Dans les auditoires, prendre des notes à la main serait devenu has been. Pourtant, l’écriture manuscrite procure de nombreux bienfaits. © Getty Images/Maskot

Pourquoi écrire à la main favorise les apprentissages: «Les futures générations risquent de manquer de certaines fonctions cognitives»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

A l’occasion de la journée de l’alphabétisation, plusieurs personnalités flamandes plaident pour un recours plus large à l’écriture manuscrite. Dans un monde dominé par les écrans, les crayons et les stylos favoriseraient les apprentissages, la mémorisation et la structuration de la pensée.

Mars 2020. En pleine pandémie de coronavirus, les écoles et les universités du pays ferment subitement leurs portes. Après plusieurs semaines d’incertitude, l’enseignement à distance s’impose peu à peu comme l’option incontournable pour garantir la reprise des cours. Le recours forcé aux écrans et aux claviers a marqué un tournant dans la numérisation des outils d’apprentissage, aujourd’hui omniprésents dans les établissements du secondaire et du supérieur. Jusqu’à concurrencer le traditionnel combo «feuille-crayon»?

Dans une lettre ouverte publiée lundi dans De Standaard et Het Laatste Nieuws, plusieurs personnalités flamandes s’inquiètent en tout cas de la disparition progressive de l’écriture manuscrite chez les jeunes, pourtant bénéfique aux apprentissages. «Notre revendication peut paraître un peu nostalgique, mais s’appuie sur des bases scientifiques solides, insiste Petra De Sutter, rectrice de l’université de Gand et co-signataire de la tribune rédigée à l’occasion de la journée de l’alphabétisation. Ecrire un texte à la main laisse une empreinte beaucoup plus forte dans le cerveau des élèves.» L’ex-ministre le reconnaît: faire marche arrière à l’université, où les ordinateurs portables ont envahi les auditoires paraît inconcevable. Mais en primaire et en secondaire, les crayons et les stylos ne doivent pas disparaître. «Sinon, les futures générations risquent de manquer de certaines fonctions cognitives», alerte-t-elle.

Traces motrices

L’écriture manuscrite présente en effet de nombreux avantages, et ce, dès le plus jeune âge. «C’est une composante fondamentale des apprentissages de base», note Séverine De Croix, professeure de didactique du français et de littérature contemporaine à l’UCLouvain. Elle apparaît indispensable à l’automatisation de la mise en texte qui forme, avec la planification et la révision, l’essentiel du processus d’écriture. «L’automatisation, c’est faire en sorte qu’il n’y ait plus de coût cognitif ou d’effort laborieux dans le traçage des lettres et dans la réflexion orthographique, explique Séverine De Croix. Et cela passe par l’entraînement. Pour le jeune enfant qui apprend à écrire, cette automatisation doit passer par l’écriture manuscrite. Les élèves de fin de maternelle doivent être exposés aux différents allographes (NDLR: les formes des lettres) et apprendre à les reconnaître. Et ça, ça passe autant par la reconnaissance visuelle des allographes que par leur production. En d’autres termes, les enfants ont besoin de distinguer les lettres visuellement mais aussi de les produire pour faire correspondre les deux configurations, à la fois visuelles et motrices.» En bref: taper sur un clavier ne suffit pas à apprendre la langue.

Un constat confirmé par Marie Van Reybroeck, professeure à la faculté de psychologie à l’UCLouvain et responsable du DeliLab (Development of Literacy Lab). «Les recherches montrent que lorsque l’enfant apprend à lire et à écrire de manière manuscrite, il apprend rapidement davantage de lettres et de mots qu’avec un clavier, assure la spécialiste. Car la modalité manuscrite permet la création en mémoire de traces motrices, qui vont être différentes pour chacune des lettres et vont ainsi permettre de consolider le lien entre la lettre et le son. Or, de manière numérique, le geste reste toujours le même: on tape la lettre sur le clavier, quelle qu’elle soit.»

