Etudiants non-finançables: les députés de l’opposition demandent des comptes à la ministre de l’Enseignement supérieur, Elisabeth Degryse (Les Engagés) © BELGA

«Une séquence un peu grave»: pourquoi les chiffres (parcellaires) du gouvernement sur les étudiants non finançables agacent l’opposition

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Depuis des mois, l’opposition réclame des données sur le nombre d’étudiants du supérieur déclarés non finançables en vertu du nouveau «décret paysage» De premiers chiffres pour les hautes écoles ont été livrés par la ministre Degryse. Mais les universités manquent encore à l’appel.

Il fallait avoir l’oreille attentive pour ne pas manquer l’information. Le verdict est tombé lundi, après plus de neuf heures de commission, alors que l’horloge affichait près de 23 heures: le «raz-de-marée» d’étudiants non finançables tant redouté dans l’enseignement supérieur n’aurait pas eu lieu.

Interrogée depuis le mois de septembre à ce sujet par l’opposition, la ministre-présidente de la Fédération Wallonie-Bruxelles et ministre de l’Enseignement supérieur Elisabeth Degryse (Les Engagés) a ainsi livré de premiers chiffres aux députés, relatifs aux hautes écoles et aux écoles supérieures des Arts.

Au total, 7.654 étudiants non finançables ont demandé à se (ré)inscrire en haute école (HE) pour l’année académique 2025-2026. Pour rappel, ces étudiants n’ont normalement pas le droit de poursuivre leurs études dans l’enseignement supérieur, car ils n’ont pas respecté les règles édictées par la réforme du fameux décret paysage. Ces mesures (plus strictes que par le passé) imposent par exemple aux étudiants de réussir leurs 60 premiers crédits en deux ans maximum, et leur bachelier en cinq ans maximum.

Si l’étudiant est déclaré non finançable, l’établissement concerné ne reçoit plus d’argent de la Fédération Wallonie-Bruxelles. L’université, la haute école ou l’école supérieure des Arts peut toujours accepter l’inscription, à l’issue d’une délibération. Sur les 7.654 cas qui concernaient les hautes écoles cette année, 47% des dossiers ont été acceptés par les établissements, 44% ont reçu un refus et 9% étaient en cours de traitement au moment de la récolte de données, a précisé la ministre Degryse.

7,45% de la population étudiante concernée

Du côté des écoles supérieures des Arts (ESA), 102 étudiants non finançables ont demandé à se (ré)inscrire: 69% ont été acceptés, 28% ont été refusés et 3% étaient en cours de traitement. Au total, le nombre d’étudiants qui ont demandé une inscription en tant que non finançables en HE et ESA représente 7,45% de la population étudiante que comptait les HE et ESA en 2024-2025, a encore ajouté la ministre.

Si ces chiffres étaient si importants aux yeux des députés de l’opposition, c’est parce qu’ils auraient pu objectiver les effets des règles plus strictes imposées par la réforme du décret paysage à la sauce Glatigny (ex-ministre de l’Enseignement supérieur). Votée en décembre 2021, la réforme aurait dû entrer en application pour la première fois en 2024-2025, mais avait été gelée in extremis par une majorité alternative (PS-Ecolo-PTB), qui avait alors entraîné la chute prématurée du gouvernement de la FWB. A l’issue de ce moratoire d’un an, elle est donc pleinement entrée en application pour la première fois cette année, faisant craindre à la Fédération des étudiants (FEF) une vague importante de décisions de non-finançabilité.

Sauf que les données révélées lundi par la ministre Degryse ne permettent pas de dresser de réelles conclusions. D’abord, car elles n’intègrent toujours pas les étudiants des universités (lire plus loin). Mais d’autres failles se révèlent. «Seuls les chiffres des étudiants qui ont fait une demande de recours ont été communiqués, mais on n’a pas accès au nombre total d’étudiants déclarés non finançables, et qui auraient pu abandonner avant, pointe le député Octave Daube (PTB). On n’a pas non plus de point de comparaison par rapport aux autres années, ce qui nous permettrait d’évaluer l’étendue des dégâts.» L’élu PTB regrette en outre la forme de la communication. «Cette séquence, je la trouve un peu grave d’un point de vue démocratique, fustige-t-il. Cela fait des mois qu’on demande ces chiffres, et on les reçoit de manière inattendue entre deux réponses, à près de 23 heures… et ils s’avèrent totalement partiels.»

Manque de transparence?

«L’exercice de transparence n’est pas fait, déplore pour sa part Adam Assaoui, président de la FEF. La ministre met uniquement dans la sphère du débat public les chiffres qui semblent l’arranger. On ne met pas à disposition des chiffres qui pourraient pourtant permettre, notamment à des chercheurs, de pouvoir analyser le profil de ces étudiants non finançables et de comprendre où se situent les obstacles à la réussite.» Et Hajib El Hajjaji, député Ecolo, de compléter: «Le gouvernement se présente comme une équipe d’ingénieurs, mais il n’arrive pas à objectiver ses propres politiques avec des chiffres. Or, sans objectivation, on finit par faire de la politique au doigt mouillé.»

De son côté, le cabinet de la ministre assure ne pas disposer de données sur le nombre total d’étudiants déclarés non finançables à l’issue de la seconde session d’août dernier. «Ces données ne sont au demeurant guères pertinentes, car la finançabilité d’un étudiant se mesure à l’inscription et non pas au terme de l’année académique.» La ministre Degryse se refuse également à toute comparaison antérieure. «Les années précédentes, le nombre de demandes d’inscriptions d’étudiants non finançables n’étaient pas monitoré, a-t-elle rappelé en commission. Il m’est donc impossible d’établir des comparaisons, qui sont d’ailleurs peu appropriées dans un contexte où les étudiants ont fait évoluer leur stratégie d’étude (NDLR: pour répondre aux nouvelles conditions) et où les établissements et les jurys ont fait évoluer leur politique d’accompagnement et d’évaluation.»

«Une augmentation significative»

Les hautes écoles elles-mêmes restent très réticentes à communiquer des données sur la finançabilité de leurs étudiants, qui peuvent être assimilées à d’éventuelles mauvaises performances d’apprentissage. L’Hennalux (Haute École de Namur-Liège-Luxembourg) a toutefois accepté de jouer la transparence. Pour l’année 2024-2025 (NDLR: l’année où les règles ont été gelées), seuls six étudiants avaient introduit un recours de non-finançabilité. Ils étaient 35 en 2025-2026, dont six ont pu se réinscrire. «Nous pouvons donc parler d’une augmentation significative», commente l’école.

Du côté de la Haute école de la Province de Liège (HEPL), 1.178 dossiers avaient été déposés par des étudiants non finançables  fin novembre. Parmi celles-ci, 633 étudiants ont été acceptés (54%) et 535 demandes ont été refusées (46%). A titre de comparaison, 298  étudiants non finançables avaient été réinscrits en 2024-2025,  et 408  en 2023-2024 (année la plus pertinente en termes de comparaison).

Du côté des universités, aucun chiffre n’était encore disponible à l’heure actuelle. Le Conseil des rectrices et recteurs francophones (CreF), en charge de la collecte des résultats, évoque des difficultés à harmoniser les données d’une université à l’autre. Une première statistique devrait toutefois être communiquée dans les plus brefs délais.

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