Derrière le vernis high-tech du F-35, un gouffre financier se profile. Coûts explosifs, dépendance américaine, promesses non tenues… «C’est un avion qui coûte plus cher pour être moins disponible», critique l’expert aéronautique Xavier Tytelman.
Bijou technologique polyvalent, capacité de projection, furtivité… Les atouts ne manquent pas lorsqu’il s’agit de qualifier positivement le F-35, avion de combat dernière génération, dont la Belgique a reçu les quatre premiers exemplaires ce 13 octobre à Florennes (Namur), sous le regard admiratif du roi Philippe.
Les chasseurs américains –voués à remplacer progressivement les F-16, en service depuis 40 ans– ont essuyé une tornade de critiques. Leur coût de fabrication (110 millions d’euros pièce), d’abord, qui a grimpé avec le temps. Leur délai de livraison, ensuite, repoussé à maintes reprises. Leur indépendance d’utilisation, enfin, souvent questionnée.
F-35: un coût d’utilisation doublé
Ces trois éléments ne sont pas les seules zones d’ombre du chasseur. Loin de là. Son coût d’utilisation au quotidien, par exemple, a tout simplement doublé entre la signature initiale du contrat et aujourd’hui. «Une heure de vol en F-35 coûte désormais 42.000 dollars», chiffre Xavier Tytelman, ancien aviateur et expert en aéronautique (Air&Cosmos).
Pour rappel, l’avion américain a été choisi au détriment de modèles de constructeurs européens: l’Eurofighter Typhoon (né d’un consortium européen), le Rafale (français), ou encore le Gripen (suédois). A titre de comparaison, l’heure de vol sur Rafale revient à 20.000 euros, soit la moitié moins que le F-35.
F-35: disponibilité et caractéristiques remises en cause
Ce n’est pas tout: la disponibilité de l’avion s’avère inférieure aux promesses initiales, en raison d’un temps de maintenance très élevé. «C’est un appareil plus cher et moins disponible», fustige Xavier Tytelman. Pour les missions de base (surveillance du ciel, interception, support), la quantité de F-35 est donc devenue insuffisante. «C’est pour cette raison que la Belgique a commandé onze appareils supplémentaires», pointe l’expert.
Ses caractéristiques, elles aussi, ne semblent pas adaptées aux besoins de la Belgique. Son utilité est clairement remise en cause, dans ses fondements. «Au départ, le but de la furtivité est d’entrer dans une bulle de protection ennemie pour pouvoir être proche de sa cible. Or, il est désormais possible de lancer des missiles à plusieurs centaines de kilomètres de distance sans s’exposer. Ce n’était pas le cas dans les années 1990, lorsque le F-35 a commencé à être conçu», remarque l’expert.
«La furtivité du F-35 ne servira à rien dans 99,9% des cas, mais elle coûte une fortune.»
Selon Xavier Tytelman, «le F-35 réalisera des missions tout à fait banales dans 99,9% des cas. La furtivité ne sert donc à rien dans la majorité des situations, mais elle coûte une fortune.» Les capacités du F-35 ne seraient pas non plus indétrônables. «Le Rafale l’a battu lors d’une compétition aux Pays-Bas.»
Aberration supplémentaire, selon Xavier Tytelman: au moment du choix de l’avion, l’évaluation du F-35 par la Belgique a eu lieu sans qu’aucun pilote ne puisse le tester au préalable. «La Belgique a fait semblant de participer à la compétition commerciale. Le choix était fait d’avance.» Certains pilotes belges, dit-on, n’étaient que peu emballés.
Une double flotte?
Malgré tous ces désagréments, la Belgique persiste et signe, et a commandé onze F-35 supplémentaires. Aurait-elle pu choisir un constructeur européen, au risque de se retrouver avec deux flottes différentes? «Bien sûr, assure Xavier Tytelman. Cela aurait même permis de réaliser une grosse économie.» A l’instar d’autres pays, comme la Grèce, qui ont fait le choix d’une double flotte (Rafale et F-35). «Cette option permet de sélectionner un avion au meilleur ratio coût-efficacité selon le type de mission.» Ainsi, lorsque les Grecs font de la reconnaissance aérienne ou de l’assistance, qui ne nécessitent pas de furtivité, ils déploient leurs Rafale. Et cela leur revient deux fois moins cher.
«Quand on rentre l’écosystème américain, on ne peut plus en sortir.»
A présent, la Belgique semble définitivement empêtrée. «Quand on rentre l’écosystème américain, on ne peut plus en sortir.» Autre exemple édifiant: la mise à jour Technology Refresh 3, nécessaire pour mettre en place la version de l’avion achetée par la Belgique, ne sera pas prête avant… 2032 (soit quatre années de retard), selon un rapport de la Cour des comptes américaine. Aujourd’hui, la Belgique se retrouve donc avec une version antérieure, qui ne dispose pas de toutes les capacités d’un avion normal, et qu’il faudra actualiser. «A ce stade, il est impossible de savoir qui devra payer cette mise à jour, estimée à 20 millions de dollars par avion», précise le spécialiste aéronautique. La moitié de la flotte de F-35 belges devra donc revenir aux Etats-Unis pour une lourde maintenance.
Le manque de souveraineté
C’est davantage connu: les Américains auront aussi la capacité de clouer les avions au sol s’ils le souhaitent. Le logiciel de préparation de l’avion pour les missions est en effet relié aux Etats-Unis. «Si la connexion n’est pas établie, l’ordinateur s’arrête de fonctionner après 30 jours. De même manière qu’ils peuvent mettre à jour les systèmes, ils peuvent en dégrader les performances», rappelle Xavier Tytelman. Qui pointe aussi «le manque total de confidentialité des données récoltées».
Pire: la Belgique devra même… offrir des informations aux Etats-Unis, par exemple sur la découverte d’un nouveau radar ennemi, en raison d’un abonnement obligatoire pour les mises à jour sur la guerre électronique. «En clair, la Belgique payera pour récupérer l’information qu’elle a elle-même détectée.»
«Pour les Européens, la seule bonne raison d’acheter le F-35 est de conserver la bombe atomique américaine sur leur territoire. C’est, clairement, le principal levier utilisé par les Etats-Unis.»
Le coût des accessoires (casque ultratechnologique, drones de combat ou accompagnateurs) est lui aussi «monstrueux» et, pour limiter la facture, les pilotes de F-35 s’entraîneront davantage sur simulateur. Pour les pays européens, «la seule bonne raison d’acheter le F-35 est de conserver la bombe atomique américaine sur leur territoire», estime Xavier Tytelman. C’est, clairement, le principal levier utilisé par les Etats-Unis. «Ils ont tout mis en œuvre pour empêcher que la bombe soit compatible avec un autre avion comme le F-18. Cela engendre un gros problème de souveraineté nationale.»
Avec un avion Gripen suédois, la Belgique aurait «réalisé des milliards d’euros d’économies jusqu’en 2070». «Faire croire qu’il est économique d’avoir une monoflotte de F-35 est une arnaque intellectuelle et financière», conclut Tytelman.
Sollicité pour une réaction, le cabinet du ministre de la Défense, Theo Francken (N-VA), n’a pas répondu.