Donald Trump avec l’ancien secrétaire général Jens Stoltenberg (à g.) au sommet de l’Otan de Bruxelles en 2017: aujourd’hui, les alliés ont perdu leur insouciance. © GETTY

Sommet de l’Otan à La Haye: augmenter les budgets de défense, oui mais comment?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Les membres de l’Alliance atlantique se réunissent aux Pays-Bas pour acter la hausse à 5% du PIB des budgets militaires. Un objectif qui fait grincer les dents en Belgique.

Cinq pour cent, chiffre magique, chiffre honni, et emblème de l’effort que Donald Trump exige des membres de l’Otan en matière de défense pour continuer à les protéger. Ces 5% seront au cœur des débats du sommet de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord qui se tiendra du 24 au 26 juin à La Haye, le premier et sur ses terres du nouveau secrétaire général Mark Rutte. Cinq pour cent, c’est la proportion du Produit intérieur brut (PIB) que les Etats membres sont censés consacrer à leur budget militaire à une échéance à affiner. Jusqu’à aujourd’hui, l’exigence était fixée à 2% et certains peinaient déjà à la respecter et ont dû, pour y arriver en 2025, consentir à des mesures inédites. C’est dire le bouleversement que devront opérer les mauvais élèves de la classe. Une révolution.

Alors candidat à la présidence, Donald Trump avait créé la stupeur en février 2024 en confirmant que, lors de son premier mandat, il avait averti un dirigeant que les Etats-Unis ne protégeraient pas un membre de l’Alliance qui ne paierait pas ses factures s’il était attaqué. «Non, je ne vous protègerai pas. En fait, je les [les Russes] encouragerais à faire ce qu’ils veulent. Vous devez payer. Vous devez payer vos factures», affirmait-il avoir déclaré. De retour à la Maison-Blanche depuis le 20 janvier, Donald Trump n’est plus aussi impétueux. Mais s’il a calmé ses ardeurs, c’est parce qu’après avoir continué à faire pression sur ses «alliés», il a obtenu d’eux des gages que la situation allait changer. Suffisamment à son goût?

«Il y a un paradoxe: 500 millions d’Européens supplient 300 millions d’Américains de les protéger contre 140 millions de Russes.»

Tous à 2%

Deux inflexions «positives» ont en effet été observées depuis la réélection du républicain. D’une part, un certain nombre d’Etats ont pris des dispositions pour atteindre les 2% dès cette année. Ainsi, le Canada, sous l’impulsion du nouveau Premier ministre Mark Carney, a annoncé de nouvelles dépenses de 9,3 milliards de dollars, portant les investissements prévus pour 2025 à 62,7 milliards de dollars, ce qui lui permet «de dépasser de peu la cible de 2% de l’Alliance». L’Espagne (1,24% du PIB en 2023), à la pointe haute du trio des plus «mauvais payeurs» devant la Belgique (1,21%) et le Luxembourg (1,01%), a promis des investissements de 10,47 milliards d’euros. Pour apaiser Sumar, son partenaire de la gauche radicale, le Premier ministre Pedro Sánchez a assuré avoir atteint l’objectif «sans augmenter les impôts, sans toucher à un centime des investissements de l’Etat dans les dépenses sociales et sans augmenter le déficit public», notamment en réorientant des fonds du plan de relance européen NextGeneration. L’argumentation illustre la difficulté pour certains dirigeants européens, singulièrement à gauche de l’échiquier politique, de faire de la hausse du budget de la défense une priorité alors que d’autres besoins, sociaux et environnementaux, apparaissent tout aussi urgents. Avec un gouvernement dominé par la droite, la Belgique a surmonté ce premier écueil sans trop d’états d’âme, même s’il a fallu trouver quatre milliards d’euros pour rattraper le retard de budget.

Les méthodes employées pour atteindre les 2% n’ont pas nécessairement offert les garanties pour assurer l’effort supplémentaire de financement attendu. «Créer une marge de manœuvre budgétaire est un dilemme auquel sont confrontés tous les alliés de l’Otan […]. Notre enquête auprès d’experts en sécurité nationale en Europe a révélé une diversité de stratégies budgétaires, expliquent Tim Haesebrouck et Michelle Haas, professeur assistant et doctorante à l’Institut d’études européennes et internationales de l’UGent, dans une note pour le Réseau d’analyse stratégique intitulée «Quitter le club des passagers clandestins: les leçons de la Belgique». L’Allemagne, la France et la Pologne ont principalement eu recours à l’endettement, une solution à court terme qui repousse les décisions structurelles. La Suède et les Pays-Bas ont opté pour des réaffectations budgétaires, tandis que les Etats baltes, confrontés à des menaces plus importantes, se sont montrés plus enclins à augmenter les impôts. La Belgique, pour sa part, s’est principalement appuyée sur des mesures temporaires pour atteindre l’objectif de 2% […]. Cela comprend 1,2 milliard d’euros provenant des impôts sur les bénéfices des avoirs russes gelés détenus chez Euroclear (NDLR: une société internationale de dépôt), un dividende unique de 500 millions d’euros de la banque publique Belfius, 125 millions d’euros provenant du reclassement de dépenses existantes comme liées à la défense, et environ deux milliards d’euros de prêts […]. S’appuyant principalement sur des mesures provisoires à court terme, la Belgique reste confrontée à un défi budgétaire structurel. Avec un important déficit budgétaire préexistant et une dette publique de 107% du PIB, le maintien de dépenses de défense plus élevées nécessitera des décisions politiquement douloureuses.» Ceci explique sans doute les réticences de certains acteurs politiques belges, y compris au sein du gouvernement, pour satisfaire l’étape suivante du redressement européen en matière de défense.

