Le ministre-président flamand verrait bien le Benelux ne former qu’un seul pays. Au sein de la N-VA, Bart De Wever a déjà plaidé pour un renforcement des liens entre la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg, lui aussi. Sur papier, un tel Etat pourrait avoir de l’allure. Mais dans les faits, c’est une autre paire de manches.
Décidément, cette petite musique se fait entendre, parmi les cadors de la N-VA. Les nationalistes flamands ne sont guère attachés au royaume de Belgique, c’est une évidence. A côté des velléités indépendantistes, confédéralistes, voire rattachistes, l’idée d’un élargissement fait son chemin. Et ce désir unificateur/expantionniste porte sur le Benelux.
«Ça ne se ferait pas du jour au lendemain», concédait récemment le ministre-président flamand, Matthias Diependaele (N-VA), à la radio néerlandaise NPO Radio 1. Cela étant, il n’est «absolument pas opposé à l’unification du Benelux en un seul pays». Dans le propos, il ne s’agit pas de ressasser de vieux fantasmes nationalistes, mais de défendre «une approche tournée vers l’avenir» en matière de coopération et d’alliances. En septembre, Bart De Wever avait déjà vanté l’article 350 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui permet à la Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg d’approfondir leurs collaborations.
Chacun peut dès lors imaginer ce à quoi ressemblerait un tel pays. Sur le plan démographique, le Benelux serait aujourd’hui, avec une trentaine de millions d’âmes, le sixième de l’Union européenne, derrière l’Allemagne, la France, l’Italie, l’Espagne et la Pologne. Son PIB se chiffrerait à un peu plus de 1,8 milliard d’euros et en ferait la quatrième économie de l’UE, derrière l’Allemagne, la France et l’Italie. Il serait, en chiffres absolus, à peu près comparable à celui de la Russie ou du Brésil.
A l’inverse, chacun peut sans difficulté identifier quelques obstacles. Ils pourraient être culturels, dans un pays où les locuteurs francophones, germanophones et luxembourgeois seraient nettement minoritaires. Les vœux exprimés par ces figures de la N-VA peuvent aussi être analysés à l’aune de ce paramètre.
Sur un plan plus socioéconomique, les trois ne concourent pas dans la même catégorie. Le PIB par habitant est deux fois moindre en Belgique qu’au Luxembourg, qui est de loin en tête du peloton européen. La dette publique pourrait aussi constituer une grosse pierre d’achoppement, celle de la Belgique correspondant à 106,2% de son PIB, alors qu’elle n’est que de 42,7% aux Pays-Bas et 25,1% au Luxembourg. Ainsi, la dette par habitant est d’un peu plus de 55.000 euros en Belgique, mais respectivement de 27.000 et 32.000 euros dans les deux autres pays.
La déclaration du ministre-président flamand a suscité des réactions diverses. Les frontières, après tout, ne sont pas immuables, mais les obstacles demeurent nombreux et le caractère opérationnel du «projet» est sujet à caution.

Irréaliste
«Le ministre-président flamand a parfaitement le droit d’émettre ce type de suggestions», estime Christian Behrendt, professeur de droit à l’ULiège. D’une certaine façon, l’émergence d’idées out of the box peut avoir quelque chose de revigorant. «Mais sincèrement, à ce stade, l’idée me semble très peu réaliste», poursuit le constitutionnaliste.
Il n’y a pas si longtemps, un Etat correspondant grosso modo à un territoire similaire a vécu, à savoir le Royaume-Uni des Pays-Bas tel qu’il a existé entre 1815 et 1830. On connaît l’histoire: une nouvelle monarchie a vu le jour en Belgique, alors que le souverain de la maison d’Orange-Nassau a régné en union personnelle sur les Pays-Bas et le grand-duché de Luxembourg jusqu’en 1890.
«C’est un bon sujet pour la buvette du Parlement, mais pas du tout réaliste à moyen terme.»
En 1830, il était déjà question de chiffres. «Ce sont en grande partie des raisons fiscales qui ont conduit la Belgique à prendre son indépendance, rappelle Christian Behrendt. Pour la petite histoire, cet Etat avait deux capitales, le pouvoir siégeant alternativement un an à Bruxelles et un an à La Haye.»
Historien à l’UCLouvain et spécialiste de l’intégration européenne, Vincent Dujardin se montre lui aussi sceptique: «Pour résumer, je dirais que l’unification des trois pays est un bon sujet pour la buvette du Parlement, mais pas du tout réaliste à moyen terme.»
Quel sentiment national?
L’histoire du Benelux à proprement parler, en tant qu’union entre trois Etats souhaitant approfondir leur coopération, a pris forme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. C’est ce côté précurseur qui a donné à l’entité sa dimension de «laboratoire de l’Europe».
