Les chiffres sont implacables. Le déclin des ventes de Tesla en Europe se poursuit sans relâche et prend des proportions désastreuses. Aucune amélioration ne s’annonce. Les nouveaux modèles se font attendre et les fanfaronnades d’Elon Musk trouvent un écho de plus en plus faible. La Teslamania touche-t-elle à sa fin?
L’orgueil précède la chute. Même les plus puissants y succombent. Y compris Elon Musk? L’ancien «sauveur du monde» autoproclamé semble devenir la victime de sa propre démesure. Il se prépare en outre à un affrontement direct avec Trump, dont l’hostilité à l’égard de la voiture électrique est notoire.
Le président s’attache moins à combattre le réchauffement climatique qu’à freiner l’électrification du parc automobile américain. Il a supprimé l’ensemble des incitations et initiatives destinées à encourager l’achat de voitures électriques. Par ce choix, il porte également atteinte aux intérêts commerciaux de Musk, patron de Tesla, qu’il avait pourtant contribué à installer solidement l’an passé.
Inventeur et entrepreneur animé d’une vision
Au cours des dix dernières années, aucun dirigeant ni aucune marque automobile n’ont suscité autant d’attention médiatique que Musk et Tesla; parfois recherchée, parfois subie. L’entreprise s’est trouvée plus d’une fois au bord du gouffre, mais Musk a toujours réussi à attirer de nouveaux capitaux grâce à des promesses tantôt tenues, tantôt trahies.
Pour des non-Américains, il demeure difficile de comprendre que le grand prêtre du capitalisme sans entraves n’ait jamais eu à répondre de sa manière peu orthodoxe de faire des affaires, qui a plus d’une fois franchi la limite du tolérable, voire de la légalité.
Cet inventeur et entrepreneur, né en 1971 à Pretoria d’une mère canadienne et d’un père sud-africain, étudia la physique et l’économie à l’Université de Pennsylvanie, aux Etats-Unis. Il fit pour la première fois parler de lui avec la vente de son entreprise Internet Zip2, suivie de la plateforme de paiement en ligne PayPal.
«Musk se présentait alors comme un “sauveur du monde” animé d’une vision à long terme et inquiet de l’avenir de la planète.»
Avec le produit de ces ventes, il fonda en 2002 SpaceX, qui envoie désormais des capsules habitées dans l’espace, au service aussi bien d’entreprises privées que d’organismes publics. Deux ans plus tard, il devint actionnaire de la start-up technologique américaine Tesla, baptisée du nom de l’inventeur croate du moteur à courant alternatif, Nikola Tesla.
Musk se présentait alors comme un «sauveur du monde» animé d’une vision à long terme et inquiet de l’avenir de la planète. Presque à lui seul, il donna une impulsion décisive à l’électrification du parc automobile.
C’est aussi à son actif que la valeur boursière de Tesla s’est envolée à des niveaux records, redistribuant les cartes dans l’industrie automobile internationale et imposant une nouvelle hiérarchie. Contre toutes les prévisions, et malgré le boycott d’organismes publics comme de puissants groupes de pression, Tesla devint le leader incontesté de la propulsion électrique.
Tesla a en outre mis en place des systèmes de production plus efficaces, déployé son propre réseau de superchargeurs et développé ses propres batteries. L’extension d’un réseau de concessionnaires n’a jamais été un objectif: trop coûteuse et trop lourde. Les mises à jour logicielles s’effectuaient de toute façon «over the air», sans intervention d’un concessionnaire.
Tesla conçut et fabriqua elle-même des composants essentiels, réduisant ainsi sa dépendance envers les fournisseurs chinois, désormais souvent plus puissants que leurs clients: Audi, BMW, Mercedes, Volkswagen et d’autres.
Tesla Model 3: la plus mauvaise élève de la classe
Tous les projets d’Elon Musk ne se soldent pas par des réussites; le maître-sorcier commet lui aussi des faux pas. Pour tenter d’endiguer la baisse des ventes, Musk a réduit l’an dernier de façon drastique les prix nets de plusieurs modèles, qui se sont soudain retrouvés moins chers que des voitures d’occasion. Ce choix a placé sous une forte pression le modèle économique des sociétés de leasing, principaux clients de Tesla.
L’avance technologique du constructeur s’est par ailleurs fortement réduite. Pire encore: certains fabricants chinois ont transformé leur retard en avantage compétitif.
