La dénatalité entraîne une chute du nombre d’élèves inscrits en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Alors que des écoles maternelles et primaires ont déjà dû fermer leurs portes, les effets de ce baby blues commencent seulement à se faire sentir dans le secondaire. Une opportunité pour alléger la pression sur les inscriptions, sans pour autant pallier la pénurie de profs.
Les chiffres ont été retournés dans tous les sens. Mais la chute du nombre d’inscrits devenait trop vertigineuse. Alors, mi-février, le couperet est tombé. L’école «Place aux Enfants», implantée sur le territoire de Fléron depuis les années minières, gardera portes closes à la rentrée. «On aurait pu encore tenir un an, en ne conservant que deux classes de primaire, avance le bourgmestre Thierry Ancion (Les Engagés). Mais vu le faible nombre d’élèves en maternelle qui arrivaient ensuite, on savait que ce ne serait qu’un « Baxter » temporaire. On a donc préféré anticiper plutôt que se retrouver devant le fait accompli.»
«Fermer une école crée toujours un choc émotionnel», souffle le maïeur. Mais avec une diminution de 274 enfants (de 0 à 12 ans) au sein de la population fléronnaise ces six dernières années, pour dix établissements scolaires établis sur un périmètre d’à peine treize kilomètres carrés, l’équation devenait insoluble. Un numéro d’équilibriste auquel ont été confrontées de nombreuses écoles avant celle de Fléron. Et qui menacera la survie de tant d’autres dans les années à venir.
Les projections de l’administration sont en effet sans appel. D’ici à 2037-2038, le nombre total d’élèves inscrits en Fédération Wallonie-Bruxelles (fondamental et secondaire) devrait chuter de 9%, passant de 890.514 en 2022-2023 à 812.396 quinze ans plus tard. C’est dans le secondaire (-11%) que cette baisse serait la plus marquée, suivie par le primaire (-9,5%) et, enfin, le maternel (-2,6%).
Ces estimations, basées sur les perspectives démographiques du Bureau du plan, sont la conséquence d’une dénatalité amorcée en Belgique depuis 2010. A l’échelle du pays, le nombre d’enfants par femme est en effet passé de 1,85 en 2010 à 1,47 en 2023, selon Statbel.
Chute vertigineuse à Bruxelles
Cette baisse des naissances s’est traduite différemment selon les Régions. «En Wallonie, la baisse de la fécondité a été moins spectaculaire qu’à Bruxelles, avance Marc Debuisson, démographe à l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps). Mais avec une moyenne de 1,48 enfant par femme en 2023, on est bien loin du seuil de remplacement (2,1) nécessaire au renouvellement naturel des générations, sans tenir compte des flux de migrations.»
A Bruxelles, l’indice de fécondité est passé de 2,1 enfants par femme en 2009 à… 1,36 en 2023. Au-delà des phénomènes globaux propices à la dénatalité, comme les incertitudes économiques, géopolitiques et environnementales, certains facteurs propres à la capitale justifient cette chute brutale, souligne Jean-Pierre Hermia, démographe à l’Institut bruxellois de statistique et d’analyse (IBSA). D’abord, la propension à faire des enfants beaucoup plus tard qu’ailleurs, induisant un «report de la fécondité».
Bruxelles est également confrontée à une «périurbanisation des naissances»: les futurs parents préfèrent quitter la capitale avant de fonder leur famille. «Ça se traduit dans les chiffres, pointe Jean-Pierre Hermia. Alors que le nombre d’enfants par femme a baissé quasi partout, il a augmenté dans la périphérie bruxelloise, notamment dans l’arrondissement de Hal-Vilvorde.»
Enfin, l’«européanisation» progressive de la population étrangère a induit des comportements de fécondité plus proches de ceux de la population belge, résultant en une baisse de la natalité, «qui avait été artificiellement gonflée au début des années 2000 par d’autres groupes de population», note le démographe.
