Un Droit Individuel à l’Enseignement Supérieur (DIES) sera mis en place en Fédération Wallonie-Bruxelles dès la rentrée 2027. Il permettra d’encourager la mobilité des jeunes Belges, tout en augmentant la contribution financière des étudiants européens non-résidents. Un «win-win» qui représenterait 43 millions d’économies annuelles.
Français, Italiens, Luxembourgeois… Ils sont de plus en plus nombreux sur les bancs des universités francophones. A la rentrée 2022-2023, les étudiants étrangers représentaient quelque 22% de la population inscrite dans un établissement d’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Soit plus d’un sur cinq.
Parmi ceux-ci, la majorité sont des citoyens européens non-résidents en Belgique. Ils étaient ainsi près de 26.000 lors du dernier recensement disponible (2021), soit entre 12 à 13% du total d’étudiants. Cet afflux massif a deux faces. Côté pile: il témoigne de l’attractivité et de la renommée du système éducatif francophone. Côté face: il pèse lourdement sur les finances de l’ex-Communauté française. Dans son mémorandum 2024, le Conseil des recteurs et rectrices francophones (Cref) estimait que ces étudiants UE non-résidents dans les universités captait 13% du financement de la FWB. Hautes écoles et écoles d’art comprises, la facture avoisinerait les 210 millions d’euros sur base annuelle.
Un poids qui devenait trop lourd à porter pour le gouvernement MR-Engagés, qui a présenté vendredi ses grandes trajectoires budgétaires pour la suite de la législature. La coalition Azur a ainsi décidé de faire contribuer davantage cette catégorie d’étudiants dès la rentrée 2027, conformément au mécanisme DIES qui entrera alors en vigueur.
Théorisé par deux professeurs de l’UCLouvain, ce Droit Individuel à l’Enseignement Supérieur (DIES) consiste en une allocation octroyée uniquement aux étudiants résidents (soit la résidence permanente, octroyable après cinq ans, et non la domiciliation temporaire), qui permettra de compenser une majoration de minerval appliquée à tous. Les droits d’inscription annuels passeraient par exemple à 3.194 euros, desquels 2.000 euros seraient automatiquement déduits pour le résident belge. Une sorte de «ticket de remboursement» auquel l’étudiant français ne pourrait, lui, pas prétendre, car ni lui ni sa famille ne contribuent fiscalement au financement du système belge.
Une «richesse», mais à quel prix?
«Notre modèle ne vient pas de nulle part, insiste Vincent Yzerbyt, professeur de psychologie à l’UCLouvain et co-artisan du projet avec son confrère Vincent Vandenberghe. Nous nous sommes largement inspirés de la sécurité sociale, qui est rattachée à l’individu plutôt qu’au territoire sur lequel il se trouve. Un système qui permet par exemple au vacancier belge au Portugal de bénéficier de soins de santé en cas de pépin physique grâce à l’intervention de sa mutualité en Belgique.» Appliqué à l’enseignement, le modèle pousserait ainsi les pouvoirs publics à financer davantage les frais d’études de leurs résidents, plutôt que de décaisser pour les institutions d’enseignement supérieur situées sur leur territoire.
Cette allocation universelle doit en outre financer le projet des étudiants belges qui souhaiteraient aller étudier ailleurs en Europe. Une sorte de «bourse» qui devrait permettre «d’équilibrer» le solde négatif entre les étudiants étrangers dans nos institutions et les Belges inscrits dans les universités espagnoles ou encore suédoises. «Même si accueillir des étudiants non-résidents est une véritable richesse, il n’y a pas de raison que l’inverse ne soit pas encouragé et que la mobilité européenne ne soit réservée qu’aux Belges les plus nantis, insiste Vincent Yzerbyt. Avec ce modèle, on concrétise l’idéal Erasmus, en créant un véritable espace européen d’enseignement supérieur.»
«Même si accueillir des étudiants non-résidents est une véritable richesse, il n’y a pas de raison que l’inverse ne soit pas encouragé et que la mobilité européenne ne soit réservée qu’aux Belges les plus nantis.»
Si le projet politique a été approuvé, les dispositions pratiques du DIES doivent encore fait l’objet de nombreuses concertations, confirme le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur Elisabeth Degryse (Les Engagés). Les modalités d’octroi doivent d’abord être précisées: s’agira-t-il d’une réduction automatique du minerval ou plutôt d’un remboursement qui pourra être utilisé à la guise de l’étudiant résident, par exemple pour l’achat de fournitures scolaires? «On se laisse du temps pour s’assurer que le dispositif soit le moins énergivore et « paperassivore » possible, insiste le cabinet Degryse. Il n’est d’ailleurs pas question de créer une nouvelle administration ou un nouveau service pour traiter ces dossiers.»
