Le survol de nouveaux drones au-dessus de la base militaire de Marche-en-Famenne ravive la crainte d’attaques déstabilisatrices envers la Défense. Tous les yeux se tournent vers la Russie qui, selon les experts, utiliserait un procédé bien défini, mais encore peu évoqué jusqu’ici.
Une opération «orchestrée contre le cœur de notre armée». Voilà les termes utilisés par Theo Francken, ministre de la Défense (N-VA), pour qualifier le survol de drones survenu au-dessus de la base militaire de Marche-en-Famenne. Après le camp d’Elsenborn, la Belgique fait donc face à une nouvelle intrusion suspecte dans son ciel. Qui plus est, au-dessus de lieux stratégiques sensibles, la caserne en province de Luxembourg abritant des soldats d’élite.
Derrière ces opérations, qui prennent doucement mais sûrement la forme d’une série, l’ombre de la Russie plane irrémédiablement, alors que sa signature formelle reste improuvable. Comment ces manœuvres peuvent-elles être concrètement mises en place? Les experts s’accordent sur un procédé hautement probable, mais pourtant encore peu évoqué jusqu’ici.
Survols de drones: des intermédiaires recrutés et payés sur le dark web
L’hypothèse la plus plausible est bel et bien que la Russie soit à la manœuvre, assure le général Marc Thys, ancien vice-chef de la Défense. «Mais pas en ligne directe, précise-t-il. Le Kremlin, via de nombreux intermédiaires, tente de trouver des personnes pour réaliser ces opérations, en échange d’une rémunération. Tout cela s’organise sur le dark web, ou sur des réseaux cryptés tels que Telegram.» Selon le général, le gain financier reste la principale motivation des agents recrutés, «sans revendication idéologique en arrière-plan».
Difficile d’imaginer, dès lors, que des agents russes infiltrés soient directement aux commandes. «Il est tout à fait possible que ces recrues soient belges ou européennes. Après une prise de contact sur le dark web, les intermédiaires reçoivent les méthodes, les objectifs, les consignes d’achat du drone, ou la répartition des missions», décrit Marc Thys.

Des drones lancés à proximité
En clair, l’hypothèse qui voudrait que ces drones soient lancés depuis la Russie –ou d’un autre pays relais– est très improbable. «Les modèles évoqués disposent d’une autonomie de 30 minutes à une heure, estime Marc Thys. Ils sont donc lancés localement et peuvent voler quelques kilomètres de façon très discrète, surtout dans les zones vallonnées.»
D’après Gaétan Powis, journaliste Défense pour Air & Cosmos, expert des systèmes militaires, l’hypothèse de drones à longue portée doit effectivement être exclue. Il s’agit possiblement, selon lui, de drones «quadcoptères» ou «hexacoptères», équipés de rotors, de caméras, et d’une batterie électrique. «Il est évident que ces drones ont été mis en l’air non loin de la base militaire, de façon tout à fait banalisée. Les Russes peuvent aller très loin pour brouiller les pistes.»
Survols de drones: la guerre hybride
L’expert défense souligne la véritable guerre de l’ombre menée par la Russie, «à n’en pas douter le suspect numéro un derrière ces incursions. Il s’agit d’un exemple parfait pour illustrer l’acte de guerre hybride, selon laquelle une puissance déstabilisatrice agit en prenant le soin de rester indétectable. Le rôle des intermédiaires prend ici tout son sens: ils empêchent de remonter au commanditaire initial.» Dans cette optique, la Russie pourrait «avoir payé une cellule hongroise, qui a ensuite embauché des Serbes, qui se sont rendus en Belgique», exemplifie Gaétan Powis.
Si ces survols viseraient d’abord à déstabiliser, ils pourraient aussi servir à récolter certaines informations. Avec, notamment, des caméras thermiques embarquées. «Les demandes des commanditaires sont souvent spécifiques, rappelle Marc Thys. Afin, souvent, de cartographier les sites stratégiques: dépôts de munitions, centres de communication, répartition des unités, exercices réalisés, etc. Ce sont des questions que la Russie peut se poser», énumère le général, qui n’exclut pas que ce type de drones soit armé à l’avenir. «Il faut se préparer au pire, tout en espérant que cela n’arrive pas.»
Si pas la Russie, qui d’autre?
Ces survols pourraient-ils être l’œuvre de simples plaisantins, comme parfois supputé? Impossible, tranche Gaétan Powis, pour qui ces opérations sont effectivement dirigées par des experts. «Il s’agit clairement d’une manœuvre coordonnée, au-dessus d’une zone militaire. Or, les cartes GPS internes des drones de ce type ne le permettent pas. Cela signifie que des modifications très techniques ont eu lieu dans le logiciel de l’appareil en amont. On est très loin de l’amateurisme», assure-t-il.
Marc Thys tempère toutefois le caractère exceptionnel de ces événements. «Ce sont des incidents presque journaliers. Avant, des camionneurs suspects se garaient devant les casernes, toujours dans un but d’espionnage, se souvient-il. Aujourd’hui, les drones prennent le dessus. D’autres infrastructures stratégiques –bases aériennes, ports, centrales nucléaires– sont également régulièrement ciblées. Ces incursions sont davantage mises en lumière aujourd’hui car la menace est perceptible, mais elles ont toujours existé.»
Et si la Russie n’était pas à la manœuvre? «L’origine pourrait être chinoise, avance Marc Thys. Il y a trois ans, la Chine a été identifiée comme responsable d’une cyberattaque contre la Défense belge, avec 98% de certitude, rappelle-t-il. Il ne faut pas être naïf. L’Etat chinois ne tient pas le rôle au premier plan, mais tire les ficelles par intermédiaires interposés, lui aussi. Il est d’ailleurs connu que la Chine recrute actuellement de plus en plus d’agents pour soutirer des informations en Occident.»
Silencieux, furtifs et (pour l’instant) insaisissables, ces drones rappellent que la guerre moderne ne se déclare plus: elle s’infiltre, hélice après hélice.