Jean Quatremer, le correspondant à Bruxelles du quotidien français Libération vient (une nouvelle fois) d’enflammer les réseaux sociaux et de mettre le feu au monde politique bruxellois. Dans une double page choc publiée mardi, il dénonce la saleté, le chaos urbanistique et la mauvaise gestion de l’espace bruxellois, ternissant avec des mots très durs l’image de marque de la capitale de l’Europe.
Depuis la publication de Bruxelles pas belle, singeant à l’envers les mots de la chanson de Dick Annegarn, Bruxelles ma belle, une minorité, outrée, conseille à Quatremer, sur Twitter et Facebook, de rentrer chez lui, en France, définitivement. D’autres, plus nombreux, le saluent pour avoir dit tout haut – et fort ! – ce que beaucoup pensent tout bas. Les politiques, du nouveau ministre-président de la Région, Rudy Vervoort, au secrétaire d’Etat bruxellois Rachid Madrane en charge de la Propreté et de l’Urbanisme, hésitent, admettent des manquements, reconnaissent que des améliorations sont possibles tout en dénonçant le caractère caricatural voire « nullissime » du texte.
Ce Bruxelles pas belle, c’est le reflet de toute la gouaille rageuse de ce journaliste devenu une star (47.000 followers sur Twitter…). Quatremer est un provocateur né, à la mode parisienne, qui revendique sa liberté de ton et sa recherche de la polémique. « Un article, c’est un angle, ce n’est pas une thèse de doctorat », a-t-il coutume de dire pour défendre le caractère tranché de ses expressions. Depuis 2005, il ne passe pas un jour sans qu’il ne fustige l’un ou l’autre aspect de la construction européenne dans son blog Les Coulisses de Bruxelles. On lui doit notamment des sorties virulentes contre la corruption des autorités grecques ou les faiblesses coupables des autorités européennes.
Mais il multiples aussi les charges et les expressions au-delà des cénacles européens. Il ne cesse de dénoncer le nationalisme flamand et les mesures de rétorsion contre le français en Flandre, indignes de l’Europe. Il passe au vitriol les expressions « brutales » du nouveau chantre de l’extrême gauche française, Jean-Luc Mélenchon. Il fut l’un des premiers à évoquer les comportements de Dominique Strauss-Kahn à l’égard des femmes, bien avant l’affaire du Sofitel à New York, dénonçant les compromissions de la presse parisienne.
Jean Quatremer martèle que la presse est là pour « subvertir le pouvoir ». Pas « pour faire la communication des puissants. » En s’attaquant à la gestion de Bruxelles, il campe sur sa ligne corrosive. Cette ville, au fond, il l’aime profondément mais il ne peut accepter l’anarchie qui y règne parfois, la complexité des structures belges qui empêche une gestion saine, la saleté des rues, les trottoirs explosés… Il n’est pas le seul. Parmi les journalistes français et les correspondants étrangers présents dans la capitale pour suivre l’actualité européenne, ils sont nombreux à dénoncer régulièrement l’incivisme, la saleté, l’insécurité de leur ville d’adoption. A force de la fréquenter tous les jours, on ne peut pas toujours leur donner tort…
Reste que, les classements des villes selon les différents critères fustigés par le journaliste français, ne lui donnent pas non plus toujours raison :
– Bruxelles, ville la plus encombrée d’Europe occidentale ? Ce n’est pas l’avis du TomTom congestion index, qui classe Rome et Paris un chouïa devant (http://bit.ly/1812f9n).
– La qualité de l’air [à Bruxelles] y est désastreuse ? Nettement moins qu’à Paris ou Berlin, selon Air quality now .
– La qualité de vie est mauvaise à Bruxelles ? La capitale de la Belgique et de l’Europe se classe 22e mondiale, selon la dernière enquête annuelle Mercer. Alors que Paris n’arrive qu’en 29e position.
– Les infrastructures sont désastreuses à Bruxelles ? Oui, selon l’enquête 2012 de Mercer : Bruxelles se classe 42e, loin derrière des villes comme Munich, Londres, Amsterdam, Paris, Berlin ou Zurich (http://bit.ly/1813but voir tableaux tout en bas du document).
Quatremer démontre donc que la presse joue encore son rôle de contre-pouvoir autant qu’elle verse parfois dans le coup de sang excessif.
Reconnaître ces deux comportements, c’est sain pour la démocratie.
Olivier Mouton et Ettore Rizza