Volvo Car Gand est la dernière usine automobile encore en activité en Belgique. © Belga Image

Que signifie le virage de Volvo pour son avenir (et celui de son usine en Belgique)?

Urbain Vandormael Spécialiste voitures  

Volvo Car Gand fête ses 60 ans… sans la moindre célébration. Le constructeur doit se serrer la ceinture et a choisi de couper dans le budget consacré aux festivités. Son usine en Belgique emploie aujourd’hui 6.500 personnes et demeure un symbole d’innovation.

Petit rappel historique. Jusqu’en 1995, la Belgique était de loin le leader mondial en matière d’assemblage automobile par habitant. D’Audi à British Leyland, en passant par Citroën, DeSoto, Fiat, Ford, General Motors, Mercedes-Benz, Opel, Plymouth, Porsche, Renault, Studebaker, Volkswagen et bien sûr Volvo, presque tous les grands noms de l’automobile ont produit des voitures particulières dans le Plat Pays.

Coûts salariaux et énergétiques trop élevés

Depuis la fermeture d’Audi Brussels, Volvo Car Gand est la dernière usine automobile encore en activité dans le pays. Une situation qui s’explique aisément: en Belgique, les coûts liés au travail et à l’énergie peuvent être jusqu’à quatre fois supérieurs à ceux pratiqués en Hongrie, en Roumanie ou en Slovaquie. A cela s’ajoute un maquis réglementaire qui décourage plus d’un investisseur.

Et que valent deux ports maritimes de classe mondiale si le transport routier est paralysé en permanence par les embouteillages? Pour couronner le tout, l’assemblage automobile en Europe a reculé de près de 15% depuis 2010.

Soixante ans d’innovation, de savoir-faire et de travail d’équipe

«Le rachat de Volvo par le chinois Geely Automotive est la meilleure chose qui pouvait nous arriver», déclarait, en 2013, Alain Visser, alors directeur marketing de la marque.

Cette histoire débute en 1926. Volvo doit sa naissance à l’initiative d’Assar Gabrielsson et Gustaf Larson, deux cadres du fabricant de roulements SKF. Le tout premier modèle, l’ÖV4, sort en 1927.

À la fin des années 1990, Volvo Cars passe sous le contrôle de Ford Motor Company, qui tente alors désespérément de ravir à General Motors la première place du secteur automobile mondial. L’opération n’apporte pas les résultats espérés: Ford délaisse progressivement Volvo. Lorsque le constructeur américain traverse à son tour de graves difficultés financières en 2009, il met en vente sa filiale suédoise.

L’homme d’affaires chinois Li Shufu, actionnaire principal de Geely Automobile, saisit l’occasion. A moindre coût, il s’empare d’une marque réputée dans le monde entier pour sa sécurité et sa fiabilité.

Håkan Samuelsson, directeur général de Volvo Car. © Volvo

Le rachat plonge alors Gand et sa région dans l’inquiétude. Les salariés de Volvo et leurs familles redoutent que Li Shufu ne vise que le savoir-faire technologique et l’image de marque du constructeur, et qu’il finisse par délocaliser la production vers la Chine.

La suite leur donnera tort. Le directeur général Håkan Samuelsson et son équipe obtiennent carte blanche, ainsi que les moyens financiers nécessaires, pour transformer Volvo – dont le siège reste à Göteborg – en un constructeur premium rentable, capable de rivaliser avec Audi, BMW et Mercedes. Pour atteindre cet objectif ambitieux, Volvo ouvre de nouvelles usines en Chine et aux Etats-Unis et restructure sa chaîne de production en Europe.

C’est à l’usine de Gand qu’est confiée la mise en œuvre du programme d’électrification et l’assemblage des batteries. Le site belge s’y prête d’ailleurs parfaitement: on y travaille depuis des années avec une rigueur et une efficacité reconnues. La Belgique constitue en outre le deuxième marché domestique de Volvo.

