13 décembre 2006, un ovni télévisuel affole les partis francophones qui, dix ans plus tard, sont plus désunis que jamais. © ALEXIS HAULOT/REPORTERS

10 ans après « Bye Bye Belgium » : la mort lente du pays

Olivier Mouton Journaliste

En décembre 2006, le docu-fiction de la RTBF choquait en imaginant la fin brutale de la Belgique, les francophones préparant alors un plan B.

Tous les Belges francophones se souviennent probablement de ce qu’ils faisaient le mercredi 13 décembre 2006, en soirée. Après le JT de la RTBF, l’émission d’enquête Questions à la Une doit aborder des questions communautaires très polémiques :  » Va-t-on supprimer les indemnités de chômage en Wallonie ? « ,  » Les Flamands sont-ils plus corrompus que les Wallons ?  » Soudain, les programmes sont brutalement interrompus, le présentateur François De Brigode entame une émission spéciale. Une information explosive vient de tomber : la Flandre a déclaré unilatéralement son indépendance. Des reportages en faux direct montrent des explosions de joie place des Martyrs, à Bruxelles, siège du gouvernement flamand, l’inquiétude devant le palais royal ou l’exaspération de passagers bloqués à bord des trams à la frontière bruxello-flamande. C’est le choc.

Acte 1 : LA MORT BRUTALE

Dans toutes les rédactions du pays, les téléphones sonnent sans interruption. Des citoyens cherchent à confirmer ou infirmer l’incroyable nouvelle. Au sein du service public, le débat est âpre. Hervé de Ghellinck, alors rédacteur en chef politique, menace de claquer la porte devant l’ampleur des réactions.  » J’étais pour une vraie fiction, mais pas un faux JT « , explique-t-il.  » Dire le faux dans un but pédagogique, cela ne va pas « , acquiesce Johanne Montay, actuelle rédactrice en chef politique.  » Pour moi, la fin justifie les moyens « , coupe alors le journaliste Christophe Deborsu, passé aujourd’hui à RTL-TVI.

Controversé dès sa diffusion, le docu-fiction Bye Bye Belgium est le reflet d’une époque où l’imminence d’une fin brutale de la Belgique provoquée par le départ de la Flandre était perçue, du côté francophone, comme une hypothèse plausible. Adoptées en 1999, les résolutions institutionnelles du gouvernement flamand, présidé par l’autonomiste Luc Van den Brande (CD&V), réclament le transfert aux Régions de pans entiers de la sécurité sociale et de la fiscalité. Au nord du pays, la volonté de scinder l’arrondissement électoral et judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde (le fameux BHV) tourne à l’obsession, tandis que les tracasseries administratives se multiplient à l’encontre des francophones de la périphérie bruxelloise. Le Vlaams Belang est au plus haut et, après l’éclatement de la Volksunie (VU) en 2001, tous les partis flamands sont contaminés par le virus séparatiste. A commencer par le CD&V qui crée un cartel avec l’aile radicale de la VU, la N-VA. Un certain Bart De Wever prend son envol. Bref, tout laisse à penser que la Flandre veut prendre la poudre d’escampette.

Les années qui suivent cet ovni télévisuel semblent donner raison à son auteur, Philippe Dutilleul. Les crises politiques se succèdent et le blocage institutionnel semble inextricable durant 541 jours, en 2010-2011. Le monde entier s’intéresse soudain à ce petit pays en voie d’explosion, au coeur de l’Europe. C’est l’heure du plan B des francophones : le 25 mai 2011, la Communauté française est rebaptisée Fédération Wallonie-Bruxelles, une institution qui pourrait servir d’alternative à la Belgique en cas de sécession flamande. Dans les quartiers généraux des partis, les ténors sortent quasiment les cartes d’état-major pour imaginer l’avenir du pays. Dans un entretien-testament au Soir, le 10 septembre 2011, Guy Spitaels, grand patron du PS de 1981 à 1992, avoue  » ne plus s’investir dans la Belgique  » et privilégier l’avenir de la Wallonie. Yves Desmet, rédacteur en chef du quotidien flamand De Morgen, glisse au détour d’une conversation :  » Vous, francophones, êtes dans une prophétie autoréalisatrice.  » Traduction : à force de la craindre, les partis du sud provoqueraient la scission du pays.

