Dès la rentrée 2026-2027, le seuil de réussite aux épreuves certificatives (CEB, CE1D, CESS) devrait être relevé à 60%, contre 50% actuellement. © Getty Images/iStockphoto

Relever le seuil de réussite au CEB et au CE1D, une fausse bonne idée? «Changer le thermomètre n’améliorera pas le niveau des élèves»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Dès juin 2027, le seuil de réussite au CEB et au CE1D devrait passer à 60%. Ces nouveaux critères, dénoncés par l’opposition pour leur caractère élitiste, entraîneraient l’échec de 12.000 élèves. Des chiffres que le cabinet Glatigny appelle à relativiser.

Bientôt une bougie de soufflée… et quelques promesses concrétisées. Le 11 juillet 2024, la coalition Azur prenait les rênes de la Région wallonne et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Les déclarations de politique régionale et communautaire laissaient entrevoir un changement de cap radical, notamment en matière d’enseignement. Le MR et Les Engagés prévoyaient, entre autres, de durcir les critères de réussite aux épreuves certificatives.

Une mesure-phare qui pourrait voir le jour plus rapidement que prévu. Vendredi soir, la ministre de l’Education Valérie Glatigny (MR) a en effet annoncé avoir déposé au gouvernement un avant-projet de décret qui relèverait, dès juin 2027, le seuil de réussite au CEB, au CE1D et au CESS à 60%. Concrètement, en fin de sixième primaire, les élèves devraient obtenir une moyenne de 60% à la totalité des épreuves (contre 50% actuellement) et un résultat minimum de 50% pour chacune des matières évaluées. En deuxième secondaire et en rhéto, par contre, ils devraient atteindre une moyenne de 60% pour chacune des compétences testées. Ce rehaussement du seuil de réussite permettrait, selon la ministre, de s’assurer que l’élève maîtrise suffisamment les acquis pour progresser au niveau supérieur sans difficultés. «Un élève qui se lance dans le secondaire avec seulement 51% des acquis risque de voir la suite de son parcours scolaire particulièrement compliqué», justifie le cabinet libéral.

«Contre-productif»

Cette proposition se heurte toutefois à plusieurs obstacles. A commencer par la frilosité des Engagés. Le parti centriste n’a en effet pas validé l’avant-projet la semaine dernière, confirme le cabinet de la ministre-présidente Elisabeth Degryse. De quoi amorcer une crise de confiance entre les deux partenaires de coalition? Pas si vite. Les Engagés plaident plutôt pour inclure la mesure dans une réforme plus globale, aux contours mieux aboutis, apprend Le Vif.

Au-delà du coup de frein de son propre partenaire, le MR doit également composer avec les réticences de son administration. Dans un avis datant de février 2025, que Le Vif a pu consulter, la Commission des Evaluations affichait son scepticisme envers la mesure, évoquant notamment son «absence de fondement scientifique». En outre, selon les simulations de la Commission, basées sur les résultats aux épreuves externes de 2024, les nouveaux critères de réussite entraîneraient l’échec de quelque 12.300 élèves supplémentaires. Dans le détail, 1.449 élèves de plus échoueraient au CEB, et 10.939 élèves au CE1D. Aucune évaluation n’est disponible pour le CESS.

Alors que le redoublement pèse lourd dans le budget de la FWB (environ 10% du budget total, selon les estimations de l’UFAPEC), ces échecs supplémentaires sont donc loin d’être les bienvenus dans un contexte de rigueur budgétaire. Surtout, le redoublement «est loin d’être une solution efficace» sur le plan pédagogique, rappelle Ariane Baye, professeure en sciences de l’Education à l’ULiège. «Certes, les enquêtes internationales démontrent qu’il est impératif d’améliorer le niveau des élèves en FWB, mais le faire en durcissant les critères d’évaluation me paraît contre-productif, insiste l’experte. Relever le seuil de réussite peut avoir une portée symbolique, mais cela risque d’induire une pression évaluative supplémentaire sur les parents, les enseignants et les élèves qui n’est pas souhaitable. Le redoublement aura l’effet d’un couperet sur les jeunes. Ce n’est pas la bonne manière d’améliorer leurs compétences

