Les outils connectés offrent de nouvelles armes aux tricheurs. Une tendance qui s’observe davantage dans l’enseignement supérieur qu’en secondaire, obligeant les universités à légiférer. Mais les copions et autres fraudes «traditionnelles» n’ont pas dit leur dernier mot.
«Les sacs, au fond de l’auditoire. Les téléphones, éteints. Seule la possession d’un stylo est autorisée durant la totalité de l’épreuve.» A chaque examen, la même ritournelle. Les consignes anti-triche sont égrénées dans un silence presque cérémoniel. Ce rituel, qui continue à hanter les étudiants des années après leur diplomation, inclut désormais une nouvelle dimension: les appareils connectés figurent eux aussi parmi les objets proscrits.
«Depuis que l’électronique et les appareils connectés se sont miniaturisés et démocratisés, on a remarqué que ceux-ci étaient parfois utilisés à des fins de triche, confirme François Schoenaers, vice-recteur à l’Enseignement à l’ULiège. C’est une réalité à laquelle on est très concrètement confrontés.» Dans son règlement, l’université liégeoise a d’ailleurs explicitement interdit la présence de tels outils lors des évaluations. «La découverte de l’un de ces appareils, même éteint, entraîne l’interruption immédiate de l’épreuve et l’attribution de la lettre « F » pour l’épreuve en cours», martèle le texte.
Concrètement, au-delà des traditionnels smartphones, ce sont surtout les montres connectées qui sont visées par cette interdiction. «Elles sont très discrètes et très faciles à manier, donc elles permettent beaucoup de choses», insiste François Schoenaers. Les oreillettes ou écouteurs connectés, voire même les lunettes intelligentes, ont également fait leur apparition dans les salles d’examen. «Tout ce qui est émetteur de données peut aujourd’hui être extrêmement petit et se glisser dans n’importe quel objet, tel un bic ou une broche, confirme Benoît Raucent, président du Louvain Learning Lab (UCLouvain) et professeur à l’Ecole polytechnique de Louvain. A l’avenir, ces émetteurs pourront même devenir invisibles et être placés dans le lobe d’une oreille, par exemple.»
«Pas le sport national»
Malgré plusieurs cas avérés, la fraude aux nouvelles technologies reste toutefois limitée. La Fédération des Etudiants Francophones (FEF) appelle d’ailleurs à ne pas en exagérer la portée. «Concernant les oreillettes connectées, on n’a jamais eu vent de ces techniques, observe le président, Adam Assaoui. Objectivement, je ne comprends pas comment cela peut marcher. Il faudrait qu’il y ait quelqu’un, en dehors de la salle d’examen, qui ait eu accès à la copie et aux questions pour pouvoir souffler les réponses à l’étudiant. Ca me paraît un peu gros. Puis, globalement, dans l’enseignement supérieur, il y a tellement de matière à maîtriser qu’il faudrait déjà des outils très performants pour réussir son année grâce aux nouvelles technologies.»
Le vice-recteur de l’ULiège confirme: la triche via les appareils connectés n’est pas devenue un «sport national» auquel s’adonnent les étudiants. «On a vu une petite incidence de ces nouvelles technologies, sans véritable pic épidémiologique. Mais ça reste une réalité à ne pas négliger. C’est pourquoi on a décidé d’interdire rapidement leur usage. Mieux vaut prévenir que guérir.» De son côté, l’ULB prend également la problématique au sérieux. L’université bruxelloise a ainsi mandaté un groupe de travail composé d’experts techniques et pédagogiques pour «suivre de près ces évolutions, adapter les méthodes d’évaluation, et, le cas échéant, renforcer les dispositifs de prévention en matière de tricherie durant les épreuves.»
La triche «à portée de main»
Si les nouvelles technologies «facilitent» la fraude, elles n’ont toutefois pas éclipsé les méthodes traditionnelles. Les regards indiscrets sur la feuille du voisin, les copions et autres antisèches artisanaux restent répandus dans les auditoires. «Même sans montre, c’est facile de tricher dans un amphi de 200 étudiants», admet Louise*, recrutée comme surveillante pendant plusieurs sessions d’examens. «La fraude a toujours existé et existera toujours, reconnaît Benoît Raucent. Mais la difficulté aujourd’hui, c’est qu’elle s’est démocratisée grâce à ces outils et à l’intelligence artificielle. Avant, seuls les plus téméraires s’y risquaient. Aujourd’hui, les techniques sont à portée de main et n’importe qui peut les exploiter.»
