Le déficit d’encadrement pénalise les étudiants les plus fragiles: en FWB, en 20 ans: on compte en moyenne 44 étudiants pour un enseignant. © BELGA

Les étudiants belges sont les plus lents à obtenir leur bac (et pourquoi c’est inquiétant)

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

En Belgique, seul un étudiant sur quatre obtient son bachelier dans les temps, loin de la moyenne de l’OCDE. Un résultat inquiétant qui masque une réalité complexe.

L’étude jette le trouble dans la communauté universitaire: elle offre des arguments à ceux qui souhaitent resserrer l’accès à l’enseignement supérieur. Présentée il y a quinze jours par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le document de 584 pages, intitulé «Regards sur l’éducation 2025» et comparant les systèmes éducatifs de 38 pays membres, livre en effet des chiffres inquiétants. A peine 23,1% des étudiants en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) et 32,6% des étudiants flamands arrivent à obtenir leur bachelier en trois ans, contre une moyenne de 43% dans les pays de l’OCDE. Au sein de l’Union européenne (UE), seule l’Autriche se classe derrière la Belgique, avec un taux de 20,9%. Les Pays-Bas se positionnent moins bien que la Flandre (30,5%), tandis que la France se débrouille un peu mieux parmi les moins bons élèves (34,3%). Pour ceux qui mettent quatre ans à obtenir leur bachelier –après un redoublement ou une réorientation–, les pourcentages grimpent à 39% parmi les étudiants francophones et à 54% parmi les étudiants flamands. La moyenne OCDE atteint 59%. Pire, ces dernières années, le retard s’est aggravé en FWB, quand d’autres Etats ont amélioré leurs scores. Au bout de six ans (soit trois années supplémentaires), à peine la moitié (51%) arrive à la fin de son bachelier –le taux européen le plus faible. En revanche, la Flandre se situe dans la moyenne, avec une proportion de 70%.

A l’inverse, des pays affichent des taux de réussite notables. En tête: l’Irlande, le Royaume-Uni et la Roumanie, où 67,8%, 67,2% et 61,7% des étudiants décrochent leur bachelier au terme du délai requis.

Comment expliquer ces résultats préoccupants et ce décalage entre les étudiants belges et leurs homologues européens? Ceci d’abord: ils ne sont pas dus à une éventuelle année de césure, qui serait, au contraire, bénéfique. Dans de nombreux pays, la pratique est répandue. Ainsi en Finlande et en Suède, plus de 70% des primo-inscrits optent pour une année sabbatique avant d’entamer leur cursus supérieur. En Islande, en Norvège, en Autriche, au Danemark ou encore en Suisse, l’année «off» concerne plus d’un étudiant sur deux –44%, en moyenne, au sein de l’OCDE. Selon les auteurs de l’étude, une pause représente «un temps bien investi pour affiner son projet professionnel ou clarifier son orientation» et offre «des avantages comme une plus grande maturité».

Cette parenthèse demeure marginale en FWB et en Flandre, où elle touche 15% et 9% des nouveaux inscrits. Les auteurs évoquent notamment «les normes culturelles relatives aux transitions vers l’âge adulte». En Belgique, comme en France, le temps éducatif est toujours considéré comme une course contre la montre. Chez nous, la norme de réussite reste d’avancer vers l’insertion professionnelle de façon linéaire et rapide. Toute pause ou ralentissement –choisi ou subi– peut rapidement s’apparenter à une perte de temps, quand bien même une césure aiderait à en gagner par la suite en formulant ou en affermissant un projet, ou en se dotant de compétences peu développées dans le système académique. Résultat: des choix hâtifs, des premières années surchargées et des réorientations souvent désordonnées/hasardeuses/chaotiques.

L’orientation, maillon faible

La difficulté des étudiants belges à obtenir leur bachelier s’explique par une conjonction de facteurs. Mis bout à bout, ils permettent de comprendre ces faibles scores. Il y a d’abord l’héritage du secondaire, c’est-à-dire le parcours scolaire antérieur. Dans ses tableaux, l’OCDE compare les taux de réussite selon le type de voies. En moyenne, 42% des élèves des filières générales obtiennent leur bachelier en trois ans contre 39% des élèves des filières techniques et professionnelles. La FWB fait nettement moins bien, avec des taux de réussite de 28% pour les titulaires issus du général et de 14% pour ceux issus du technique et professionnel. Mesurés au bout de six ans, les pourcentages atteignent 60% pour les premiers et 36% pour les seconds. Seule la France présente une disparité plus marquée –36% et… 5%.