En 2020, Gand voit sortir de ses lignes l’EX40, première Volvo entièrement électrique. Depuis, la gamme s’est étoffée avec les EC40 et EX30. Depuis 1965, quelque 7,8 millions de voitures y ont été produites. Pour cette année, la direction vise les 200.000 unités.

Volvo Car Gand regroupe les ateliers de soudure, de peinture, d’assemblage de batteries et de montage final, et emploie 6.500 personnes. L’entreprise figure ainsi parmi les plus gros employeurs du pays et se classe au premier rang du secteur automobile.

Beauté suédoise

Depuis que Volvo navigue sous pavillon chinois, son langage stylistique a été entièrement repensé. Le design, à l’intérieur comme à l’extérieur, s’inscrit dans une esthétique minimaliste dont la force réside précisément dans la sobriété. Moins, c’est mieux. Volvo a par ailleurs opéré plus vite que ses concurrents la transition vers l’électrification, un choix stratégique assumé: réduire les émissions de CO₂ grâce à la motorisation électrique pour contribuer à freiner le réchauffement climatique.

La nouvelle ES90 illustre parfaitement cette orientation. Cette fastback élégante, dotée d’un hayon pratique, est 100% électrique et proposée en trois versions: Single Motor de 333 ch, Twin Motor de 449 ch et Twin Motor Performance de 680 ch. Le modèle d’accès, à un seul moteur, reçoit une batterie de 88 kWh nets; les versions à deux moteurs sont équipées d’un accumulateur de 102 kWh. Longue de cinq mètres tout juste, cette nouvelle venue s’impose déjà comme l’une des plus belles Volvo de la dernière décennie: un mélange maîtrisé de caractère et de raffinement.

© Volvo

Elle se distingue par une silhouette atypique, un capot galbé, des ailes généreusement dessinées, ainsi que par ses phares «marteau de Thor» et ses feux arrière en C, signatures visuelles de la marque. A bord, le regard est immédiatement attiré par le tableau de bord élégant, la qualité irréprochable des matériaux et l’écran tactile de 14,5 pouces. Face au conducteur, un combiné d’instruments numériques compacts est secondé par un affichage tête haute.

L’ensemble repose sur la puissance de calcul du processeur Nvidia Drive AGX Orin, qui confère au système central une capacité de traitement exceptionnelle. Résultat: une gestion plus réactive et plus intelligente des performances de la batterie, ainsi qu’une interprétation plus fine des données issues des capteurs alimentant les dispositifs de sécurité active.

© Volvo

L’empattement généreux de 3,1 mètres, associé à des sièges d’un confort remarquable, assure un espace plus que généreux tant à l’avant qu’à l’arrière. Le toit panoramique électrochrome à opacité variable figure parmi les options, tout comme l’impressionnant système audio Bowers & Wilkins, capable de transformer l’ES90 en véritable salle de concert roulante.

Pour une voiture longue de cinq mètres, le volume de coffre de 424 litres apparaît en revanche modeste; la petite malle avant (frunk) de 22 litres n’ajoute qu’un espace limité. Le coefficient aérodynamique de 0,25 compte quant à lui parmi les plus faibles jamais atteints par Volvo.

On le sait, une faible traînée aérodynamique réduit la consommation. Sur la version Single Motor, la moyenne réelle tourne autour de 18 kWh/100 km, un résultat très satisfaisant. Grâce à l’architecture 800 volts, la recharge rapide peut grimper jusqu’à 310 kW: dix minutes suffisent alors pour récupérer quelque 300 kilomètres d’autonomie. Une performance convaincante.

Un hayon pratique, mais un coffre modeste pour une voiture longue de cinq mètres. © Volvo

Gran Turismo à cinq portes

L’ES90 est un véritable ordinateur sur roues: les mises à jour s’effectuent à distance et la technologie Phone-as-Key fait partie de l’équipement de série. Elle permet de déverrouiller le véhicule avec son smartphone, tandis que le profil personnel du conducteur se charge automatiquement dès l’ouverture de la porte.

