Mur anti-drones de l'Union européenne contre la Russie, est-ce réaliste?
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Un mur anti-drones contre la Russie, pure fantaisie? «Nous sommes entrés dans une nouvelle dimension»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Entre provocations russes et crispations occidentales, l’idée d’un «mur anti-drones» surgit en Europe. Symbole fort mais mirage technologique, ce projet illustre la guerre des nerfs qui s’intensifie entre Moscou et l’Otan.

Une guerre des nerfs et de… poker. Entre la Russie et l’Otan, la tension militaire va crescendo. Il faut dire que, depuis début septembre, les violations aériennes dans le ciel occidental se sont multipliées. Pologne, Danemark, Norvège, Estonie, Roumanie: autant de pays, tous membres de l’Otan, qui ont signalé des incursions de drones et/ou d’avions de combat. Dans certains cas, comme la Pologne, la marque de la Russie est clairement identifiée. Et dans d’autres, comme le Danemark, le doute reste permis.

Assiste-t-on à des provocations intentionnelles de la part de Vladimir Poutine? A une volonté de tester la réactivité et l’unité de l’Otan et de l’UE? A des tentatives d’espionnage de certains sites stratégiques? Ou, dans certains cas, de simples erreurs de navigation? Peut-être est-ce un mix de tous ces éléments.

Dans tous les cas de figure, l’Alliance atlantique ne reste pas de marbre. Elle a déclenché l’opération «sentinelle orientale», qui vise à renforcer le système de défense aérien des pays membres. Cette dernière fait suite à l’activation de l’article 4 par la Pologne et l’Estonie. Il stipule que «les parties se consulteront chaque fois que, de l’avis de l’une d’elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée».

Mur anti-drones et poker menteur

Les éléments de langage, eux aussi, ont changé. A la question de savoir si l’Otan devait abattre tout appareil russe qui survolerait à nouveau son espace aérien, Donald Trump a répondu «oui», sans détour. «Rien n’est exclu en termes de riposte», a ajouté Emmanuel Macron. Et, au Kremlin, on rappelle que «toute agression contre la Russie entraînera une réponse absolue», a renchéri Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères, niant par la même occasion l’implication de la Russie dans ces incursions. Le poker menteur, grandeur nature, est définitivement lancé entre les deux blocs.

Plus surprenant: l’Union européenne a elle aussi dégainé, suggérant la création d’un mur anti-drones sur le flanc oriental du continent. Soutenue par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, l’idée provoque toutefois un début de division parmi les Etats membres (n’est-ce pas ce que recherche précisément Poutine?): si certains sont favorables, d’autres, comme la France, se montrent plus réticents. «Je me méfie de cette expression un peu hâtive. Les choses sont plus complexes», a tempéré Emmanuel Macron à l’issue du premier jour du sommet européen à Copenhague.

Mur anti-drones: quelle faisabilité?

Dès lors, quelle est la faisabilité d’un tel projet? A quoi ressemblerait-il sur le terrain? Est-il réaliste d’un point de vue technologique?

«Est-il nécessaire d’améliorer la défense anti-drones et les capacités de réaction à l’est de l’Otan? Oui. La solution réside-t-elle dans une notion de «mur»? Ce n’est pas sûr. Peut-on s’attendre à une étanchéité à 100%? Certainement pas», résume Olivier Kempf, directeur du cabinet de stratégie La Vigie, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) et Général français (2S) à la retraite. Il estime, sans hésitation, que le projet de mur anti-drones, au vu de l’ampleur du territoire à couvrir, «n’est pas totalement réaliste.»

D’un point de vue purement géographique, que se passerait-il si la Russie déployait ses drones depuis des navires présents dans la mer Baltique ou la mer Noire? Ou via l’exclave de Kaliningrad? Autrement dit, le concept même de mur s’avère assez facilement contournable. Pour être réellement efficace, il faudrait des systèmes plus flexibles, dotés de radars multicouches et de missiles adaptés à la petite taille des drones. Tout ceci sur une frontière de plusieurs milliers de kilomètres de longueur à couvrir, et plusieurs centaines de kilomètres de profondeur. Un défi de taille? Evidemment. Démesuré? Probablement.

Toujours est-il que la question des drones devient de plus en plus centrale dans la dynamique du conflit. Elle l’était déjà entre l’Ukraine et la Russie, mais elle s’élargit désormais clairement à l’échelle Otan-Russie. Les petits appareils (comme les FPV, pour first-person view) voient leur portée considérablement augmenter depuis le début de la guerre. Ceux de moyenne ou longue portée sont parfois armés, parfois pas, et englobent des technologies très diverses.

Lutte anti-drones: trois facettes

La lutte anti-drones comporte trois facettes principales, note Olivier Kempf.

Première facette: la détection. «Les drones mesurent entre un mètre et 1,5 mètre d’envergure, une surface minuscule, ce qui rend la tâche de repérage radar très complexe, même avec les meilleurs systèmes.» Le cas du Danemark, qui n’a détecté les drones que lorsqu’ils étaient déjà au-dessus de sites stratégiques, «montre à quel point nous sommes démunis» face à la menace. «Cette séquence pose moins la question de l’origine, russe ou pas, mais bien de notre capacité -pour l’instant défaillante- à être prêt, observe Olivier Kempf. L’innovation va trop vite sur le terrain et la base industrielle de défense européenne ne peut pas suivre le rythme.»

Deuxième facette: la «séquence de tirs». Elle consiste à récupérer l’information des capteurs, afin de cibler la menace.

Troisième facette: la mise en place des effecteurs, à savoir les armes déployées pour contrer les drones. Brouillage, missiles tirés depuis le sol (sol-air), destruction par faisceaux lasers (qui n’est pas encore tout à fait au point): plusieurs options sont sur la table, mais aucune n’est dominante. «Il est dès lors nécessaire de disposer des systèmes en vol, mais encore faut-il disposer des équipages disponibles.»

Le ratio coûts/bénéfices

D’autant plus que le coût potentiel d’un tel déploiement pourrait faire exploser tous les plafonds. Le rapport entre les moyens engagés et les cibles détruites -souvent des drones bon marché- sera central. «Les Russes déploient des drones Gerbera, faits de vieilles technologies, non armés, mais capables de réaliser des signatures radar de façon à polluer la défense aérienne ukrainienne. Comme ces drones ne sont pas onéreux, la Russie peut se permettre de les envoyer en masse, et de varier les couloirs d’entrée», relève Olivier Kempf.

L’équation du mur anti-drones combine donc des questions technologiques, de surface à couvrir, de masse, et d’intensité des salves à contenir.

Une nouvelle dimension aérobalistique

«On fait face à une prolifération aérobalistique», insiste Olivier Kempf, dont les drones ne sont qu’un des éléments. A côté, on retrouve les missiles de croisière, balistiques, ou encore des bombes guidées larguées par avion. «Nous sommes passés dans un autre monde, aérobalistique, qui représente un espace en trois dimensions, et qui s’est soudainement rempli d’une quantité astronomique d’objets.» Autrement dit, cette nouvelle dimension stratégique bouscule la perception classique des forces armées. «Il est clair que l’Otan doit prendre le train en marche. Elle ne devrait même pas avoir besoin de Poutine pour s’en rendre compte. Il s’agit d’une prise de conscience stratégique urgente.»

En revanche, à l’heure actuelle, il n’y a pas de menace imminente de la Russie, juge enfin le spécialiste, «mais plutôt un risque stratégique», auquel «il faut évidemment se préparer.»

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