche des disparus. Le fait de ne pas avoir de corps face à soi empêcherait en effet la prise de conscience et de rendre le drame réel. Des preuves tangibles surabondantes que les proches des passagers du vol MH370 de la Malaysia Airlines disparu sans traces en mars dernier, n’auront, eux, sans doute jamais.

Dans le cas de la mort tragique de quatre enfants sur une plage de Gaza, même si les images filmées écoeurent le spectateur, elles ont une certaine utilité: se rendre compte de ce qui se passe réellement sur ces territoires en conflits afin de faire bouger la communauté internationale face à ces atrocités de guerre. Mais, par pitié, lorsque des détails macabres n’apportent rien, ni à l’opinion publique, ni à l’enquête journalistique, qu’on laisse le choix du choc de ces images douloureuses aux parents des victimes en évitant de leur imposer à tire-larigot ce sensationnalisme dont les touristes-catastrophes sont avides. Et lors de la couverture journalistique de n’importe quel autre évènement de ce style, pour le respect des personnes disparues et de leurs proches, le minimum déontologique est de faire preuve de beaucoup de retenue et d’une extrême pudeur dans le compte-rendu écrit, filmé et photographique de ces drames humains.

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