Le modèle bénéficie en outre d’un «bouclier» de sécurité invisible reposant sur les capteurs les plus récents. Caméras, radars et Lidar (Light Detection and Ranging) sont reliés à un ordinateur central qui génère en temps réel une vision à 360° de l’environnement. Le système identifie même de petits objets à plusieurs centaines de mètres et avertit le conducteur à temps en cas de danger potentiel. En situation d’urgence, il tente de prévenir l’accident de manière autonome.

Sur la route, l’ES90 adopte le tempérament d’une Gran Turismo cinq portes: fulgurante et d’un confort remarquable, notamment avec la suspension pneumatique optionnelle. Depuis le passage sous pavillon chinois, les Volvo ont clairement gagné en présence et en sportivité. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: de zéro à 100 km/h en 6,6 secondes pour la version Single Motor; et un impressionnant zéro à 100 km/h en quatre secondes pour la Twin Motor Performance à transmission intégrale. Un petit plaisir qui se paie: 20.300 euros séparent les deux variantes, la première affichée à 73.990 euros, la seconde à 94.290 euros. Dans les deux cas, il s’agit du prix d’appel; dans la pratique, la facture finale grimpe vite. Dans ce segment, l’ajout d’options séduisantes peut aisément alourdir la note de 20.000 euros, voire davantage.

Le virage opéré par Håkan Samuelsson

Sous le slogan «Volvo propose la mobilité de nouvelle génération», la marque suédoise a été l’un des premiers constructeurs premium à s’engager vers une électrification totale de sa gamme. L’objectif affiché était clair: devenir une marque 100% électrique à l’horizon 2030.

Mais la transition des moteurs thermiques vers l’électrique avance moins vite qu’imaginé il y a dix ans. Constatant ce ralentissement, Håkan Samuelsson a récemment annoncé un changement de cap stratégique. «Nous avons besoin d’une deuxième génération d’hybrides rechargeables, qui restera en production jusqu’à la fin des années 2030. Ce sont les clients qui décideront eux-mêmes quand ils basculeront vers l’électrique.»

Cela explique pourquoi la durée de vie du XC90 a été prolongée l’an dernier. Le même scénario se profile pour le XC60. Håkan Samuelsson souligne que cette deuxième génération de PHEV offrira une autonomie électrique comprise entre 160 et 200 kilomètres, avec un moteur électrique utilisé comme source d’énergie principale; le bloc essence n’interviendrait plus que pour recharger la batterie.

Cette technologie de transition doit faciliter, dans de vastes régions du monde, le passage à la conduite électrique tout en réduisant sensiblement les émissions de CO₂. Samuelsson a compris qu’il serait contre-productif d’ignorer la demande réelle du marché.

Cette inflexion stratégique va à l’encontre de la position de son homologue Michael Lohscheller, patron de Polestar. Fin septembre, celui-ci s’est fermement opposé à tout assouplissement de l’interdiction européenne de vendre des moteurs thermiques à partir de 2035. Un choix logique: Polestar est une marque de niche qui fait de l’électrique son principal argument commercial.

Pour Volvo, ce changement de ligne aura sans doute moins d’impact que pour Polestar, qui dépend de l’expertise technologique et du soutien logistique de son grand frère suédois. Mais investir dans le développement de nouvelles motorisations hybrides mobilisera des moyens qui ne pourront être consacrés aux modèles 100% électriques, un enjeu vital pour Polestar.

Globalement, les observateurs estiment que cette réorientation aura peu de conséquences pour l’avenir de Volvo et de Volvo Car Gand. Pour autant, les équipes ne peuvent dormir totalement sur leurs deux oreilles. Volvo construit en Slovaquie une vaste usine européenne où sera assemblé le futur modèle compact de Polestar: précisément le segment sur lequel l’usine gantoise est active. Le refus de Polestar de confier ce modèle à Gand s’explique, une fois encore, par les coûts salariaux et énergétiques élevés en Belgique.

Un autre signal venu de Chine retient l’attention: la maison-mère Geely envisage de conquérir l’Europe avec des modèles hybrides et 100% électriques abordables, qui devraient être produits sur le sol européen. Reste à savoir où.

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