Même en étant en arrêt maladie, il est possible d’exercer un flexi-job. De quoi imaginer des abus de certains travailleurs?
Précarisation du marché du travail, baisse des recettes de la Sécurité sociale, remplacement d’emplois stables… De nombreuses critiques entourent les flexi-jobs depuis leur introduction en 2015. Dès 2026, ils seront possibles dans tous les secteurs, privés comme publics, a pourtant annoncé le ministre de l’Emploi David Clarinval (MR), s’appuyant notamment sur des chiffres à la hausse pour démontrer le succès de ce système: en 2024, 229.423 Belges ont exercé un flexi-job selon l’Office national de Sécurité sociale, soit une progression de 19% en un an.
Parmi ces flexi-jobeurs, 2.415 personnes étaient en incapacité de travail au cours du quatrième trimestre de 2024, selon des chiffres transmis par les principaux organismes assureurs, contre 769 en 2020 (+200%). Comprendre: elles assuraient un flexi-job alors qu’elles ne pouvaient pas exercer leur activité principale pour des raisons de santé, sans pour autant se mettre en faute aux yeux de la loi.
«C’est aussi une forme de fraude sociale»
«L’incapacité de travail est toujours fonctionnelle et appréciée par rapport au poste occupé, explique Bryan Comère, conseiller juridique chez Securex. Un travailleur peut être incapable d’exercer un métier se révélant physiquement lourd ou stressant, par exemple, tout en restant apte à exercer une activité plus légère ou adaptée, comme un flexi-job de courte durée. La loi ne distingue pas incapacité longue ou courte, le principe est identique: les personnes peuvent exercer un flexi-job à condition d’obtenir l’autorisation préalable du médecin-conseil de leur mutualité. Si l’activité est autorisée et compatible avec l’état de santé, il est possible de cumuler les indemnités d’incapacité et le flexi-salaire».
Dorine Storz, conseillère juridique chez Liantis, précise: «L’incapacité de travail n’est pas justifiée si le travail est le même chez les différents employeurs. Mais on peut avoir un certificat médical qui serait valable chez un employeur et pas chez un autre.» Ce point de la loi peut conduire à des situations ubuesques, comme celle relatée par une exploitante horeca de Flandre-Occidentale dans Het Laatste Nieuws: bien qu’en arrêt maladie, une personne effectuant la plonge dans son établissement aurait été prise sur le fait alors qu’elle… faisait la plonge dans un autre restaurant, où elle avait un flexi-job après ses heures «habituelles» de boulot.
«Nous avons l’intention de la licencier. Nous voulons également avertir d’autres exploitants horeca: c’est aussi une forme de fraude sociale», a assuré la responsable. Peu de détails ont filtré sur cette affaire, comme la raison et la durée de l’arrêt maladie de la personne concernée, ou si le flexi-job avait été autorisé par le médecin-conseil de sa mutualité. En effectuant semble-t-il la même activité que celle pour laquelle elle semblait être en arrêt maladie, la travailleuse risquerait gros. «Exercer une activité non déclarée expose à la suspension et au remboursement des indemnités», souligne Bryan Comère. Un licenciement pour faute grave est aussi possible, si celle-ci est démontrée.
Le salaire garanti ne dure qu’un temps
«Ce genre de situation ne nous a pas été remonté, fait savoir Linda Di Nizio, chargée de communication au sein de la fédération Horeca Wallonie. Mais le travailleur en arrêt devrait alors en avertir ses deux employeurs: le principal et celui qui l’emploie en tant que flexi-jobeur. En cas de problème, ce serait alors à l’employeur principal de prouver que le flexi peut ralentir la guérison de son salarié et lui créait de ce fait un préjudice.»
Du côté de Securex, cette situation a déjà été rencontrée par certains services RH. Quant à savoir ce qui pourrait pousser une personne à travailler en flexi-job même en étant en arrêt maladie, Bryan Comère évoque deux pistes: «la généralisation des flexi-jobs, qui permettent un travail souple et parfois physiquement moins exigeant que l’emploi principal», et «l’augmentation du coût de la vie, qui pousse davantage de travailleurs à multiplier les sources de revenus». Il n’empêche qu’une personne n’a que peu d’intérêt à se mettre volontairement en arrêt maladie et à exercer son flexi-job dans le but de frauder.
«Un flexi-job offre un revenu complémentaire à un revenu principal: l’idée, c’est donc de garder son revenu principal»
Dorine Storz, conseillère juridique chez Liantis
«Un flexi-job offre un revenu complémentaire à un revenu principal: l’idée, c’est donc de garder son revenu principal. Une personne se mettant en incapacité de travail pour son employeur A va certes conserver son salaire garanti à la charge de son employeur, avant que la mutuelle ne prenne le relais avec des indemnités journalières. Mais cela ne fonctionne qu’un temps», souligne Dorine Storz, qui rappelle qu’un employeur ne peut pas interdire à un salarié d’exercer une activité rémunérée sur son temps libre, comme pour un flexi-job, s’il remplit toutes les conditions aux yeux de la loi. «Il faudra aussi bien vérifier dans le contrat qu’il n’existe pas une clause de non-concurrence dans ce cas», ajoute Olivier Marcq, expert juridique chez Acerta.
Un flexi-job pour remettre le pied à l’emploi
Si un salarié en arrêt souhaite effectuer un flexi-job autorisé par un médecin-conseil de sa mutualité, le dialogue reste la clé. «L’employeur risque de ne pas trouver cela correct s’il n’y a pas d’explication, surtout s’il paie le salaire garanti. Le but n’est pas de se mettre en arrêt maladie quelque part pour aller travailler ailleurs, cela pose question éthiquement parlant», explique Benjamin Moest de la CSC Alimentation et Services. En cas de doute, l’employeur ou la mutualité peuvent d’ailleurs solliciter des contrôles.
«En tant que mutualité, nous recevons chaque trimestre un aperçu des activités exercées par les membres en incapacité de travail, indique Elise Derroitte, vice-présidente de la Mutualité chrétienne (MC). Si une activité professionnelle pour laquelle le médecin-conseil n’a pas donné son autorisation y figure, une sanction est appliquée: le remboursement des indemnités pour chaque jour travaillé ainsi qu’une évaluation de l’incapacité de travail par un médecin-conseil.» Pour elle, il n’y a «pas plus ni moins de risques d’abus» parmi les flexi-jobeurs que dans d’autres activités professionnelles.
Elise Derroitte précise que les flexi-jobs peuvent par contre apparaître comme une solution de retour à l’emploi pour des personnes en incapacité de travail, pouvant alors bénéficier d’une allocation dans certains cas. «Parmi les membres de la MC, 850 personnes en incapacité de travail ont repris le travail à temps partiel dans le cadre d’un flexi-job», après avoir obtenu le feu vert d’un médecin-conseil qui a évalué si la nature et le volume de travail étaient compatibles avec leur état de santé.
Contacté, le cabinet de David Clarinval assure être «conscient de la situation», qui pourrait être éclaircie d’ici à ce que les flexi-jobs soient autorisés dans tous les secteurs. «Nous allons travailler avec le cabinet du ministre de la Santé Frank Vandenbroucke pour apporter des réponses à cette situation». «Le gouvernement veut renforcer le contrôle des malades et mettre la pression sur les médecins pour la délivrance des certificats médicaux ou autre, explique Olivier Marcq. C’est peut-être ce genre ce genre de situation qui pourrait être « chassée », avec des procédures mises en place de procédures pour les éviter.»