Depuis la réforme de la «formation professionnelle continue», les équipes éducatives ont la possibilité d’augmenter le nombre de jours de formation. Au grand dam des parents.
Florence fait le compte. «Depuis janvier, mon cadet est resté cinq jours à la maison. Son institutrice était en « journée pédagogique ». C’est pareil pour l’aîné, en secondaire. Son congé de carnaval a été prolongé de deux jours et, en bonus, il a profité d’un week-end de quatre jours en avril. Eux, évidemment, étaient heureux.» Elle le reconnaît volontiers, un message annonçant une suspension des cours en raison d’une ou plusieurs journées pédagogiques l’irrite un peu. «Je comprends que les profs doivent régulièrement se remettre à niveau. Mais cette année, je trouve que leur nombre est vraiment trop élevé.»
En réalité, le dispositif demeure largement méconnu auprès de nombreux parents, peu rompus au fonctionnement de l’institution scolaire. Or, la «formation professionnelle continue» des enseignants et des personnels des centres PMS a fait l’objet d’une réforme en profondeur, entrée en vigueur en 2022 à bas bruit. Depuis, chaque membre d’une équipe éducative a droit à plusieurs activités de formation. D’abord, 18 jours de formation collective obligatoire (les fameuses «journées pédagogiques»), capitalisables sur six ans, avec un maximum de cinq jours par année scolaire. Les établissements peuvent répartir le nombre de jours comme ils le souhaitent sur cette période de six années. Par exemple, une école pourrait organiser deux jours de formation les première et deuxième années, cinq jours la troisième, cinq jours la quatrième année et, enfin, deux jours les cinquième et sixième années. Les cours sont alors suspendus et les élèves, libérés. L’établissement peut organiser une garderie. C’est un service rendu, pas une obligation.
Formations au numérique, aux référentiels du tronc commun, au dispositif du «parcours d’enseignement qualifiant» (au cours duquel l’élève valide progressivement ses unités d’apprentissage), à l’utilisation du «DAccE» (un dossier numérique qui accompagne désormais l’élève tout au long de sa scolarité): ces quatre modules sont dorénavant obligatoires et portent sur des besoins collectifs, identifiés par l’autorité publique ou repérés sur le terrain.
A ces jours s’ajoutent des cas particuliers: un maximum de trois jours supplémentaires par an décidés par le gouvernement, deux demi-jours annuels maximum pour des formations motivées par des circonstances exceptionnelles (décès d’un élève, d’un enseignant, agression, etc.) et cinq demi-jours maximum par année centrés sur les besoins des établissements dits «en dispositif d’ajustement», c’est-à-dire les écoles les plus en difficulté. Ces formations donnent également lieu à une suspension des cours.
33 millions d’euros sont consacrés à la formation continue des enseignants en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Pénurie
A côté de ces jours obligatoires, l’enseignant peut aussi suivre, sur une base volontaire, des programmes axés sur ses besoins spécifiques, durant le temps de classe, à raison de 30 jours à répartir sur six ans (limités également à cinq jours par an). Le débutant, en poste depuis moins de cinq ans, bénéficie, lui, d’un jour supplémentaire par mois. La panoplie proposée va de «L’enseignement explicite en classe» à «L’évaluation de productions écrites», en passant par «Stimuler l’envie d’apprendre des élèves», «Cultiver l’intelligence émotionnelle» ou encore «Retrouver la joie d’enseigner avec la sophrologie dynamique».
Ces jours-là, le prof en formation doit être remplacé, par un étudiant en stage ou un collègue. C’est la procédure, mais elle se heurte au contexte de pénurie. Les chefs d’établissement sont parfois bien en mal de trouver des remplaçants aux enseignants en formation. Ils doivent alors se résoudre à libérer les élèves ou à les envoyer en salle d’études.
Au cours d’une année scolaire, la somme de ces jours peut être élevée. Mais pour quoi faire?
