La représentativité de La Ligue des Familles, tout comme celle des associations de parents UFAPEC et FAPEO, sont questionnées par le MR. Une stratégie qui s’inscrit dans un contexte de «suspicion généralisée», fustige l’opposition, qui y voit une «volonté de dévier le débat».
Ce sont trois poids lourds du tissu associatif francophone. Depuis des dizaines d’années, ils défendent les intérêts des familles et des parents, notamment dans le contexte scolaire. Leurs rapports ou sondages, souvent cités dans la presse, alimentent les débats et les analyses politiques. Mais c’est la première fois que la légitimité de ces organisations est remise en question.
C’est la députée libérale Stéphanie Cortisse qui a ouvert la brèche, lundi, en commission du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Dans une question adressée à la ministre de l’Enseignement Valérie Glatigny (MR), la Verviétoise s’est interrogée sur la représentativité de la Ligue des Familles, d’une part, et de la FAPEO (Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel) et de l’UFAPEC (Union Francophone des Associations de Parents de l’Enseignement Catholique), d’autre part.
Des questionnements qui s’inscrivent dans un contexte tendu sur la gratuité scolaire. Le 10 octobre dernier, le gouvernement de la FWB a annoncé son intention de réformer ce mécanisme et de réserver la distribution gratuite des petites fournitures scolaires aux seules familles en difficulté financière. Une décision fustigée par ces trois associations de terrain, qui militent de longue date pour une école accessible à tous. Dans un sondage publié en septembre, la Ligue des Familles soulignait notamment que neuf parents sur dix préféraient une distribution universelle du matériel scolaire et refusaient une distribution ciblée sur les seuls enfants les plus en difficultés.
«Aberrant»
Visiblement déconcertée par ces résultats à contre-courant de la vision de son parti, la députée Stéphanie Cortisse s’est donc enquise auprès de sa ministre de la légitimité des chiffres avancés. «Pour son récent sondage d’opinion, la Ligue des familles a consulté 1.135 parents, soit 0,6% des ménages belges», a répondu la ministre (NDLR: à noter que la Ligue ne prétend pas représenter les intérêts des familles belges dans leur globalité, mais bien ceux de la FWB). Rappelant que la Ligue ne siègeait pas parmi les instances officielles de concertation du système éducatif (contrairement à l’UFAPEC et la FAPEO), la libérale a donc considéré que les informations et données qu’elle publie devaient «être lues avec prudence, notamment concernant la méthodologie employée et la représentativité de l’échantillon interrogé.»
Concernant l’UFAPEC et la FAPEO, Valérie Glatigny a d’abord détaillé leurs statuts et leurs missions, avant de constater qu’aucune donnée ne permettait de s’assurer de la représentativité de ces deux associations. «Il est impossible de savoir leur nombre d’adhérents dont elles sont les porte-voix», a-t-elle avancé. Une absence de données chiffrées que Stéphanie Cortisse a jugé «aberrante». «La FAPEO et l’UFAPEC devraient à tout le moins donner ces chiffres de manière spontanée. Elles ne devraient rien avoir à cacher», a-t-elle déploré.
«Dans l’air du temps»
Des soupçons de crédibilité qui ont «surpris» les deux coupoles d’associations de parents. «Personne n’est venu vers nous pour nous demander ces chiffres, ce qui est quand même un peu particulier», constate Véronique de Thier, co-directrice de la FAPEO, qui déplore une tendance globale au discrédit des associations dans le chef de la coalition Azur. «C’est un peu dans l’air du temps de questionner la représentativité des organisations et particulièrement des corps intermédiaires, fustige la co-directrice. On n’est pas les seuls à en être victimes: les syndicats sont aussi régulièrement attaqués sur ce point. C’est regrettable.»