«Lors de la guerre froide, nous étions à 3% de dépenses de défense.»

Accord de principe sur 5%

La deuxième inflexion «positive» de nature à calmer Donald Trump sur le dossier de l’Otan est l’objectif des 5% que devrait entériner ses 32 membres à La Haye. Mais s’il semble faire consensus, les moyens et le délai pour l’atteindre devraient, eux, être l’objet d’âpres discussions. La perspective, jugée inéluctable, d’une importante réduction voire d’un arrêt de l’assistance militaire américaine à l’Europe a conduit à considérer que l’effort budgétaire en matière de défense devait être approfondi. Une «nécessité» dont sont convaincus de plus en plus de dirigeants et dont le Premier ministre polonais Donald Tusk a établi l’évidence lors d’un discours le 2 mars à Varsovie avec cette formule: «Il y a un paradoxe: 500 millions d’Européens supplient 300 millions d’Américains de les protéger contre 140 millions de Russes», puisque le pays de Vladimir Poutine est bien celui qui menace directement l’Europe.

Le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, a dessiné les contours de cette nouvelle hausse des contributions des membres à leurs dépenses de défense: 3,5% de PIB devraient être consacrés à de stricts moyens de défense, et 1,5% à des secteurs connexes, comme les infrastructures stratégiques et des programmes liés à la cybersécurité. L’augmentation devrait être constante, de 0,2% par an, pour arriver au résultat des 3,5% en 2032. Le processus ferait l’objet d’un suivi contraignant, qui n’avait pas été mis en place pour l’exigence des 2%. «Les alliés devront montrer chaque année les efforts qu’ils ont entrepris pour arriver à 5%», a promis Mark Rutte.

Des soldats européens dans le cadre d’un exercice de l’Otan en Bulgarie au mois de février 2025. © GETTY

Tensions en Belgique

Le consensus sur l’objectif des 5% a été accrédité par le ministre belge de la Défense, Theo Francken à l’issue d’une réunion de ses homologues de l’Otan le 5 juin. «Nous ne faisons pas cela pour les beaux yeux de Donald Trump. C’est une réflexion logique, un processus d’investissement rationnel pour renforcer nos forces armées. Lors de la guerre froide, nous étions à 3% de dépenses de défense, et nous sommes revenus en situation de guerre froide», a déclaré le ministre N-VA sans craindre la contradiction entre les chiffres d’hier et de demain. L’assurance de Theo Francken a irrité jusqu’à l’intérieur de la coalition gouvernementale. «Cinq pour cent du PIB, c’est pas moins de 30 milliards d’euros par an, rien que pour la défense. Sur quel arbre poussent ces milliards», a interrogé le président du CD&V Sammy Mahdi dans une interview à Het Nieuwsblad le 6 juin. Le président du MR, Georges-Louis Bouchez, a tonné dans une interview au Soir le 14 juin qu’«arriver à 5% en cinq ans (NDLR: en l’occurrence, ce serait sept ans), pour la Belgique, c’est impossible ou alors, il faut arrêter toutes nos autres politiques». Le président de Vooruit, Conner Rousseau, a qualifié d’«excessif, irréalisable et inabordable» l’objectif des 5%. Une note d’orientation rédigée par le Premier ministre Bart De Wever, son ministre de la Défense Theo Francken et son ministre des Affaires étrangères Maxime Prévot, révélée le 14 juin par L’Echo, considère pourtant pour acquis son endossement par la Belgique. Tout juste Francken et Prévot ont-ils exprimé une légère divergence sur le délai: «Sur plus de sept ans» pour le premier, «sur au moins dix ans» pour le second.

Les tergiversations belges soulignent l’ampleur du défi auquel sont confrontés les Etats membres de l’Otan, certains plus que d’autres. «Atteindre et maintenir des dépenses de défense plus élevées nécessitera des décisons politiquement difficiles, qu’il s’agisse de réductions budgétaires, d’augmentations d’impôts ou d’investissements financés par la dette», observent Tim Haesebrouck et Michelle Haas, de l’UGent. En Belgique, les choix budgétaires structurels ont été largement reportés. Le pays s’est appuyé sur des mesures temporaires pour atteindre l’objectif des 2%. […] Aux obstacles budgétaires existants, s’ajoute l’absence de menaces fortes perçues par le grand public. Cela pourrait rendre plus difficile le maintien du soutien de la population à une augmentation des dépenses de défense […]. Se débarrasser de l’étiquette de passager clandestin ne se limite pas à une simple augmentation de dépenses. Il s’agit de les maintenir, de les justifier, et de les utiliser efficacement.» Ostensiblement, le gouvernement belge n’est pas encore prêt à franchir ce pas.

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