Le point de rupture n’est pas loin.

La conclusion de la sixième réforme de l’Etat, en octobre 2011, et la nomination d’Elio Rupo comme Premier ministre, en 2013, sauvent temporairement la mise. La scission de BHV et le  » déplacement du centre de gravité  » vers les Régions et Communautés, un transfert de compétences à hauteur de 20 milliards d’euros, rencontrent la majorité des demandes flamandes. Trop peu, trop tard, visiblement : le 25 mai 2014, les électeurs flamands votent massivement pour la N-VA.

Acte 2 : LA MORT LENTE

Une page a toutefois été tournée. La révision de la loi de financement impose à la Wallonie de se redresser dans les dix ans, en raison de la diminution annoncée de la solidarité nord-sud. Off the record, des politiques confient que le  » plan B  » n’a jamais été développé, ce n’était qu’un moyen de pression dans les négociations. D’une réforme de l’Etat à l’autre, les francophones tentent de gagner du temps en espérant que la dynamique socio-économique s’inverse, enfin.

La mise en place d’une coalition fédérale avec le seul MR du côté francophone en compagnie de la N-VA, du CD&V et de l’Open VLD, à l’automne 2014, marque une autre étape. Les libéraux et le patronat expliquent qu’il s’agit là d’une façon de donner une chance à la Belgique en permettant aux partis flamands de mener les politiques socio-économiques qu’ils réclament depuis des années. L’institutionnel est au frigo pour cinq ans. La vaste opposition francophone et les syndicats dénoncent au contraire une flamandisation larvée du pays, un label d’ailleurs ouvertement revendiqué par Bart De Wever. C’est une nouvelle étape vers cette  » coquille vide  » belge qu’induirait le confédéralisme à la sauce N-VA.

On ne parle plus d’une mort brutale, mais d’une euthanasie programmée. Il est question ces jours-ci d’une rupture éventuelle du cordon sanitaire permettant à la N-VA et au Vlaams Belang de s’associer après les prochaines élections législatives et régionales de 2019 pour forcer l’indépendance de la Flandre. Mais pas grand-monde ne prend l’hypothèse au sérieux. Faute de majorité. Et parce que la N-VA plaide en faveur d’une  » évolution « , pas d’une  » révolution « . Ce coup de force, c’était pourtant le scénario de Bye-Bye Belgium. La stratégie de Bart De Wever consiste plutôt à mener des politiques à ce point dures qu’elles forceraient le PS à réclamer une nouvelle réforme de l’Etat. Provoquer la prophétie autoréalisatrice, somme toute. La radicalisation à gauche toute du corps électoral francophone, si l’on en croit les sondages, va dans ce sens.

Dix ans après le docu-fiction, les partis francophones sont plus désunis que jamais, le plan B s’est envolé, la Fédération Wallonie-Bruxelles fait sourire et le fait régional s’est imposé. La RTBF n’a rien prévu de particulier pour célébrer l’événement. Passé à la concurrence, Christophe Deborsu a, quant à lui, présenté sur RTL-TVI un  » dossier tabou « , le 30 novembre dernier, pour s’interroger sur la  » mort programmée  » du pays. Son constat ? Une certaine Flandre est tentée d’absorber tout ce qu’elle peut de la Belgique avant de provoquer son démantèlement.  » La seule solution pour la Wallonie est de se redresser, dit-il. Mais on ne rattrape pas notre retard. L’avenir est très inquiétant.  » Bye Bye Belgium, le retour ?

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