Renforcement des inégalités

Un constat partagé par les partis de l’opposition en FWB. «Ce n’est pas en changeant le thermomètre qu’on va améliorer le niveau des élèves», insiste Martin Casier, chef de groupe PS au Parlement. Pour le socialiste, les priorités doivent surtout être mises sur l’accompagnement personnalisé des élèves, la lutte contre le décrochage scolaire et la pénurie de profs, qui entraîne la suppression de nombreuses heures de cours dans les écoles. «Ce sont là les vrais leviers d’actions, qui permettront de tirer tout le monde vers le haut, assure l’élu. Il faut arrêter de croire qu’un seuil de 60% agirait comme une espèce de main invisible, qui ferait que les élèves apprendraient subitement mieux, comme par magie.»

De son côté, Bénédicte Linard (Ecolo) déplore la «vision élitiste de l’enseignement» portée par la ministre Glatigny. «Rehausser les seuils sans accompagner ceux qui ont le plus de difficultés, c’est favoriser l’exclusion et la sélection scolaires, regrette la cheffe de groupe. Cela va à l’encontre des vrais enjeux auxquels le monde scolaire fait face aujourd’hui. On ne soignera jamais les inégalités en durcissant l’évaluation

Au-delà du contenu de la mesure, c’est également son timing qui est critiqué. Dès la rentrée de septembre, le tronc commun sera en effet déployé dès la sixième primaire. Un changement qui impliquera notamment l’application de nouveaux référentiels et un renforcement de l’accompagnement personnalisé pour les élèves en difficulté. «Il faudra que les enseignants s’approprient ces nouvelles matières et ces nouveaux dispositifs, rappelle Ariane Baye. Je pense qu’il aurait été plus pertinent de laisser le temps à ces mesures de démontrer leurs effets avant d’instaurer une quelconque révision de l’évaluation. C’est là tout le but du Pacte d’excellence: éviter l’échec avant qu’il se produise plutôt que de le produire artificiellement

Un contexte «très différent»

De son côté, le cabinet de la ministre Glatigny rappelle que le rehaussement des seuils de réussite n’est pas une «mesure solitaire» et s’inscrit dans une réflexion plus globale. «En parallèle, nous implémentons le test CLE (Calculer, Lire Ecrire) en quatrième primaire, une évaluation non-certificative permettant de faire une photographie des acquis des élèves, pour voir où ils en sont et leur proposer, le cas échéant, un accompagnement personnalisé pour justement éviter un échec plus tard dans le parcours scolaire», insiste le cabinet. La ministre vient également de débloquer une enveloppe de près de deux millions d’euros pour renforcer l’accompagnement personnalisé en sixième primaire, avec le recrutement de 100 équivalents temps-plein supplémentaires.

Le contexte sera donc «très différent» en juin 2027, lorsque ces seuils seront effectivement relevés, souligne le cabinet Glatigny. D’où l’importance de relativiser le chiffre de 12.000 échecs avancé par la Commission des évaluations. «On ne peut pas extrapoler le passé sur le futur, c’est le principe-même de la docimologie, insistent les libéraux. D’autant que la mesure prévoit un renforcement du pouvoir des conseils de classe, qui auront toujours la possibilité de faire réussir l’élève en prenant en compte son travail journalier et sa situation spécifique.»

Malgré ces justifications, l’opposition n’entend pas lâcher l’affaire et promet d’interpeller la ministre à ce sujet dès la semaine prochaine. D’autant que, interrogée en Commission sur l’existence de chiffres objectivant les conséquences de sa mesure le 30 juin dernier, la ministre avait argué qu’ils étaient «impossibles à estimer». «Or, ces données, elle les avaient, fustige Martin Casier (PS). Elle a sciemment décidé de ne pas les transmettre au parlement. Cela pose un vrai problème sur le plan démocratique

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