Pas de quoi déstabiliser les deux organisations sexagénaires, fondées respectivement en 1966 (FAPEO) et 1956 (UFAPEC). «On est droits dans nos bottes et on se sent tout à fait légitimes, insiste Véronique de Thier. On travaille avec les parents sur le terrain, et on fait quotidiennement face à des questions et des inquiétudes qu’on relaie. C’est notre mission première. Au-delà de ça, on est également sollicités par les directions pour accompagner les conseils de participation. Bref, notre travail est loin de se résumer à notre nombre d’affiliés, qui est malgré tout très conséquent, avec plusieurs centaines d’associations de parents membres.»

De son côté, l’UFAPEC confirme également ne pas avoir été sollicitée pour fournir des données chiffrées. Elle rappelle qu’elle remet chaque année un rapport d’activités, faisant état du travail accompli. «Nous sommes une structure indépendante, autonome, avec une reconnaissance explicite, insiste son secrétaire général, Bernard Hubien. Nous avec des missions qui nous sont confiées et que l’on remplit chaque année.» A chaque changement de législature, l’UFAPEC rédige en outre un mémorandum, co-construit avec les parents et associations de parents engagés sur le terrain, note encore Bernard Hubien. «Nous invitons tous les affiliés à participer activement au processus, avec une consultation en ligne et de multiples consultations dans nos implantations régionales.»
Relativisme
Ces soupçons de crédibilité envers ces associations de terrain –«une première», rappelle Bernard Hubien– a fait sortir de ses gonds Bénédicte Linard, députée Ecolo. Visiblement très remontée en Commission lundi, elle confirme aujourd’hui sa consternation. «Décrédibiliser le travail légitime de ces organisations, et insinuer qu’elles ne seraient pas représentatives du groupe de citoyens dont elles sont les portes-voix, c’est totalement erroné, déplore l’écologiste. La Ligue, c’est une association qui a plus de 100 ans d’existence (NDLR: fondée en 1921)! C’est quand même gonflé de considérer qu’elle n’a pas la légitimité de s’exprimer.»
Pour l’écologiste, faire de la politique en coupant le dialogue avec les associations de terrain est un non-sens absolu. «Ce sont elles, les premières expertes des matières, insiste Bénédicte Linard. Et c’est sur leur travail que les politiques doivent se baser. Les faire taire car elles ne sont pas en accord avec les valeurs de telle ou telle politique, c’est un déni de démocratie.»
Globalement, la députée de l’opposition regrette une tendance à la «suspicion généralisée» envers les corps intermédiaires dans le chef de l’exécutif, ainsi qu’à une «relativité de la vérité» de la part de certains députés. «Quand la réalité ne leur convient pas, certains veulent la réécrire avec leur propre vision des choses, observe Bénédicte Linard. Par exemple, la députée Cortisse fait systématiquement référence à un rapport qu’elle a elle-même rédigé. C’est quand même interpellant. Je suis réellement inquiète du rapport à la science de certains élus au sein du MR.»
Une réponse «factuelle»
Pour l’ex-ministre, la stratégie de l’exécutif relève en outre d’une «volonté de dévier le débat». «En dénigrant les associations qui font leur travail, le MR et Les Engagés essaient de dresser un paravent pour masquer le fond du problème, à savoir qu’ils sont en train de faire des économies sur le dos de milliers de familles», estime l’élue. Sollicitée, la Ligue des Familles a d’ailleurs préféré ne pas alimenter la polémique. «Nous souhaitons remettre le débat sur la question de fond, c’est-à-dire le coût de la rentrée scolaire pour la famille», a-t-elle réagi.
De son côté, Valérie Glatigny assure aujourd’hui que ses propos n’étaient en rien une attaque envers la Ligue des Familles, la FAPEO ou l’UFAPEC. «J’ai répondu de façon factuelle à une question d’une députée sur le nombre d’affiliés, précise-t-elle dans les colonnes de La Libre. Je n’ai pas du tout remis en cause leur représentativité.»
Contactée pour plus de précisions, la députée Stéphanie Cortisse (MR) n’a pas donné suite à nos sollicitations.