Qui peut se targuer d’avoir les clés exactes pour comprendre la révision des taux de TVA sur les produits alimentaires? Un café au comptoir, un espresso en terrasse, un latte en gobelet, rien n’est pareil. Explications.
Six, douze ou 21%: trois chiffres qui sèment la zizanie, tant la liste des produits qui passent d’un taux de TVA à l’autre reste floue. Un flou que n’a pas vraiment dissipé l’accord budgétaire du gouvernement De Wever, bouclé fin novembre puis précisé par la loi-programme et le kern des 23 et 24 décembre, qui déplace certains produits et services d’une case à l’autre. Une certitude, toutefois: l’entrée en vigueur, d’abord annoncée au 1er janvier, a finalement été reportée au 1er mars 2026.
Rappel de base: la TVA, taxe sur la valeur ajoutée, est un impôt sur la consommation. Elle est payée par le client sur sa note finale, mais est collectée tout au long de la chaîne de production par les entreprises qui vendent un bien ou un service. En Belgique, le taux standard est de 21%, avec deux taux réduits, 6% et 12%, réservés à des catégories définies. Si le principe est simple sur le papier, la réforme à venir complique la donne, puisqu’il faudra désormais trancher entre une frite chaude et une pizza surgelée.
Le relèvement de la TVA de 6 à 12% concerne en effet «des plats à emporter et des denrées alimentaires consommables sans préparation complémentaire», selon le texte approuvé en Conseil des ministres, transmis au Conseil d’Etat pour avis. Le critère censé faire la différence est celui de la durée de conservation maximale de deux jours après préparation, avec des produits «prêts à l’emploi», consommables tels quels hors réchauffage, découpage, portionnement.
Les hausses concerneront donc surtout les repas achetés pour être mangés rapidement, et dont la durée de conservation ne dépasse pas deux jours. Le sandwich préparé sur place, garni et emballé pour être mangé dans la foulée, fait partie des candidats types à l’augmentation de TVA, surtout quand il s’agit de recettes très périssables (filet américain, mayonnaise, préparations fraîches du jour…).
Même logique pour un poulet rôti du rayon chaud, une barquette de sushis préparés en magasin, une salade composée produite pour le jour même, un cornet de pâtes servi prêt à consommer, des frites, un burger, un kebab…
Dans l’horeca, la vente à emporter et la livraison se retrouvent sur le même rail, puisqu’il n’y a pas de distinction annoncée entre emporté et livré dans les explications diffusées au secteur. Le point sensible tient au fait que ces produits ne sont pas des «aliments» au sens large, ce sont des repas composés, multi-ingrédients, déjà préparés, qui évitent toute cuisine au client.
Pour Pierre-Alexandre Billiet, le PDG de Gondola, «la mesure n’avantage ni ne désavantage personne. En revanche, elle s’est muée en pollution mentale et technique pour le secteur». Le spécialiste estime que «les prix peuvent augmenter de 5 à 10% avant que les consommateurs ne décrochent des plats préparés.»
Les produits trompeurs
Elément déconcertant de la réforme: certains plats tout préparés échappent aux 12%. Une pizza surgelée reste au taux réduit, «parce qu’elle se conserve.» Ce raisonnement protège beaucoup de plats frais du supermarché, quand la date limite dépasse les 48 heures. Pizzas fraîches emballées, lasagnes réfrigérées industrielles, quiches conditionnées, plats sous vide pensés pour plusieurs jours…
Autre cas piégeux: les box repas et paniers à cuisiner, du type Hello Fresh. Vu qu’ils ressemblent à un dîner en kit, ils échappent à la logique du «prêt à manger» et resteront à 6%.
Le petit-déjeuner soulève aussi des questionnements. Dans la définition communiquée par des acteurs du secteur, les produits de type «petit-déjeuner» sont exclus du champ take away à 12%. Une viennoiserie sera donc à 6% de TVA… en matinée (et celui qui débute la journée avec un jambon-beurre paiera 12%). Mais cette même viennoiserie pourrait passer à 12% en après-midi, considérée comme partie d’un «repas».
Dans le même ordre d’idée, la glace artisanale d’un marchand ambulant serait taxée à 12%, mais pas les Cornetto surgelés.
Cette exercice reste assez fragile sur le plan pratique, tant qu’il n’existe pas de liste officielle détaillée produit par produit. L’exécution reposera sur des catégories et des critères, avec des cas qui appelleront certainement à des clarifications fiscales.
Deuxième partie de la réforme: les boissons
Deuxième grand chapitre de la réforme TVA: la baisse de la TVA sur les boissons non alcoolisées (lorsqu’elles sont servies dans un établissement horeca). Le taux des softs et boissons chaudes non alcoolisées passe de 21% à 12%. Pas de changement, par contre, pour l’alcool: une bière reste à 21%, au comptoir comme ailleurs.
Mais le café, par contre, se situe dans une zone trouble. D’un côté, les boissons non alcoolisées servies sur place dans l’horeca sont annoncées à 12% au lieu de 21. De l’autre, certains produits à emporter basculent à 12% au lieu de 6% quand ils sont prêts à consommer et que leur durée de conservation maximale après préparation est de 48 heures. Les prix sur place pourraient donc baisser, alors que les tarifs à emporter augmenteraient.
Et sur l’addition?
Reste la question la plus concrète: les prix baissent-ils automatiquement quand la TVA diminue? Non. La TVA est un impôt collecté sur le prix de vente, le prix final dépend du choix commercial, pas du taux. Si un café est affiché à 2,50 euros TVA comprise avec une TVA de 21%, la partie hors TVA tourne autour de 2,07 euros. Si la TVA passe à 12% et que le prix reste à 2,50 euros, la partie hors TVA monte vers 2,23 euros, sans que le client paie davantage.
Dans ce scénario, la baisse de TVA devient une respiration de marge pour l’exploitant, autour de seize centimes par café, avant coûts. Une autre option existe, celle de baisser le prix affiché et de garder une marge similaire. Troisième option, mélange des deux: une baisse partielle, un prix inchangé sur certains produits, une adaptation ailleurs.
«Le restaurateur garde la liberté d’augmenter les prix, TVA en baisse ou pas, tant que l’affichage et la facturation respectent les règles. La baisse de taux ne protège pas mécaniquement le consommateur, elle change l’espace de décision entre prix et marge, dans un marché où la concurrence et les coûts dictent souvent la fin de l’histoire», conclut Pierre-Alexandre Billiet.