En pleines délibérations, certaines modalités d’application du décret paysage ont fait l’objet de discussions entre les universités et le gouvernement Degryse. Le tout pourrait déboucher sur des recours en justice.
Pour un certain nombre des quelque 250.000 étudiants en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), le couperet s’apprête à tomber: parce qu’ils n’auront pas validé suffisamment de crédits dans le temps imparti, ils seront bientôt «infinançables» et ne pourront donc se réinscrire pour poursuivre leur cursus, en vertu des règles édictées par la réforme du fameux décret paysage, lancé sous la précédente législature mais qui entre pleinement en application en cette rentrée 2025.
Retardés par un décret «pirate» l’an dernier, finalement abrogé, les effets du décret, qui vise à raccourcir le temps d’étude afin de soulager les finances rougeoyantes de l’enseignement supérieur en FWB, se font pleinement ressentir en cette rentrée universitaire. De quoi susciter, légitimement, une certaine anxiété au sein du monde estudiantin. La fédération des étudiants francophones (FEF) craint ainsi que des étudiants «au bout du rouleau» ne finissent en victimes expiatoires d’une politique de restriction budgétaire pleinement assumée par la coalition Azur, regroupant MR et Engagés au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Tâtonnements
Si l’on ne sait pas combien d’étudiants vont effectivement se retrouver exclus pour cause d’«infinançabilité» au terme des délibérations dans l’enseignement supérieur (la FEF a lancé un sondage à cet effet), une chose est certaine: du côté du gouvernement comme des universités et des hautes écoles, il s’est installé un certain flou quant aux modalités à appliquer en vertu du décret paysage. La ministre-présidente de la FWB, Elisabeth Degryse (Les Engagés), en charge de l’Enseignement supérieur, a tenté de rassurer, faisant valoir un décret «parcours» censé «clarifier les règles». Admettant que, «quand on a un sac à dos de cinq crédits qu’on traîne et qu’on se retrouve bloqué, c’est problématique et donc, on doit changer le fonctionnement».
Sauf que ce nouveau décret n’est pas attendu avant plusieurs mois et, en attendant, il revient aux jurys, vice-recteurs et vice-rectrices de trancher les cas litigieux et d’accorder, le cas échéant, les précieuses dérogations permettant la poursuite des chères études des étudiants théoriquement infinançables.
«Quand on traîne un sac à dos de cinq crédits et qu’on se retrouve bloqué, on doit changer le fonctionnement.»
Et là, cela coince légèrement. Si certaines universités ou grandes écoles ont continué à agir «comme d’habitude», en fonction de leur propre règlement ou procédure interne, d’autres ont demandé des clarifications de la part du cabinet Degryse. Lequel renvoie vers un vademecum du Collège de commissaires et délégués du gouvernement (Comdel) : un document de près de 100 pages reprenant, en la mettant à jour (la dernière fois, en mai dernier), la législation en vigueur. Pas de quoi régler la question, si bien que des discussions ont eu lieu, jusqu’au dernier moment, entre les universités et le délégué du gouvernement chargé d’expliciter certains critères de finançabilité.
Risque discriminatoire
Ces tâtonnements traduisent des craintes maintes fois formulées par les différents acteurs concernés ces derniers mois. «Une disposition particulière du décret permet désormais au jury d’avoir un pouvoir d’appréciation non plus sur la réussite de l’étudiant (ce qui était son rôle historique) mais sur sa finançabilité, donc sur les conditions de financement de l’institution», alerte la Ligue des familles, qui pointe un contexte où, «pour deux étudiants dans une situation similaire en terme de parcours, dans certains cas le jury a la capacité de prononcer une ultime année finançable, dans d’autres non.»
Gare aux effets discriminatoires, donc. «Du fait que les établissements qui voudraient accorder une dérogation à un étudiant non finançable comptent sur leurs fonds propres, il y a un risque que le financement soit corrélé à la précarité étudiante. Ce qui signifie que les établissements dans lesquels se concentrent davantage, ou tout particulièrement, des étudiants précaires (particulièrement des hautes écoles) pourraient crouler sous les demandes de dérogation, sans pouvoir les accorder s’ils ne sont pas soutenus financièrement. Même quand le parcours de l’étudiant indique une possibilité significative de réussite», remarque la Ligue des familles.
Pour les universités et hautes écoles, la charge est d’autant plus lourde à porter que le décret paysage supprime, dès cette année, la possibilité pour les étudiants de porter leur cas devant la Commission d’examen des plaintes d’étudiant(e)s relatives à un refus d’inscription (Ceperi). Cette autorité administrative indépendante examinait, après un recours interne, la validité de la motivation d’une décision de refus d’inscription par un établissement d’enseignement supérieur. Tous ces éléments pourraient mener à des recours en justice, fait valoir, pour finir, la Ligue des familles…
En attendant, les universités s’attendent à une hausse d’étudiants infinançables cette année, Dans quelles proportions? Mystère. On ne devrait –a priori– pas assister au «raz de marée» redouté par la FEF, qui a pu, par le passé, évoquer le chiffre de 70.000 étudiants infinançables, soit un étudiant sur trois. Le gouvernement a, lui, promis des chiffres pour octobre.