Cette réforme est héritée du Pacte pour un enseignement d’excellence. En effet, le tronc commun, véritable colonne vertébrale du pacte, génère à lui seul le plus grand changement en matière de pratiques pédagogiques. Concrètement, construire ce cursus commun de la 1ère maternelle à la 3e secondaire entraîne une refonte importante des apprentissages et, pour chaque discipline et chaque année, la rédaction de nouveaux référentiels (NDLR: tous les contenus et compétences que l’élève doit maîtriser). C’est pourquoi le pacte mise sur la formation continue, qu’il a ainsi renforcée en améliorant la qualité et en augmentant le temps qui lui est dédié. «La formation continuée des enseignants est l’un des principaux leviers susceptibles d’améliorer à court et moyen termes les résultats des élèves ainsi que l’efficacité et l’équité du système éducatif», rappelle Caroline Désir (PS), ministre de l’Enseignement obligatoire sous la précédente législature et porteuse de la réforme.
Depuis septembre 2022, les formations ne sont plus organisées qu’en réseau ou en interréseaux. Les écoles ne peuvent plus les mettre en place elles-mêmes, au niveau micro. En revanche, elles sont obligées de mettre au point un plan de formation qui réponde aux besoins collectifs de leurs équipes. Les modules portant sur les référentiels du tronc commun sont un exemple de formation interréseaux.
En réseau, chacun a ses priorités. La gestion de crise en milieu scolaire, le bien-être de l’élève, les troubles d’apprentissage, pour l’enseignement catholique; l’égalité scolaire, l’accès et l’ouverture à tous ou, encore, l’esprit critique pour le réseau Wallonie-Bruxelles Enseignement.
Les enseignants retournent eux-mêmes à l’école huit jours par an en moyenne au sein de l’OCDE.
Une autre vision du métier
En résumé, la formation continue doit devenir «un solide soutien aux changements et aux défis du XXIe siècle», selon les mots de Caroline Désir. Sur le fond, au cœur des modules émerge d’ailleurs une autre vision du métier, moins statique, nettement plus dynamique. En formation, on n’y vient pas (ou plus) pour rafraîchir des connaissances acquises mais pour développer de nouvelles compétences, en accord avec l’esprit du pacte. Au menu, par exemple, le travail collaboratif. Il doit devenir la norme. Ce qui n’est pas encore un pilier de la culture scolaire: l’enseignement est une des professions où la mutualisation est la plus faible. Or, c’est ainsi que naît la véritable innovation et s’inventent de nouvelles façons d’enseigner. S’inspirant du Canada, du Japon ou encore de la Finlande, des «communautés d’apprentissage professionnelles» se mettent en place depuis septembre dernier. «Ces communautés sont des espaces où les enseignants mettent les mains dans le cambouis, où ils travaillent et cherchent ensemble des réponses à des problématiques professionnelles», analyse Vincent Dupriez, professeur en sciences de l’éducation à l’UCLouvain, auteur d’un rapport de recherche sur le sujet. L’idée: produire ensuite un outil concret à disposition de la communauté des enseignants. Ce peut être une séquence de cours, un recueil de pratiques inspirantes ou un support pédagogique…
Ou encore, au programme, l’évaluation formative, «pour du beurre», sans cotation officielle, en décelant d’éventuelles difficultés chez leurs élèves. En clair, en finir avec la culture du «Bic rouge», qui a pu démotiver des élèves, quand bien même des profs, se voulant plus avenants, pointaient leur Bic turquoise.
En Flandre, les journées pédagogiques en secondaire, c’est bientôt fini!
C’est une mesure plutôt inattendue qui figure dans l’Accord de gouvernement flamand: resserrer et supprimer les journées pédagogiques. Ainsi, en primaire, elles sont dorénavant limitées à trois demi-jours par an et une activité pédagogique alternative doit systématiquement être prévue pour les élèves.
En secondaire, les établissements pouvaient jusqu’ici organiser une journée pédagogique par an. Ce jour-là, ils sont fermés et les élèves, en congé. Le nouvel exécutif flamand veut que ce temps de formation des professeurs se déroule désormais hors du temps scolaire, estimant Il estime qu’il ne doit pas empiéter sur les heures de cours avec les élèves. Cependant, en réponse à une question parlementaire posée le 25 avril, la ministre de l’Enseignement, Zuhal Demir (NV-A), affirme qu’elle accordera des dérogations l’année scolaire prochaine. En cause: une vaste réforme, notamment sur les socles de compétences (NDLR: les savoirs et les savoir-faire qu’un élève doit maîtriser à chaque étape de son parcours), qui nécessite de former le corps enseignant. La journée pédagogique est donc maintenue uniquement dans le cadre de cette réforme. Mais après, ce sera fini.