
Dutroux : l’affaire qui a ébranlé la Belgique
Le 15 août 1996, la Belgique découvrait le visage de celui qui allait devenir l’homme le plus détesté du pays. Par leurs révélations, Marc Dutroux, en liberté conditionnelle, et ses complices faisaient plonger le pays dans l’horreur.
L’affaire Dutroux n’était pas un fait-divers comme un autre. Et ses conséquences ont été nombreuses, tant au niveau judiciaire que politique.
Tout commence le 9 août 1996, quand Laetitia Delhez, âgée de 14 ans, disparaît à Bertrix sur le chemin de la piscine. Les autorités de Neufchâteau sont saisies et l’enquête débute le 10 août. L’asbl « Marc et Corine » diffuse des affiches et les médias relatent cette disparition qualifiée « d’inquiétante » par les services de police.
Lors d’une enquête de voisinage, des témoins évoquent le manège suspect d’une camionnette blanche, aux abords de la piscine. Deux d’entre eux donnent une ébauche de numéro de plaque d’immatriculation : FFR 692 ou 697… La piste conduit les enquêteurs vers un personnage déjà condamné en 1989 pour enlèvements et viols de mineures de moins de 16 ans. Si son nom n’est pas connu des enquêteurs de Neufchâteau, il l’est cependant à la cellule disparitions mais aussi à la gendarmerie de Charleroi où on connaissait le passé judiciaire de l’individu mais où on savait également depuis août 1995 qu’il avait le projet de construire des caches… Une opération de surveillance de l’individu avait d’ailleurs été lancée à cette époque sous le nom d' »Othello ».
En décembre 1995, une perquisition est même menée à son domicile à Marcinelle dans le cadre d’une enquête sur un trafic de voitures. Le gendarme de la BSR, René Michaux, entend des voix alors qu’il se trouve dans la maison. « Taisez-vous », crie-t-il à ses collègues. Les voix de taisent. Le gendarme en déduit qu’il s’agit de voix d’enfants venant de l’extérieur.
Or, les petites Julie Lejeune et Mélissa Russo, âgées de 8 ans, ont disparu à Grâce-Hollogne le 24 juin 1995. L’enquête démontrera qu’elles se trouvaient lors de la perquisition dans une cache aménagée par Dutroux dans la cave de son habitation.
Marc Dutroux et son épouse, Michelle Martin -une ancienne institutrice-, ainsi qu’un troisième larron, Michel Lelièvre, sont finalement arrêtés le 13 août 1996. Les enquêteurs n’ont à ce moment qu’un seul espoir : retrouver Laetitia vivante.
Dans un premier temps, les trois personnes interpellées nient les faits qui leur sont reprochés. Puis Lelièvre passe aux aveux et accuse également Dutroux. Ce dernier promet alors aux enquêteurs de leur « donner deux filles ». Le 15 août, il envoie les enquêteurs à son domicile où sont enfermées Laetitia et Sabine Dardenne, disparue à Kain le 28 mai 1996 alors qu’elle était âgée de 12 ans. C’est à ce moment que le visage de celui qui deviendra « le monstre » est dévoilé au pays.
Alors que la liesse s’empare des villages de Bertrix et de Kain, l’horreur reprend le dessus. Lelièvre évoque en effet les enlèvements d’An Marchal et d’Eefje Lambrecks, âgées respectivement de 17 et de 19 ans lors de leur disparition le 22 août 1995 à la Côte belge. Dutroux explique quant à lui que Julie et Mélissa sont restées plus de 8 mois dans sa maison de Marcinelle avant d’y mourir de faim pendant sa détention en décembre, janvier et février 1995.
Michel Nihoul, homme d’affaires bruxellois connu pour escroquerie et trafic de stupéfiants, est également arrêté.
Le 17 août, les cadavres de Julie et de Mélissa, ainsi que celui de Bernard Weinstein, impliqué avec Dutroux dans des trafics de voitures, sont découverts dans le jardin de la maison de Dutroux à Sars-la-Buissière. Le 3 septembre, les corps d’An et d’Eefje sont retrouvés enterrés dans la propriété de Weinstein, à Jumet.