Autrement dit, et au vu de ces chiffres, l’école secondaire est l’antichambre où se fabriquent les inégalités qui se répètent dans l’enseignement supérieur.

Le secondaire est l’antichambre où se fabriquent les inégalités qui se répètent dans le supérieur.

Il y a ensuite, particulièrement en FWB, l’absence d’une véritable éducation à l’orientation des élèves, qui permettrait de réduire les taux d’échec et de lutter contre l’allongement de la durée des études. En FWB, à l’inverse des autres pays, règne en quelque sorte le «chacun pour soi». Chacun s’oriente comme il peut. Une situation qui privilégie les étudiants qui ont accès à l’information dans leur environnement personnel et familial, c’est-à-dire ceux issus de milieux les plus favorisés. Dès lors, les dirigeants d’université plaident depuis longtemps pour une orientation concertée, estimant que ce n’est pas tant l’absence de sélection aux portes du supérieur qui est source d’échec que l’absence d’orientation dès le secondaire. A leurs yeux, il faudrait miser sur une orientation active, avant la rhéto, avec un accompagnement personnalisé en continu entre la 4e secondaire et la 1ère année de bac. Ce qui suppose une collaboration entre les enseignants du second degré et du supérieur, notamment sur les prérequis à maîtriser.

En FWB, pas de test obligatoire à l’entrée des études, non plus. Une pratique pourtant courante parmi les systèmes éducatifs européens. La volonté d’instaurer un bilan des prérequis obligatoire (mais non coercitif) pour chaque filière est inscrite dans la Déclaration de politique communautaire (DPC) de l’exécutif MR-Engagés. Selon les éventuelles faiblesses de l’étudiant, repérées par ce test, son parcours serait adapté grâce, par exemple, à de la remédiation, du soutien, du tutorat, etc. L’idée est bien accueillie au sein des établissements supérieurs. Parce que, selon eux, un test et une remise à niveau non contraignants ne fonctionnent pas. Au contraire, quand une évaluation non obligatoire indique à l’étudiant qu’il n’a pas le niveau pour entamer telle filière, celui-ci ignore le résultat et persévère jusqu’à l’échec. Jusqu’ici, seule la Flandre impose un test d’aptitudes et un programme de remédiation obligatoires. Résultat: près de 30% des étudiants modifient leur choix quand ils réalisent qu’ils ne possèdent pas les prérequis.

L’accès libre reste rare

Le mode d’entrée dans l’enseignement supérieur ne peut pas, lui aussi, être exclu de l’équation. En Belgique, chaque titulaire d’un CESS peut s’inscrire dans le cursus de son choix, à l’exception de quelques disciplines (la médecine, les soins dentaires, l’ingénierie et les arts). Dans les autres pays, l’accès libre demeure très rare. La plupart pratique une forme de sélection ou de prérequis à l’entrée. En Irlande et au Royaume-Uni, en tête parmi les pays de l’OCDE, la sélection est assumée et institutionnalisée: dossier scolaire (notes obtenues au A-level, équivalent du CESS, mais aussi au GCSE, présenté en 4e secondaire), lettres de recommandation d’enseignants, parfois entretiens ou examens d’entrée pour les universités les plus sélectives. L’étudiant doit détailler ses activités extrascolaires (sport, engagement associatif, etc.). Son admission se déroule ensuite via un processus de sélection par le biais d’une plateforme. Comme au Danemark ou en Suède, chaque établissement fixe ses critères d’admission, qui doivent être transparents.

En Norvège et au Danemark encore, l’orientation vers le supérieur ne concerne que les élèves ayant suivi leurs études secondaires en voie générale. Même critère en Allemagne, auquel s’ajoute la moyenne générale obtenue à l’Abitur, équivalent du CESS. Dès que le nombre de candidatures dépasse le nombre de places disponibles, les universités sont libres d’instaurer une sélection en première année. Face à l’afflux d’étudiants ces dernières années, presque la moitié des cursus de bacheliers auraient aujourd’hui restreint leur accès. Les candidats sont acceptés (en fonction de leur note) jusqu’à épuisement des places. Celle obtenue par le dernier candidat accepté est rendue publique.

L’Espagne a elle aussi choisi la sélection. Selon les places disponibles dans les filières, les étudiants sont acceptés en fonction d’une note globale mêlant leur résultat à l’examen de fin de secondaire (60% de la note) et le score obtenu aux épreuves d’accès à l’université (40% de la note). Un minimum de 5/10 est nécessaire pour intégrer l’université, et la note du dernier étudiant ayant été accepté est publiée. Certaines facs réputées exigent des notes supérieures. L’université italienne, quant à elle, a longtemps eu une tradition d’ouverture, comparable à celle de la Belgique. Mais, dans la pratique, de nombreux établissements sélectionnent à l’entrée et soumettent des cursus à un numerus clausus. S’ils veulent suivre un cursus «à accès restreint», les étudiants doivent donc passer des tests de niveau. Ils sont ensuite classés selon la note obtenue et intégrés jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de places disponibles. Ceux qui ont été intégrés malgré de mauvais résultats doivent suivre une remise à niveau, qu’il leur faut valider pour passer leurs examens de première année.

Enfin, nos proches voisins recourent à des pratiques similaires. En France, dans les filières les plus demandées, les jeunes sont sélectionnés sur différents critères (notes, motivations, activités extrascolaires). Des «attendus» (c’est-à-dire des compétences requises) sont définis pour chaque licence (bachelier). Sur cette base, et en fonction du parcours et du profil des candidats, les universités soit valident leur inscription, soit les acceptent, à condition qu’ils effectuent une remise à niveau, soit les mettent sur une liste d’attente, à charge pour le ministère de l’Education de leur trouver une place. Les Pays-Bas pratiquent un système de matching (questionnaire de motivation, immersion d’une journée et entretien), pour vérifier si le candidat est apte ou non. Ce dispositif est obligatoire mais pas coercitif.

Le supérieur s’est démocratisé et absorbe des étudiants modestes pour qui jober est essentiel.

Des conditions précaires

Autre élément de l’équation qui, également, ne peut être ignoré: un déficit d’encadrement qui pénalise les étudiants les plus fragiles. En FWB, en 20 ans, les effectifs étudiants ont augmenté de 40%, les moyens alloués aux institutions ont été rabotés de 15%, le ratio étudiant/enseignant s’est sévèrement dégradé, inférieur aujourd’hui de 20% par rapport à l’évolution des étudiants. On compte en moyenne 44 étudiants pour un enseignant. Si bien que ces nouvelles cohortes étudient dans des conditions d’encadrement des apprentissages moins bonnes que celles dont bénéficiaient les étudiants d’il y a 20, voire dix ans.

Avec la démocratisation des études, les établissements supérieurs ont absorbé une nouvelle génération d’enfants modestes, pour qui travailler parallèlement aux études est essentiel pour les financer et ce dès la première année de supérieur. Cette hausse du nombre d’étudiants jobistes (plus de 300.000, soit une hausse de 42% en dix ans) contribue à un allongement de la durée des études. Etudier est déjà un travail à temps plein. Or, le temps raboté par un job étudiant accroît le risque de tirer en longueur sa formation.

Enfin, autre hypothèse, à prendre en compte: l’absentéisme. Beaucoup moins d’étudiants assistent aux cours et pas seulement ceux qui jobent. Difficile de chiffrer son étendue mais le phénomène semble général et touche surtout les premières années de bachelier. Rien de neuf ici, nombre d’étudiants estiment inutile de se déplacer pour écouter un enseignant lire ses slides. Ils évoquent encore des horaires inconfortables, trop matinaux ou tardifs, le manque d’interactions ou des difficultés de concentration. Mais les campus accueillent surtout une génération post-Covid et connectée. Les étudiants choisissent à la carte les cours et les professeurs qui leur plaisent. Depuis la crise sanitaire, ils peuvent suivre les cours depuis leur lit ou le canapé, à n’importe quel moment et à leur rythme. Certes, certains d’entre eux s’organisent parfaitement et réussissent sans assister aux cours. Mais, pour d’autres, plus nombreux, cet absentéisme alimente un manque de méthode, d’affiliation à la culture académique et de gestion du temps. Au bout du compte, plus de 20% abandonnent après la première année. Un taux parmi les plus élevés de l’OCDE.

En réponse, les auteurs de l’étude concluent crûment: «Les pays qui affichent des scores supérieurs à 60% de diplômés dans les temps offrent des services d’aide aux étudiants très accessibles, une flexibilité possible, un repérage précoce des risques de décrochage et une reconnaissance simplifiée des crédits en cas de changement de filière. A l’inverse, les systèmes où la réussite dans les temps est faible (dont la Communauté française de Belgique) n’accompagnent que très peu les étudiants dans leur première année et les passerelles pour changer de filière sont trop souvent décourageantes.»

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