43 millions de recettes
Le montant du DIES doit également être tranché politiquement. De leurs côtés, les professeurs de l’UCLouvain, qui étudient le modèle depuis dix ans, préconisent une enveloppe de 2.000 euros. «Cette somme nous paraît la plus juste, tant sur le plan psychologique qu’économique, assure Vincent Yzerbyt. Elle nous paraît suffisante pour encourager la mobilité des étudiants belges, sans trop porter atteinte à l’attractivité du système éducatif francophone sur la scène européenne. Car, je le rappelle, l’idée n’est pas d’assécher le flux d’étudiants étrangers vers nos établissements.»
Surtout, la somme permettrait des retombées économiquement intéressantes pour la Fédération Wallonie-Bruxelles. En multipliant ces 2.000 euros par le nombre d’étudiants européens non-résidents, et en y retranchant le DIES attribué aux Belges partis étudier à l’étranger, les recettes se chiffreraient entre 43 et 44 millions d’euros par an, estiment les professeurs de l’UCLouvain. En cas de DIES fixé à 2.500 euros, le jackpot final pourrait flirter avec les 54 millions annuels. Des bénéfices que le gouvernement MR-Engagés a déjà promis de partiellement réinjecter pour refinancer l’enseignement supérieur.
Reste que le projet pourrait se heurter aux réticences de la Commission européenne, qui plaide pour une égalité de traitement entre tous les citoyens de l’UE. Or, le DIES «instaure un mécanisme de préférence nationale qui est totalement contradictoire avec le projet européen», notait la CSC-Enseignement dans un avis formulé en 2023. Les co-artisans du projet misent toutefois sur la souplesse de la Cour européenne de Justice, qui, dans une directive de 2004, reconnaît le droit des Etats à octroyer le bénéfice de «prestations d’assistance sociale» et d’aides «d’entretien aux études» à ses seuls résidents.
«Pragmatisme»
Globalement, le syndicat chrétien dénonce un modèle qui «créerait davantage de murs que de ponts», «basé sur un préconçu infondé». «Le système est justifié par le fait que les étudiants non-résidents « profiteraient » d’un enseignement financièrement accessible alors que leurs parents n’ont pas contribué via l’impôt au financement de celui-ci, observe Bénédicte Canivez, juriste au service d’études de la CNE. Or, ces familles contribuent dans leur pays d’origine, ce qui reviendrait à les faire payer deux fois. C’est un peu discriminatoire.»
La CSC regrette en outre que le modèle fasse retomber la responsabilité financière de l’éducation sur les individus, et pas sur les autorités publiques. Bref, si la France impose des frais d’inscription exorbitants et des concours d’entrée limitant, favorisant de facto l’exode de ses étudiants vers la Belgique, ce serait à elle d’en payer le prix. Or, certains Etats membres refusent depuis des années la création d’un fonds de compensation européen qui permettrait d’encadrer des transferts de budget d’un pays à l’autre selon les mouvements de leur population étudiante respective. «On comprend que cette démarche soit complexe à articuler sur la scène européenne, concède Bénédicte Canivez. Mais il aurait fallu alors au moins trouver un accord bilatéral avec l’Etat français, plutôt que d’instaurer un modèle pénalisant pour l’étudiant.»
De son côté, le cabinet Degryse assure avoir misé sur la carte du «pragmatisme». «La piste d’une négociation avec un Etat qui est lui-même confronté à ses propres difficultés financières ne permettait pas d’envisager un atterissage dans les délais impartis, insiste le porte-parole centrise. Or, l’idée était de répondre de manière urgente à ce problème, conformément aux demandes du secteur, et pas de proposer des mesures qui ne seraient implémentables que dans cinq à dix ans.»
Et les étudiants hors UE?
Le modèle DIES ne vise que les étudiants issus de pays de l’Union européenne non-résidents en Belgique. La contribution des étudiants hors UE a en effet déjà été revue l’an dernier par le gouvernement MR-Engagés.
Depuis la rentrée académique 2025-2026, ils doivent ainsi débourser un total de 5.010 euros pour s’inscrire dans un établissement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Une exception est toutefois prévue pour les étudiants issus des pays les moins développés économiquement, listés ici par l’ARES.