Pour limiter les risques, deux solutions s’offrent aux établissements: l’interdiction pure et dure de ces appareils connectés ou une évolution des méthodes d’évaluation. La première option requiert un climat de confiance entre membres du personnel académique et étudiants, qui peut se voir altérer par une surveillance accrue et des contrôles intrusifs. Certains professeurs vérifient par exemple systématiquement les poignets ou les oreilles de leurs étudiants, parfois même plusieurs fois au cours de l’épreuve. «Ca peut perturber les élèves et ajouter un stress supplémentaire», regrette le président de la FEF.
Un «exercice d’équilibriste»
La deuxième option implique la limitation des épreuves écrites de restitution pure, style QCM, de facto les plus propices à la triche. Ainsi que les travaux à domicile, dont la pertinence se voit questionnée depuis l’essor de ChatGPT. «La meilleure manière d’éviter toute fraude, qu’elle soit via les objets connectés ou l’intelligence artificielle, serait d’imposer des examens oraux à tous les étudiants», note François Schoenaers. Une «évaluation idéale» qui se heurte aux réalités de terrain. «Dans les premières années de bachelier, qui regroupent parfois entre 600 et 900 étudiants, nous n’avons pas les ressources ni le temps nécessaires pour procéder de la sorte, insiste le vice-recteur à l’Enseignement de l’ULiège. Car, malheureusement, le taux d’encadrement n’a pas suivi la massification de l’enseignement.»
Les établissements se retrouvent donc «pris au piège» face à l’essor de ces nouvelles technologies, qui induisent une «réduction du spectre d’évaluation», reconnaît le vice-recteur de l’ULiège. «Il y a un véritable enjeu à maintenir à la fois la qualité de l’enseignement –qui passe par la qualité de l’évaluation– sans tomber dans un système d’ultra-surveillance, qui réduirait le rôle des professeurs à une sorte de gendarme suspicieux, insiste François Schoenaers. C’est un véritable exercice d’équilibriste.»
De son côté, Benoît Raucent plaide également pour intégrer l’IA et les outils connectés dans les méthodes d’évaluation. «Actuellement, on se trouve plutôt dans une attitude défensive face à ces nouvelles technologies, déplore le président du Louvain Learning Lab. Or, il faut sortir de cette méfiance. Freiner leur développement, c’est tout simplement peine perdue.» Les enseignants doivent donc aujourd’hui relever un double défi: former les étudiants à utiliser ces outils correctement, et capitaliser sur ces technologies pour améliorer les apprentissages. «A l’avenir, l’IA et les appareils connectés devront donc inévitablement faire partie de l’évaluation, à tout le moins partiellement», tranche le professeur à l’Ecole polytechnique de Louvain.
Moins répandu en secondaire
Si les smartphones et appareils connectés sont peu courants en primaire, ils le sont davantage en secondaire. Mais la triche via ces nouvelles technologiques n’y semble pas aussi répandue que dans le supérieur.
«Dans une majorité d’écoles, ce problème est tout simplement évacué par les règlements d’ordre intérieur qui interdisent déjà les montres connectées et ce genre d’objets durant les cours», pointe Arnaud Michel, directeur de la communication au SeGec (Secrétariat général de l’enseignement catholique).
Dès la rentrée prochaine (2025-2026), cette interdiction sera d’ailleurs généralisée à tous les établissements. L’usage récréatif des smartphones et de «tout autre équipement terminal de communications électroniques» sera en effet proscrit jusqu’en sixième secondaire. De quoi limiter les tentations? «Ce sera une voie d’entrée en moins, reconnaît le président de la CGSP Enseignement, Luc Toussaint. Mais il ne faut quand même pas se faire d’illusion: la triche technologique ne va pas disparaître du jour au lendemain via cette interdiction. Les élèves trouveront toujours des subterfuges.»
La triche «traditionnelle» reste en outre courante. «Des essais de fraude, il y en a, comme il y en a toujours eu, observe Alain Koeune, président de la Fédération des associations des directeurs de l’enseignement secondaire catholique (Féadi). Mais l’essor de ces nouveaux dispositifs n’a pas tant changé la donne.»