Mémorisation accrue

En outre, l’apprentissage est favorisé par l’interaction de l’enfant avec son environnement, à savoir son expérience sensori-motrice. «L’écriture manuscrite, contrairement à l’écriture dactylographiée, ne crée pas uniquement une trace visuelle mais également une trace corporelle qui permet un apprentissage multimodal et donc, plus efficace», complète Marie Van Reybroeck. «Tracer une lettre, lorsqu’on apprend à écrire, ne se limite pas à copier la forme, ajoute Séverine De Croix. C’est intégrer une trajectoire par la main, qui, à force, va s’automatiser et générer des routines motrices.»

«Tracer une lettre, quand on apprend à écrire, c’est plus que copier la forme. C’est intégrer une trajectoire par la main, qui, à force, va s’automatiser et générer des routines motrices.»

Mais l’écriture manuscrite procure des bienfaits tout au long de la scolarité. «Il est important de continuer à travailler cette écriture sur le long terme, insiste Marie Van Reybroeck. En secondaire, on remarque que les élèves qui sont moins rapides à écrire à la main produisent généralement des textes moins riches. Comme ils doivent consacrer davantage d’énergie à l’écriture, qui n’est pas encore assez automatisée, ils en ont moins pour développer leurs idées dans le texte, réfléchir à leur argumentaire ainsi qu’à leur orthographe et à leur vocabulaire. On a donc tout intérêt à développer cette écriture manuscrite dans les classes supérieures. Ce n’est pas qu’une question de première primaire.»

D’autant qu’écrire à l’aide d’un crayon ou d’un stylo présente une multitude de bienfaits. A commencer par une meilleure mémorisation des informations. Une étude menée en 2020 par des chercheurs norvégiens a en effet démontré que l’écriture manuscrite activait davantage de zones du cerveau que l’écriture numérique. Des zones qui seraient liées aux processus de mémorisation.

Un retour en arrière exclu

L’écriture manuscrite favoriserait en outre la structuration de la pensée, indispensable à l’acquisition de savoir. «Plusieurs recherches ont comparé les prises de note d’étudiants, réalisées de manière manuscrite ou à l’aide d’un clavier, expose Marie Van Reybroeck. Il en ressort que les étudiants qui écrivent sur un support numérique ont tendance à recopier de façon plutôt littérale ce qui a été dit par le professeur, alors que ceux qui écrivent à la main rédigent moins de mots mais résument davantage l’information, en se concentrant sur les idées principales, ce qui favorise au final la mémorisation.» Une différence qui se marquerait même dans les évaluations. «Pendant les cours, la majorité des étudiants prennent note à l’ordi, débute Olivier Delsaux, professeur de grammaire et d’orthographe française à l’UCLouvain. Or, l’examen se fait bien souvent de manière manuscrite. En corrigeant, on remarque qu’il y a des compétences qu’ils n’ont pas acquises en termes d’orthographe ou de structuration de la pensée.»

Dans les auditoires, le recours à la prise de notes manuscrites permettrait en outre une meilleure faculté de concentration. Sans notifications intempestives des réseaux sociaux et de mails, l’étudiant serait libéré de la tentation du multitasking. Cette logique est déjà appliquée en primaire et en secondaire, où l’usage récréatif des smartphones est interdit depuis la rentrée dernière.

Mais un retour au 100% papier ne serait pas la solution miracle pour autant. Séverine De Croix appelle à éviter l’opposition dichotomique entre l’écriture manuscrite et numérique. «Il ne faut pas chercher à faire prévaloir l’une sur l’autre, même si les crayons et les stylos restent fondamentaux pour le développement cognitif, insiste la professeure de didactique du français. L’enjeu, c’est que les jeunes puissent expérimenter une diversité d’instruments (main, clavier, stylet, etc.), qui font de lui un scripteur différent. Basculer d’un seul côté les priverait de fonctions cognitives capitales, étant donné que chaque instrument active une zone différente du cerveau.» Un constat partagé par Olivier Delsaux. «Il ne faut pas être binaire et imposer un retour en arrière en interdisant drastiquement les ordinateurs, insiste le professeur. Mais sensibiliser aux bienfaits de l’écriture manuscrite me paraît aujourd’hui indispensable.»

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