Certains parents d’élèves sont venus grossir les rangs de la grève des profs, mardi 25 novembre. © BELGA

«Nos enfants sont les premiers à subir les réformes»: quand les parents d’élèves font grève aux côtés des profs

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

De nombreux enseignants se sont croisés les bras, mardi, à l’occasion de la grève des services publics. Des actions majoritairement soutenues par les parents d’élèves, malgré de légitimes inquiétudes organisationnelles. Pour les profs, l’enjeu est de réussir à sensibiliser, sans polariser.

Le jour n’était pas encore levé que la colère grondait déjà. Il était huit heures du matin, mardi, quand les premiers manifestants affluaient devant l’Institut des Arts et Métiers, à Bruxelles. Bonnets vissés sur la tête pour affronter le froid mordant, professeurs, éducateurs, psychologues et responsables de centres PMS ont répondu en nombre à l’appel d’Ecole en Lutte pour protester contre les réformes annoncées dans l’enseignement. Signe du caractère transversal de la grogne, certains parents d’élèves sont mêmes venus grossir les rangs des contestataires. «Nos enfants sont les premiers à subir les conséquences de ces mesures, donc c’était important pour moi d’être présente aujourd’hui, assure Charlotte Forges, maman de deux élèves scolarisés dans un établissement primaire de Saint-Gilles. Je voulais montrer que les rôles de parents et de profs, ça va ensemble

La Bruxelloise dit s’inquiéter de la dégradation «inouïe» des conditions de travail des enseignants et du manque de moyens qui leur sont accordés. «Ils se retrouvent avec toujours plus d’heures de cours, sans être payés plus, dans des locaux toujours plus petits pour le nombre grandissant d’élèves, s’indigne la mère de famille. Or, quand je discute avec les institutrices de mes enfants, je sais qu’elles ont à coeur de faire correctement leur travail, avec beaucoup d’amour et de soin. Ces mesures punitives me paraissent donc aberrantes.» Charlotte Forges n’était d’ailleurs pas la seule maman à participer au mouvement des services publics, mardi. «Je reviens d’un rassemblement dans le centre-ville de Liège, auxquels plusieurs parents d’élèves sont venus se greffer», assure Luc Toussaint, président de la CGSP-Enseignement.

Entre solidarité et frustration

Globalement, «on constate un fort soutien des parents aux revendications des enseignants, confirme Bernard Hubien, secrétaire général de l’Union francophone des associations de parents de l’enseignement catholique (UFAPEC). Beaucoup sont préoccupés par le flou qui entoure certaines mesures, comme la suite du parcours scolaire après le tronc commun». Cela étant, dans le chef de certains parents, ce sont plutôt les appréhensions organisationnelles qui prennent le dessus. «Ils s’inquiètent logiquement de savoir si leurs enfants vont être bien accueillis à l’école malgré les actions le jour J, si leur absence sera justifiée à cause de la grève des transports en commun, si des repas chauds seront servis, etc.»

Pour dissiper toutes ces préoccupations logistiques, la majorité des établissements en grève communiquent de manière transparente, via les canaux traditionnels mais aussi sur les réseaux sociaux. Des publications qui voient alterner messages de soutien et commentaires emprunts de frustration. Certains parents voient ainsi en ces mouvements sociaux une «prise en otage» de leurs enfants, privés temporairement d’apprentissages. Un argument balayé par Luc Toussaint, qui rappelle que le nombre d’heures perdues à cause de la pénurie d’enseignants engendre des répercussions «bien plus importantes qu’un ou deux jours de suspensions des cours pour faire entendre des revendications légitimes».

Une mission commune

Quoi qu’il en soit, susciter l’adhésion parentale sans trop polariser reste un exercice périlleux pour les enseignants, dont la réputation pâtit de nombreux clichés. «Tout l’enjeu aujourd’hui est de réussir à les sensibiliser à notre cause, sans les monter contre nous, résume Benjamin Six, professeur de religion au collège du Christ-Roi à Ottignies. Notre objectif, c’est de rappeler aux parents que nous ne sommes pas là pour piéger leurs enfants, au contraire. Nous voulons garantir leurs apprentissages, en faire des citoyens conscients et les aider à décrocher un emploi plus tard. Et nous devons nous tenir côte à côte dans cette mission.»

«Tout l’enjeu aujourd’hui est de réussir à sensibiliser les parents à notre cause, sans les monter contre nous. Notre objectif, c’est de leur rappeler que nous ne sommes pas là pour piéger leurs enfants, au contraire.»

Avec ses collègues, Benjamin a donc participé à un arrêt de travail, mardi à 13 heures, au cours duquel des photos ont été prises pour illustrer le nombre d’heures que certains professeurs risquent de perdre avec l’allongement du temps de travail dans le degré supérieur du secondaire. «On affichera ces photos dans l’école pour informer les enfants et les parents de ces répercussions, précise l’enseignant. On glissera également une petite lettre dans le bulletin des élèves en fin de trimestre pour marquer le coup.»

A l’Institut Notre-Dame Séminaire de Bastogne (Indsé), les enseignants ont également organisé une veillée funéraire symbolique lors de la réunion de parents, jeudi dernier. «L’initiative est venue de plusieurs jeunes enseignants dont les heures risquent d’être réduites avec la réforme, précise Carole Pierret, directrice pédagogique du troisième degré de l’établissement. Ils ont reçu de nombreux mots de soutien des parents présents. L’action a réellement permis de conscientiser tant les parents que les élèves aux impacts de la réforme, qui apparaissent tout d’un coup bien réels car ils sont identifiés et rattachés à des personnes qu’ils côtoient au quotidien.»

Eviter le discours militant

Pour Carole Pierret, la clé de l’adhésion parentale réside dans une communication équilibrée. «A chaque mouvement de grève, nous avons pris l’habitude d’en expliquer les raisons objectives, sans pour autant tomber dans un discours militant, insiste la directrice. Nous devons faire comprendre aux parents que notre priorité reste l’apprentissages des élèves et tenter de communiquer de manière explicite, mais sans confondre explication et rhétorique partisane.»

Plus globalement, la directrice regrette un discours politique «assez culpabilisant» envers les enseignants. «Certes, les responsables politiques ont des impératifs d’ordre financier, mais également de l’ordre de la responsabilité sociale, rappelle-t-elle. Or, stigmatiser une profession et monter les citoyens les uns contre les autres me semblent incompatibles avec cette mission

«Certes, les responsables politiques ont des impératifs d’ordre financier, mais également de l’ordre de la responsabilité sociale. Or, stigmatiser une profession et monter les citoyens les uns contre les autres me semblent incompatibles avec cette mission.»

Un constat partagé par Benjamin Six, qui dénonce un «narratif politique qui consiste à diviser la société en identifiant des coupables». «Or, en tant que profs, nous ne sommes pas responsables de la dette publique. Nous ne sommes les ennemis de personne. Et surtout pas des parents d’élèves.»

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