f-35 pensions
Raoul Hedebouw, président du PTB, et Jos D'Haese, député au parlement flamand, ont participé à une action «flash» contre l’achat d’avions de combat F-35, place de l’Albertine, dans le centre de Bruxelles, le 13 novembre dernier.

3 preuves que les F-35 ne volent pas nos pensions: «Un raccourci désarmant du PTB»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

En accusant les F-35 de «voler nos pensions», le PTB joue sur un raccourci choc mais trompeur. Les experts démontrent que budgets militaires et pensions ne se concurrencent pas et relèvent de logiques financières distinctes. Le parti d’extrême gauche se défend d’avoir établi ce lien en premier.

Les faux F-35 gonflables suspendus par le PTB dans le centre de Bruxelles ont soufflé un vent de révolte, la semaine dernière. Visuellement, la démarche est virevoltante. Verbalement aussi. «Ils veulent voler nos pensions pour faire voler des avions», «Voilà nos pensions qui s’envolent», «Etes-vous prêt à bosser jusqu’à 67 ans pour plus de F-35?», martèle le parti d’extrême gauche dans la rue et sur les réseaux sociaux.

Terriblement efficace d’un point de vue communicationnel. Terriblement faux et démagogique d’un point de vue financier et budgétaire. La preuve par trois.

1. F-35 vs pensions: le budget n’est pas un «pot unique» que l’on répartit comme on veut

Si le PTB revendique légitimement sa position antimilitariste historique, il avance un raisonnement trompeur pour la servir. Et part du principe que l’Etat fédéral aurait une somme fixe totale à répartir entre la Défense, les pensions, etc. En réalité, un budget public moderne ne fonctionne pas de la sorte: l’Etat peut augmenter ses recettes, emprunter, réduire ailleurs, ou planifier les dépenses différemment. Ainsi, une dépense dans un domaine ne «prend» pas directement dans un autre. Et encore moins dans une petite partie spécifique (ici les F-35) de ce domaine.

«Cette campagne du PTB est ridicule et relève du populisme le plus plat, réagit Wally Struys, professeur émérite à l’Ecole royale militaire (ERM), spécialiste de l’économie de défense.  D’ailleurs, rappelle-t-il, le message est recyclé des socialistes flamands, (alors sp.a) qui, en 2018, lorsque la commande des F-35 a été passée, avaient proféré un message identique.»  

«C’est de la pure démagogie de la part du PTB.»

«C’est de la pure démagogie de la part du PTB, embraye Pierre Devolder, professeur à l’UCLouvain et spécialiste du financement des pensions. Ce serait comme demander de choisir entre les pensions et la santé ou l’enseignement. Ce sont des amalgames qui n’ont aucun sens.»

D’autant plus que le budget octroyé aux pensions est loin de diminuer. Au contraire, il continue d’augmenter considérablement et a même doublé en 20 ans. «On est passé de 30 milliards annuels en 2005 à 67 milliards aujourd’hui, soit un peu plus de 11% du PIB», chiffre Pierre Devolder. Et ce budget «pensions» va continuer d’augmenter avec le temps. «Le Comité d’Etude sur le Vieillissement a démontré que malgré les mesures de l’Arizona, la part des pensions dans le PIB va continuer à croître considérablement.»

L’ordre de grandeur n’est pas non plus le même: les F-35 coûtent à l’achat 3,8 milliards d’euros pour 34 appareils, auxquels s’ajoutent des coûts supplémentaires pour 11 appareils (environ 1,5 milliard).

Ce raccourci établi par le parti marxiste est donc «absolument désarmant», regrette Pierre Devolder. «On pourrait à la limite comprendre le propos si l’on observait simultanément le budget des pensions diminuer. Or, c’est tout l’inverse», insiste-t-il. Et si les conditions d’accès à la pension anticipée sont effectivement durcies, la décision politique n’est pas appliquée dans le but précis d’acheter subitement des F-35 à la place.

«Theo Francken (ministre de la Défense N-VA) ou Mark Rutte (secrétaire général de l’Otan) ont eux-mêmes établi un lien entre défense et pensions», défend Sofie Merckx, députée fédérale PTB, citant une déclaration de Theo Francken de 2024 dans le Morgen : «La sécurité sociale est trop grasse», avait-il dit, supposant que la Défense n’aurait besoin que d’une petite partie de celle-ci. «L’augmentation du budget militaire est plus important que nécessaire. Envisager 3,5% voire 5% du PIB pour la Défense, c’est de la folie», ajoute la députée.

