Michel Van Strythem
© Kristof Clerix

Michel Van Strythem, général «des drones»: «Même ma belle-mère m’a envoyé des photos de drones»

Kristof Clerix
Kristof Clerix Rédacteur Knack

Le parquet fédéral a ouvert 25 enquêtes concernant 41 incidents impliquant le survol de drones au-dessus de la Belgique. D’après le premier général à coordonner la lutte antidrones en Belgique Michel Van Strythem, «il est très difficile de pouvoir désigner formellement un auteur».

Début octobre, des drones ont été repérés pour la première fois au-dessus de la base militaire d’Elsenborn. Depuis lors, les autorités belges ont déjà reçu des centaines de signalements inquiétants d’observations de drones. «Il y a évidemment aussi énormément d’autres signalements non pertinents», explique le lieutenant-général Michel Van Strythem, qui dirige depuis juin, au sein de la Défense, une task force consacrée aux drones et à l’innovation. «En Belgique, 500.000 drones ont déjà été vendus, et il y a ici quelque 18.000 pilotes de drones enregistrés.» Il est donc évident que des drones volent aux quatre coins du pays, sans qu’ils soient forcément suspects. «Même ma belle-mère m’a déjà envoyé des photos de drones, rit Michel Van Strythem. Mais, au-delà de cette activité non suspecte, nous avons bel et bien constaté des vols de drones au-dessus de sites sensibles très spécifiques et d’infrastructures critiques. Début octobre et début novembre, il y a eu des vols inquiétants. Ceux-ci ont conduit au lancement d’enquêtes par le parquet.»

La Russie en est-elle aux commandes?

Le parquet mène les enquêtes, mais ce n’est pas évident. C’est comme le saumon qui remonte le courant, cela prend beaucoup de temps et tous les saumons n’y parviennent pas. Pour l’attribution des cyberattaques, c’est exactement la même chose. Les attaques hybrides se caractérisent par l’identification des vulnérabilités chez l’adversaire. Ensuite, on brouille les pistes en se mélangeant à l’activité existante afin de rendre l’identification aussi difficile que possible. Il n’y a pas, à ce stade, d’attribution formelle. Il est très difficile de désigner formellement un auteur.

«Les attaques hybrides se caractérisent par l’identification des vulnérabilités chez l’adversaire.»

Quels secrets militaires les Russes espèrent-ils découvrir à Elsenborn?

Encore une fois, je ne sais pas si ce sont les Russes. Mais quoiqu’il en soit: il est toujours utile de pouvoir franchir rapidement la frontière. Il ne s’agit donc pas tant de surveiller une base militaire que de surveiller une zone transfrontalière. Elsenborn se situe à quelques kilomètres de Vogelsang en Allemagne. De même que, pour un certain nombre de vols inquiétants au-dessus de certaines bases dans le nord de la Belgique, il existait aussi un lien avec les Pays-Bas. Les voleurs aussi, ont besoin de franchir rapidement une frontière: cela offre une protection supplémentaire.

«En raison des attaques hybrides, nous avons dû réagir plus vite. Et, en réalité, nous avons ainsi gagné un an.»

Début novembre des signalements de drones au-dessus de Brussels Airport et de l’aéroport de Liège ont été enregistrés.

Le mardi soir 4 novembre, l’espace aérien au-dessus de Zaventem a été temporairement fermé. Tous les avions ont alors été placés dans un holding pattern (NDLR: un circuit d’attente), et ont tourné en cercles à basse altitude à l’est de Bruxelles. Bien sûr, depuis cette région, il y a eu des signalements de drones en masse. Ce soir-là, nous avons également constitué un groupe de planification. Nous avions la situation sous contrôle, en ce sens que nous avions une idée suffisamment précise de ce qui se passait. Le lendemain matin, nous l’avons communiqué en commission de Défense de la Chambre, à huis clos. Nous y avons reçu des félicitations de la part de tous les partis.

Ces dernières semaines, l’activité de drones au-dessus de la Belgique s’est calmée.

Le nombre d’incidents rapportés qui nous inquiètent a drastiquement diminué depuis le 7 novembre. Nous avons l’impression que la campagne hybride contre la Belgique n’est actuellement plus en cours.

Comment expliquer cette diminution drastique des survols?

Il est possible que la communication stratégique au sujet des renforts venus de l’étranger (NDLR: notamment d’Allemagne et du Royaume-Uni) ait eu un effet.

La Défense a-t-elle déjà établi des corrélations entre des vols de drones suspects et des mouvements de navires de la flotte fantôme russe?

Un groupe de journalistes allemands d’open source intelligence a récemment publié un article à ce sujet.

Si sept étudiants peuvent mettre cela à jour, la Défense doit bien pouvoir établir aussi ces corrélations?

Une enquête est en cours, sur laquelle je ne peux rien dire. Mais une corrélation n’est évidemment pas un lien de causalité. Il faut enquêter. Nos services de renseignement (NDLR: la Sûreté de l’Etat et le service de renseignement militaire) poursuivent ce travail. Ils s’en occupent en continu.

La Belgique va désormais investir fortement dans la technologie antidrones.

In tempore non suspecto –avant l’apparition des premiers drones début octobre– nous avions déjà lancé un programme de 500 millions d’euros réparti sur dix ans. Avec, entre autres, des fonds de recherche pour soutenir la base industrielle et la capacité de montée en puissance. Mais ces achats ne seront opérationnels, au plus tôt, qu’à la mi-2027. En raison des attaques hybrides, nous avons dû réagir plus vite, et nous avons immédiatement réalisé un investissement d’environ 50 millions d’euros, nous avons ainsi gagné un an.

«Face aux attaques hybrides, nous avons été forcés de régir immédiatement et avons investi 50 millions d’euros dans la technologie antidrones.»

Que va-t-on acheter précisément?

Pour les cyberattaques, l’Estonie a longtemps été une référence en la matière. Pour les drones, c’est clairement la Lettonie. Nous y avons récemment commandé des drones d’interception. Aussi, nous achetons des radars en Suède, des fusils antidrones en Australie et des antennes auprès d’une entreprise belge pour nos quartiers militaire. La technologie des drones évolue très rapidement. En Ukraine, le cycle d’innovation opérationnelle est de 40 jours. Si une nouvelle technologie y est détectée, il faut à peine six semaines pour développer une réponse technique prête à être utilisée sur le champ de bataille.

Notre dépendance à des composants de drones provenant de Chine n’est-elle pas un problème structurel?

C’est effectivement une préoccupation. La chaîne d’approvisionnement est certainement un point d’attention important, et devient de plus en plus un argument de vente. Quand nous discutons avec des entreprises, elles disent parfois: «Nous allons fabriquer des choses qui ne contiennent plus de composants chinois.» Est-ce vrai, je n’en sais rien. Mais on sent que c’est une préoccupation positive de l’industrie.

Lire plus de:

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire