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Ce pays peut rapidement sauver la Belgique des incursions de drones: «Ils sont les experts en la matière»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Face aux incursions soutenues de drones autour des infrastructures civiles et militaires, la Belgique est contrainte de demander le soutien de l’armée allemande, experte en la matière. «Pour assurer une réaction immédiate, on ne peut pas faire sans l’Allemagne», disent les experts. Pas question, en revanche, d’invoquer l’article 4 de l’Otan, confirme au Vif le ministre des Affaires étrangères Maxime Prévot (Les Engagés). En parallèle, le PS juge insuffisants les moyens alloués à l’Intérieur.

L’aide est rapide, indispensable, et déjà historique. Pour contrer la menace des incursions de drones qui plane au-dessus des aéroports et des bases militaires, les forces de l’armée de l’air allemande sont déployées en Belgique «afin d’évaluer la situation» et de «coordonner» avec les forces armées belges la détection et «la défense contre les drones».

«A la demande de la Belgique […] la Bundeswehr soutiendra à court terme notre pays voisin en lui fournissant des capacités de lutte contre les petits systèmes aériens sans pilote.»

L’opération, annoncée par le ministre de la Défense Theo Francken (N-VA), souligne «la solidarité des partenaires européens face aux menaces hybrides». Si le nationaliste flamand se refuse à désigner ouvertement la Russie comme responsable des derniers incidents, il évoque une opération coordonnée menée par «des professionnels» pour «déstabiliser» la Belgique.

Invoquer l’article 4 de l’Otan? «Commençons d’abord par l’article 3»

Pour la contrer, l’Allemagne vient donc à la rescousse. Et pas question, pour le gouvernement belge, d’invoquer l’article 4 de l’Otan. «Non, l’option n’est pas à l’ordre du jour à ce stade», confirme au Vif Maxime Prévot, ministre des Affaires étrangères (Les Engagés), mettant fin aux récentes rumeurs sur la possibilité. Pour rappel, l’article 4 de l’Alliance stipule que «les parties se consulteront chaque fois que, de l’avis de l’une d’elles, l’intégrité territoriale, l’indépendance politique ou la sécurité de l’une des parties sera menacée.»

L’activation de l’article 4 n’est pas non plus souhaitée dans l’opposition. «Il est préférable d’éviter la surenchère et la provocation», déclare Ludivine Dedonder, ex-ministre de la Défense, désormais députée (PS) dans l’opposition. Et d’ajouter «qu’il y a des choses à ne pas dire en tant que ministre de la Défense», faisant directement référence à l’attitude jugée peu responsable de Theo Francken envers Moscou.

«Non, invoquer l’article 4 de l’Otan n’est pas à l’ordre du jour.»

L’ancien colonel Roger Housen «ne voit pas l’utilité d’invoquer l’article 4», que la Pologne et l’Estonie ont pourtant récemment activé. «A quoi servirait la consultation, à partir du moment où le même type d’incidents est recensé dans d’autres pays membres de l’Otan?», se questionne l’ancien haut gradé. Par ailleurs, poursuit-il, l’article 4 évoque une menace de l’intégrité territoriale. Jusqu’à présent, les drones aperçus ne sont pas armés et n’ont pas réalisé d’attaques à proprement parler.»

L’article 4 de l’Otan «reste assez flou, subjectif, et dépend d’une volonté politique extérieure», souligne pour sa part Wally Struys, professeur émérite à l’Ecole royale militaire (ERM). Pour l’expert militaire, l’article 5, le plus connu de tous (NDLR: une réaction en bloc des alliés en cas d’attaque), ne peut pas être appliqué sans le respect de l’article 3, qui, lui, pose les bases nécessaires de résilience de l’Otan: «Afin d’assurer de façon plus efficace la réalisation des buts du présent Traité, les parties […] maintiendront et accroîtront leur capacité individuelle et collective de résistance à une attaque armée.»

La Belgique, en défaillance de personnel et de matériel, «ne respecte pas cet article 3, souligne Wally Struys. Ce passage est essentiel, car il pose les conditions préalables qui déterminent si le pays membre est solidaire des autres ou non, par ses investissements. Pour la Belgique, jusqu’il y a peu, la réponse était non, tranche le professeur. L’article 3 n’est cependant pas une condition préalable pour pouvoir profiter des articles 4 et 5. Mais il faut absolument que notre pays se mette en position de pouvoir agir par lui-même.»

Drones: assez de moyens pour l’Intérieur?

Pour contrer la menace des drones telle qu’elle se présente actuellement, exit, donc, le recours aux articles otaniens. Place aux collaborations directes. «Nous travaillons en réseau pour échanger les informations, tirer les leçons, et déterminer quel dispositif serait le plus pertinent, déclare Maxime Prévot. On n’est ni plus ni moins dépendant que d’autres pays face à une menace hybride d’un nouveau genre que nous cherchons à appréhender au mieux», assure-t-il.

La responsabilité première revient à l’Intérieur. Or, le plan qui lui est réservé souffre d’un manque de moyens.

Cette menace hybride, d’ailleurs, est plus large que la seule question militaire. «La responsabilité première revient à l’Intérieur, insiste Ludivine Dedonder, les incursions visant aussi et surtout des infrastructures civiles, majoritairement les aéroports. Or, le plan réservé à l’Intérieur souffre d’un manque d’ambition», juge la députée PS, pour qui il existe un réel déséquilibre au regard de la nature de la menace. «Les polices fédérale et locale n’ont pas suffisamment de moyens mis à leur disposition.»

Drones: l’aide allemande indispensable sur le court terme

Et donc, sur le court terme, la Belgique semble bel et bien avoir besoin d’une aide extérieure rapide. Dans cette quête, l’Allemagne s’est rapidement présentée comme le soutien idéal. «L’armée allemande dispose d’unités spécialisées dans la défense anti-aérienne, précise l’ex-colonel Roger Housen. Elle possède des détecteurs antidrones pointus et des systèmes d’armes capables de neutraliser efficacement les appareils volants.»

«L’Allemagne est l’expert antidrone de l’Otan le plus proche de la Belgique.»

Dans le cadre de la guerre en Ukraine, la Bundeswehr entretient également une collaboration étroite avec l’armée de Zelensky qui, après plus de trois ans et demi de combats, a acquis la plus grande expertise sur le sujet en Europe. La Pologne et le Danemark sont les deux autres pays européens à se distinguer en la matière.

Mais l’Allemagne est, quelque part, «l’expert antidrone de l’Otan le plus proche de la Belgique», remarque Roger Housen. Il apparaît dès lors tout à fait logique que la Belgique requiert son appui en première intention. «Dans une alliance, on fait d’abord appel à l’allié expert le plus rapproché géographiquement.»

Drones: le brouillage, technique la plus adaptée à la Belgique

L’aide allemande est véritablement indispensable sur le court terme, selon l’ancien colonel. «Supposons qu’on ne fasse pas appel à l’Allemagne. Il faudrait alors commander les systèmes de détection et de neutralisation en nombre, former nos militaires à leur utilisation, et acquérir de l’expertise.» Ce processus est certes enclenché par le ministre de la Défense, mais il est terriblement chronophage. «Or, la menace est déjà présente et les militaires allemands permettent d’améliorer instantanément notre défense.»

«Le pouvoir d’achat de l’armée belge a été fortement rabaissé de 1983 à 2019. Rattraper ce retard est fastidieux et dépenser ne suffit plus.»

Comment? Principalement grâce à des systèmes électroniques de brouillage, capables de perturber le signal entre l’opérateur et le drone. «Le système allemand convient parfaitement aux conditions propres à la Belgique et sa forte densité de population. La technique de neutralisation d’un drone doit être adaptée afin d’éviter les dommages collatéraux. Le brouillage le permet, alors que les mitrailleurs sont plus risqués», compare Roger Housen.

D’après Wally Struys, cette séquence démontre à tout le moins que «la Belgique, faute de moyens, est dépendante d’une aide étrangère rapide pour sa propre sécurité.» Et le spécialiste en économie de la Défense de rappeler que «le pouvoir d’achat de l’armée belge a été fortement rabaissé de 1983 à 2019. Rattraper ce retard est fastidieux et dépenser ne suffit plus. En raison de la guerre en Ukraine et de la forte concurrence entre les acheteurs, les délais de livraison sont élargis. De surcroît, la formation du personnel représente une longue étape supplémentaire.»

Stopper l’hémorragie, oui. Effacer la cause, non

Si l’Allemagne peut stopper l’hémorragie sur le court terme, elle ne peut pas résoudre le problème à la source. «La menace des drones va se poursuivre dans le temps, prédit Roger Housen. Il faut s’y habituer et accepter qu’une défense totale est impossible». Le colonel ajoute que la lutte antidrones «est un des plus gros points faibles des pays occidentaux. A l’avenir, la Belgique doit analyser la menace en profondeur et prioriser les infrastructures qu’elle souhaite protéger.»

Car les incidents, selon l’expert, suivront toujours une logique d’action-réaction. «Lorsque le Danemark a décidé d’envoyer davantage de matériel militaire à l’Ukraine, il a subi des incursions de drones dix jours plus tard. Idem lorsque le Royaume-Uni et l’Allemagne ont cédé des systèmes de défense anti-aérienne à Zelensky.»

Wally Struys le rejoint. «Les incursions de drone vont continuer. Elles sont simples à réaliser, peu coûteuses, et demandent simplement la participation d’intermédiaires, payés par les Russes, pour semer la pagaille.»

«La menace des drones va se poursuivre dans le temps. Il faut s’y habituer et accepter qu’une défense totale est impossible.»

Aujourd’hui, c’est donc au tour de la Belgique (pays hôte des institutions européennes et otaniennes, centre névralgique des avoirs russes gelés, chez Euroclear) d’en faire les frais. Le possible déblocage de ces derniers fait l’objet d’une volonté européenne de plus en plus insistante. Et ce ne sont pas les déclarations de Theo Francken envers Moscou, certes sorties de leur contexte sur les réseaux sociaux, qui ont contribué à calmer tendance.

«La Belgique reste un carrefour important, insiste Wally Struys. Toutes les routes stratégiques qui mènent vers l’Est, pour les exercices de l’Otan, partent de la Belgique, notamment via les ports d’Anvers et de Zeebrugge. Ce sont d’ailleurs souvent les points de départ de l’armée américaine en Europe.»

La Belgique, désormais survolée par les menaces, découvre à ses dépens le paradoxe de sa position stratégique: cœur battant de l’Otan, mais aile fragile de son dispositif. Centre logistique, financier et diplomatique de l’Europe, elle reste pourtant sans véritable bouclier propre face à la guerre des airs qui se joue désormais à basse altitude. L’aide allemande agit comme un brouillage temporaire, une couverture de circonstance. Mais pour ne plus dépendre d’un pilotage étranger, la Belgique devra apprendre à tenir seule les commandes de sa défense. Sans quoi, elle continuera à voler sous escorte. Turbulences comprises.

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