2. F-35 vs pensions: pas de vase communicant

Toujours est-il que Défense et pensions ne font pas partie des mêmes «poches» d’argent public: les pensions sont principalement financées par les cotisations sociales, les transferts internes de la sécurité sociale, et s’ancrent dans un flux récurrent et annuel. Alors que la Défense (et donc les F-35) est financée via un budget d’investissement, souvent étalé, partiellement financé par emprunt et s’inscrit dans une dépense d’investissement ponctuelle. Les F-35 sont achetés en une seule fois, amortis sur une longue durée, et voués à une utilisation sur le long terme (au moins 40 ans).

«Quelle que soit la façon dont on regarde les choses, le slogan du PTB est excellent sur le plan démagogique, mais totalement inexact sur le plan budgétaire et économique.»

En somme, les circuits budgétaires sont distincts, sans vase communicant. «Quelle que soit la façon dont on regarde les choses, le slogan du PTB est excellent sur le plan démagogique, mais totalement inexact sur le plan budgétaire et économique. Il mélange des pommes et des poires», appuie Pierre Devolder.

D’autant plus qu’au 21e siècle, le retombées économiques des investissements dans la défense sont beaucoup plus importantes que lors des années de Guerre froide. «Les dépenses actuelles sont à usage dual, relève Wally Struys, c’est-à-dire qu’elles se répercutent dans d’autres domaines et participent aussi à la création d’emplois dans le monde civil.» Estampillé à tort 100% made in America, le F-35 est par exemple fabriqué par l’industrie européenne à hauteur de 25%, rappellent des sources militaires.

3. Des types de dépenses différents

Dans la structure budgétaire, une autre différence est fondamentale apparaît: les investissements (armement, bâtiments, trains, routes…) sont souvent financés par l’emprunt, car ils produisent un service pendant 30 à 50 ans.

Les pensions, elles, sont une dépense annuelle, impossible à financer par emprunt sans exploser durablement la dette. «Le budget des pensions augmente de plusieurs centaines de millions par an. On ne peut pas comparer un montant unique (NDLR: même si le F-35 engendre aussi des frais d’utilisation et de maintenance) à des montants systématiques», distingue Pierre Devolder.

Dès lors, croire qu’on peut financer les pensions en coupant les investissements militaires est techniquement faux: cela revient à confondre deux types de dépenses qui n’ont pas la même logique. Economiquement, un milliard investi en F-35 n’est donc pas égal à un milliard «perdu» pour les pensions. Il s’agit d’une erreur de substituabilité directe. «Financièrement parlant, l’allégation est fausse. Les tactiques des partis extrémistes, qu’ils soient de gauche ou de droite, jouent très bien sur les pulsions les plus élémentaires», souligne le professeur de l’UCLouvain.  

Acheter des F-35, «ce n’est donc pas renoncer spécifiquement aux pensions, insiste Wally Struys. Pourquoi le PTB, ne dit-il pas, par exemple, qu’investir dans les infrastructures civiles reviendrait aussi à condamner les pensions?», souligne-t-il.  

Les pensions, pour rappel, suivent également une logique démographique: coût du vieillissement, rapport actifs/pensionnés, croissance de la masse salariale, etc. Leur financement dépend avant tout de l’économie réelle, pas du budget militaire, comme tente de le faire croire le PTB. Et donc, même si toutes les commandes de F-35 étaient annulées, cela ne règlerait pas structurellement le financement des pensions.

Enfin, et si les coûts des F-35 sont évidemment critiquables, à raison, ils ne représentent seulement une petite partie des dépenses de la Défense, qui comprend aussi le personnel, le fonctionnement, la maintenance, les infrastructures, la recherche, etc. «Par ailleurs, et malgré les futurs 2% du PIB réservés à la Défense, la Belgique reste l’un des pays d’Europe qui a les dépenses militaires les plus faibles», tient à rappeler Pierre Devolder.

«Mettre en concurrence défense et sécurité sociale relève du non-sens absolu.»

Pour 2023, derniers chiffres recensés, la Défense représentait seulement 1,78% de l’ensemble des dépenses de l’Etat, tous niveaux confondus (du fédéral au local). «Or, la protection sociale et la santé, combinées, pointe à 52,48%. «Mettre en concurrence les deux domaines relève donc du non-sens absolu», s’indigne Wally Struys, qui rappelle qu’en 2024, «les pensions pour les retraités de la Défense (militaire et civile) s’élevaient à 1,9 milliard annuel»… soit davantage que la seconde commande de onze F-35.  

Le raisonnement du PTB est donc faux parce qu’il confond des types de dépenses incomparables, suppose un budget rigide alors qu’il est flexible, ignore les mécanismes de financement propres aux pensions, et présente un choix politique comme une contrainte technique. «C’est un raccourci démagogique, pas une vérité économique.»

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