Cette baisse de la natalité a donc inévitablement fait chuter la population scolaire, dont les premiers effets se sont fait sentir en maternelle (3-5 ans) dès 2013 en Wallonie et 2016 à Bruxelles. Par effet de cascade, la population en âge de fréquenter les primaires (6-11 ans) a ensuite été concernée quelques années plus tard. «A Bruxelles, on remarque que le nombre de classes diminue dans le fondamental depuis la rentrée 2019-2020, note Morgane Van Laethem, gestionnaire de données et analyste à l’Ibsa. Mais pour l’heure, on ne constate pas (encore) de fermeture d’établissements ou d’implantations.»
Pour les écoles rurales, la double peine
Une chance que ne connaît pas la Wallonie. A Waremme, l’école maternelle du Tumulus n’ouvrira pas à la rentrée, faute d’inscrits. «Voilà dix ans que le nombre d’élèves diminue, mais cette année, le seuil de 20 (NDLR: en FWB, les « normes de rationalisation » pour garder un établissement ouvert sont définies selon la densité de la population d’une commune et le nombre d’écoles sur le territoire) n’a pas été atteint, regrette l’échevine de l’enseignement, Alice Collard (MR). L’équipe enseignante n’a pas changé et le niveau d’apprentissages est toujours resté de qualité, donc on imagine que c’est la dénatalité qui a dû jouer un rôle.» Un phénomène que confirme Ghislain Maron, président de l’Association inter-réseaux des directions d’école (Aide). «Depuis 20 ans, on voit pléthore de petites écoles rurales mettre la clé sous le paillasson, observe-t-il. Certes, la fermeture d’un établissement est toujours multifactorielle et est notamment liée à la concurrence. Mais la dénatalité augmente assurément la tendance.»
Les perspectives démographiques, tant en Wallonie qu’à Bruxelles, ne sont pas encourageantes. D’ici à 2037, la population scolaire du fondamental continuera de décroître, même si le degré maternel devrait connaître une stabilisation à partir de 2030. «Les pertes de classes vont se poursuivre, prédit Morgane Van Laethem. Et inévitablement, cette diminution se matérialisera également en secondaire d’un moment à l’autre.» Selon les projections du Bureau du plan, la rentrée 2025-2026 pourrait constituer la première baisse de fréquentation à cet échelon. Le groupe d’âge des 12-17 ans sera d’ailleurs le plus sévèrement touché ces prochaines années, avec une diminution de 12,3% en Wallonie et de 20,9% à Bruxelles attendue d’ici à 2037.
Avec quelles conséquences? La bonne nouvelle, d’abord. Avec moins d’élèves, la pression liée aux inscriptions en première secondaire devrait s’alléger peu à peu. «Mais tout dépendra des écoles, note Morgane Van Laethem. Certains établissements réputés continueront sans doute de connaître des files d’attente, mais globalement, on peut espérer que de plus en plus d’élèves obtiennent leur premier choix.» Toutefois, sans capacité à anticiper les préférences d’orientation des parents, difficile de tirer des conclusions probantes, tant en matière d’inscriptions que de fermetures de classes et/ou d’établissements, insiste l’analyste de l’Ibsa.
La médaille a toutefois un revers. Qui dit moins d’élèves, dit moins d’encadrement. En FWB, le nombre d’enseignants est en effet calculé selon le «capital-période». «Avec autant d’enfants inscrits, on reçoit autant de points, avec lesquels on peut « s’acheter » autant de professeurs, schématise Ghislain Maron. Mais si on dispose de moins de points, on a moins de profs, ce qui peut conduire à regrouper des élèves de différents âges et niveaux au sein d’une seule classe, ce qui n’est pas l’idéal pour les apprentissages.»