L’émotion populaire est alors à son comble. Nombreuses sont les rumeurs de réseaux et les clans se créent. On retrouve d’une part les « non-croyants », qui pensent que Dutroux et ses complices ont agi seuls, et les « croyants ». Les médias sont divisés et rallient l’un ou l’autre clan. Les familles adopteront également des thèses différentes. Même les acteurs judiciaires sont soupçonnés d’adhérer à l’une ou l’autre thèse.
Fin août, le procureur du Roi de Neufchâteau, Michel Bourlet, dit qu’il ira jusqu’au bout « si on le laisse faire »… Si on sait aujourd’hui que ses propos faisaient référence au dossier des titres volés (dans le cadre de l’affaire Cools, ndlr) transféré à son mécontentement de Neufchâteau vers Liège, ils font à l’époque penser à la population que des protections envers les pédophiles existent, ébranlant encore d’avantage la confiance des citoyens envers les institutions.
Les parents des petites victimes, principalement ceux de Julie, de Mélissa et de An, très présents dans les médias depuis la disparition de leurs enfants, dénoncent une nouvelle fois le laxisme de l’enquête et les dysfonctionnements dans les systèmes politique et judiciaire belge. Des mouvements citoyens se créent aux quatre coins du pays. La contestation populaire gronde et atteint son apogée le 20 octobre 1996 quand plus de 300.000 Belges descendent dans la rue pour réclamer du changement.
Une commission parlementaire est alors mise en place quelques jours plus tard. Dans deux rapports, elle constate que des lacunes et des dysfonctionnements existent dans la structure du système répressif belge et que des fautes ont été commises; mais exclut également des protections. Elle émet des recommandations quant à une nouvelle organisation judiciaire.
La mise en place de celle-ci traîne malgré l’installation du plan « Octopus » qui réunit les 8 partis traditionnels.
Tout se bouscule cependant le 23 avril 1998 lorsque Marc Dutroux s’évade du palais de Justice de Neufchâteau où il consultait son dossier. Même s’il ne reste que quelques heures en liberté, l’évasion de « l’ennemi public numéro 1 » anéantit le peu de confiance que les citoyens belges avaient encore envers les mondes politique et judiciaire. Les ministres de la Justice et de l’Intérieur sont contraints de démissionner.
Cette évasion accélère la réforme de la police et de la Justice. Dans les mois qui suivent, la police intégrée à deux niveaux est mise en place. On notera également la mise en place du tribunal d’application des peines, notamment chargé d’examiner les demandes de libération, et d’un Conseil supérieur de la Justice.
En avril 2003, Dutroux, Lelièvre, Martin et Nihoul sont renvoyés devant les assises. L’enquête menée pendant 7 ans n’a finalement pas permis d’identifier d’autres suspects. Un dossier « Dutroux bis » a cependant été ouvert pour permettre d’éventuelles nouvelles inculpations. Il sera refermé en octobre 2010 après qu’aucun des quelque 6.000 cheveux saisis chez Dutroux n’ait révélé la présence d’autres suspects.
Le 22 juin 2004, les quatre accusés du dossier « Dutroux et consorts » écopent, après plus de trois mois de procès devant les assises d’Arlon, de peines variant entre 5 ans de prison et la réclusion à perpétuité. Michel Nihoul, qui n’a pas été condamné pour enlèvement et a donc écopé de la peine la plus faible, a aujourd’hui quitté la prison. Marc Dutroux, qui se plaint régulièrement de ses conditions de détention, et Michel Lelièvre sont toujours derrière les barreaux.
Le 31 juillet 2012, le tribunal d’application des peines de Mons décide que Michelle Martin est libérable sous conditions. Elle sera envoyée au couvent des Clarisses à Malonne (province de Namur). Les demandes de libération de Michelle Martin avaient auparavant été refusées à trois reprises.
Le Vif.be, avec Belga
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