«C’est même un francophone, Paul-Henri Spaak, qui présidait aux destinées de notre diplomatie lorsque la convention d’union douanière entre les pays du Benelux a été signée en 1944», rappelle Vincent Dujardin. Le Benelux était un laboratoire, certes, «mais il n’a pas toujours bien fonctionné. Oui, les pays du Benelux ont rapidement répondu d’une seule voix dès le plan Marshall, ont pris part ensemble à la création de l’Union occidentale en 1948, puis ont travaillé de concert dans le cadre de la relance de Messine de 1955 qui a conduit aux fameux traités de Rome de 1957», poursuit l’historien. Mais plus récemment, «les positions sur les questions européennes n’étaient pas toujours les mêmes. Un vent d’euroscepticisme a même soufflé sur les Pays-Bas, comme l’a montré le référendum négatif de 2004 sur le traité constitutionnel.»
Les considérations d’ordre culturel ne sont pas à négliger. Ainsi, «il n’y a pas de sentiment national Benelux». Il n’est pas certain que la majeure partie des Néerlandais et des Luxembourgeois, pas plus que des Belges d’ailleurs, éprouvent ce besoin de s’unir. «Même le sentiment national flamand est un sous-produit de la Belgique.» Et lorsque des têtes pensantes de la N-VA expriment leurs rêves de Benelux ou quelques sympathies orangistes, il n’est pas certain que cela corresponde à une aspiration partagée au sein de la population.
Le Benelux existe
Le Benelux existe pourtant bel et bien, officiellement sous l’appellation «Union Benelux». L’union douanière des débuts s’est transformée en union économique et est progressivement devenue une organisation de coopération rapprochée entre les trois pays. Le «Traité Benelux», signé en 1958, a été renouvelé en 2008, impliquant les trois Etats et, pour la Belgique, ses entités fédérées. L’union a pignon sur rue, compte une cinquantaine de collaborateurs et est chapeautée par un collège des secrétaires généraux: un Belge, un Néerlandais, un Luxembourgeois.
Qu’y fait-on? «Beaucoup de concret, assure un interlocuteur à l’Union Benelux. C’est une organisation qui, par application de l’article 350, est reconnue comme un groupe régional pouvant aller plus loin et plus en profondeur dans la coopération que les autres pays européens, pour autant que ce ne soit pas en contradiction avec les objectifs de l’UE elle-même.»
«En dépassant les obstacles culturels, nous avons beaucoup plus en commun qu’il n’y parait.»
Les coopérations transfrontalières se développent autour de quelques thèmes de prédilection: la sécurité, le marché intérieur, le développement durable. C’est ainsi qu’un traité de police existe au sein de l’Union, «qui engage les Etats membres, donc leurs polices, à coopérer dans un modèle très avancé, le plus avancé de l’UE et sans doute du monde». On parle ici d’échanges de données, d’enquêtes conjointes, de la possibilité de poursuivre des suspects sur l’ensemble du territoire, etc. En matière de marché intérieur, pour citer «un autre exemple concret», le domaine du transport a été investi. «On peut circuler avec des camions plus lourds dans le Benelux qu’ailleurs en Europe.» Avec les pays Baltes, ceux du Benelux ont également acté une reconnaissance mutuelle des diplômes de l’enseignement supérieur. Ce traité est ouvert aux autres membres de l’UE et la Pologne devrait rejoindre l’attelage. Dans un avenir proche, le Benelux devrait s’entendre sur la reconnaissance automatique de toutes les formations et qualifications.
Et pourquoi pas?
L’Union Benelux déploie trois types d’instruments juridiques. Il peut s’agir de traités, à l’instar de celui qui porte sur la coopération policière. Les décisions, elles, «sont des actes directement applicables en droit interne». Par exemple, différentes décisions en matière agricole ont été prises, notamment pour la circulation du bétail sur la voirie. Les recommandations, elles, ressemblent plutôt à des feuilles de route législatives.
Les responsables de l’Union Benelux prêchent pour leur chapelle, naturellement, mais sont en mesure de citer quantité d’exemples de coopérations fructueuses… «et concrètes», insiste-t-on. Belgique, Pays-Bas et Luxembourg forment donc une entité, mais qui n’est pas étatique. Pas à ce jour, du moins. En rêve-t-on? La question fait un peu sourire, mais sans sarcasme, parce que «nous sommes des convaincus.»
L’organisation fonctionne sur le modèle du consensus et non de la majorité qualifiée, ce qui constitue un instrument intéressant, mais éventuellement une contrainte. En attendant, «il ne faut pas oublier à quel point le Benelux fut une source d’inspiration et continue d’être précurseur. Il y aura toujours des résistances et des obstacles. Soyons réalistes, mais comprenons aussi qu’on peut faire beaucoup pour nos citoyens et nos entreprises. En dépassant les obstacles culturels, nous avons beaucoup plus en commun qu’il n’y parait», assure-t-on à l’Union Benelux.
Pour renforcer les coopérations, mais également pour unir plus avant nos destinées? L’histoire emprunte parfois des chemins inattendus.