Un raisonnement non linéaire
Le nombre d’enseignants est donc amené à diminuer au fil des années. Entre 2023 et 2029, il faudrait d’ailleurs déjà 2.383 profs en moins en FWB, selon une étude menée par des chercheurs du Cerpe (UNamur). Pertes d’emploi en vue? Si les professeurs nommés ont l’assurance d’être réaffectés ailleurs en cas de fermetures de classes, le sort risque d’être moins favorable aux temporaires, s’inquiète Luc Toussaint, président de la CGSP-Enseignement. «Mais notre plus grande crainte, c’est surtout la suppression de la nomination au profit du CDI, rappelle le syndicaliste. Quelles seront alors les garanties d’emploi pour le personnel enseignant dont l’école ferme ses portes? Avec quelles modalités de départ en cas de licenciement?»
Un scénario qu’exclut la ministre Valérie Glatigny (MR). Une diminution des besoins en professeurs «ne signifie en rien qu’il y aura des licenciements, assure son cabinet, car chaque année 7% des enseignants quittent naturellement le métier au terme de leur carrière.» Si la baisse attendue d’environ 10% du nombre d’élèves se concrétise dans les dix ou les quinze ans à venir (soit moins de 1% par an), «on devra dès lors vraisemblablement encore recruter pour assurer la présence d’un enseignant dans chaque classe», estime le cabinet libéral.
Par conséquent, la dénatalité ne devrait pas suffire à pallier la pénurie d’enseignants actuelle. «Le raisonnement ne peut se faire de manière si linéaire», confirme Morgane Van Laethem. Si, dans le fondamental, le besoin en profs est en moyenne proportionnel au nombre d’élèves, le constat n’est pas le même en secondaire. «Les différentes formes d’enseignement (général, technique ou professionnel) ainsi que la démultiplication des options nécessitent des tas de professeurs différents pour un seul groupe d’élèves», insiste l’analyste de l’Ibsa.
Une perte de 170 millions d’ici à 2029
S’en tenir à la relation mathématique «x élèves = x profs» reviendrait en outre à occulter le turnover important dans le secteur. «La désertion du métier due aux conditions de travail difficiles est un phénomène structurel et non conjoncturel, rappelle Luc Toussaint. D’où l’importance d’instaurer de vraies mesures pour redonner de l’attractivité au rôle d’enseignant, plutôt que de mettre des emplâtres sur des jambes de bois en espérant que la pénurie se résolve toute seule avec la dénatalité.»
Difficile, enfin, d’aborder la question de la dénatalité sans en évoquer les enjeux financiers. Pour les écoles, d’abord. L’établissement qui verra son nombre d’inscrits diminuer verra également ses subsides de fonctionnement rabotés, alerte Alain Koeune, président de la Feadi (Fédération des associations de directions de l’enseignement catholique). «Or, certains frais engagés par les écoles sont totalement incompressibles», insiste le directeur du Collège Notre-Dame de Dinant. Comment, par exemple, continuer à rembourser des emprunts en cours pour des travaux? Ou financer le chauffage des locaux, dont le coût restera inévitablement fixe?
«La désertion du métier due aux conditions de travail difficiles est un phénomène structurel et non conjoncturel. D’où l’importance d’instaurer de vraies mesures pour redonner de l’attractivité au rôle d’enseignant, plutôt que de mettre des emplâtres sur des jambes de bois en espérant que la pénurie se résolve toute seule avec la dénatalité.»
La dénatalité risque en outre de creuser des trous dans les caisses de la FWB. Pour rappel, celle-ci est financée en partie par les recettes TVA venant du fédéral, dont la répartition entre les deux communautés du pays est régie par le fameux dispositif de la «clé-élèves». «Moins d’élèves signifie moins de subventions du fédéral, rappelle le cabinet Glatigny. Si les projections se confirment, cela signifie une perte de près de 170 millions d’euros à l’horizon 2029.»
Les prévisions établies par le Bureau du plan ne restent que des hypothèses. La démographie est une science mouvante, influencée par les flux migratoires et d’autres épiphénomènes imprévisibles. Ces projections sont d’ailleurs mises à jour chaque année, et présentées sous différents scénarios, plus ou moins optimistes selon la fécondité attendue.