Tesla échoue également à résoudre ses problèmes de qualité. Selon le rapport TÜV 2025 du Service allemand d’inspection automobile, la Tesla Model 3 enregistre le taux de défaillance le plus élevé de tous les modèles électriques examinés âgés de deux à trois ans. Pour les véhicules jusqu’à cinq ans, ce taux passe de 14,2 à 19,7%.
«De nombreux fans ont été choqués par le soutien public apporté par Musk aux campagnes électorales de Trump et de certains partis d’extrême droite en Europe.»
Un test comparatif mené par la Fédération automobile norvégienne (NAF) sur 24 voitures électriques en conditions hivernales révèle en outre que la Tesla Model 3 affiche une autonomie inférieure d’environ 25% à celle officiellement annoncée. Ces résultats mettent en lumière la faible fiabilité et la durabilité contestable de ce modèle.
Musk et Tesla ont aussi déçu une partie de leurs adeptes en ne tenant pas leurs promesses. Le lancement de nouveaux modèles et de technologies de rupture est sans cesse repoussé.
En outre, de nombreux fans ont été choqués par le soutien public apporté par Musk aux campagnes électorales de Trump et de certains partis d’extrême droite en Europe. Sa manière brutale, au début de 2025, de désorganiser les services publics américains en tant que mandataire du président fraîchement réélu a également suscité un profond ressentiment.
La fin de la Teslamania est-elle proche?
Les conséquences ne se sont pas faites attendre. En 2024, Tesla a écoulé près de 1,8 million de véhicules, moins qu’en 2023, et son bénéfice opérationnel a reculé par rapport à l’année record 2023.
Tout indique que 2025 sera encore plus sombre pour la marque automobile la plus valorisée au monde. Ventes, bénéfice opérationnel et valeur boursière plongent. Durant le premier semestre 2025, les ventes dans l’Union européenne ont chuté de 44%, alors que le marché de l’électrique progresse sur le continent. En Allemagne, Volkswagen a ravi la première place à Tesla.
La situation n’est guère meilleure ailleurs. En Chine, Tesla a perdu son leadership au profit de BYD, en pleine expansion mondiale. Seuls les Etats-Unis permettent encore au constructeur de se maintenir, mais pour combien de temps? L’issue des négociations sur un nouvel accord commercial entre Washington et Pékin sera déterminante.
Moins de ventes signifient mécaniquement moins de bénéfices. Dans le cas de Tesla, la rentabilité par véhicule s’est en outre érodée depuis des années, conséquence des remises massives consenties pour préserver ou renforcer sa part de marché. En Chine, surtout, l’entreprise mène une lutte acharnée contre une multitude de constructeurs, petits ou grands.
Cette pression se reflète dans les chiffres. Au deuxième trimestre 2025, le bénéfice a reculé de 16% par rapport à la même période de 2024, alors que le bénéfice opérationnel de 2024 avait déjà été réduit de plus de la moitié par rapport à 2022.
Un autre danger guette: la perte d’une source de revenus cruciale. Pour atteindre les normes environnementales imposées, de nombreux constructeurs achètent à Tesla des «certificats carbone». Au premier semestre 2025, ils représentaient deux tiers du chiffre d’affaires du constructeur. Essentiels à sa survie, ils risquent pourtant de disparaître, en raison d’une décision antérieure du président Trump dans sa croisade contre la voiture électrique.
«Plusieurs rumeurs circulent au sujet de son absence remarquée dans les médias. Le scénario le plus vraisemblable est qu’il négocie avec Trump un accord destiné à maintenir les certificats d’émission.»
Musk reste silencieux
Musk est donc censé agir, mais semble pour l’heure se dérober. Plusieurs rumeurs circulent au sujet de son absence remarquée dans les médias. Le scénario le plus vraisemblable est qu’il négocie avec Trump un accord destiné à maintenir les certificats d’émission.
Dans l’attente d’une déclaration officielle du grand patron, le service de presse de Tesla a été sollicité avec trois questions précises. A la première (Avez-vous une explication pour le recul des ventes et de la marge bénéficiaire?) et à la troisième (Quelles mesures Tesla compte-t-elle prendre pour enrayer la baisse des ventes?), aucune réponse n’a été fournie.
A la deuxième (Quels nouveaux modèles peut-on attendre?), le responsable presse Victor-Jan Vanparijs a indiqué par écrit que Tesla avait récemment lancé aux Etats-Unis un projet pilote de robotaxis. En Europe, le Full Self-Driving (FSD) n’est pas encore disponible. Tesla collabore avec les régulateurs afin d’obtenir l’approbation pour les véhicules existants et futurs. Dans plusieurs pays européens, dont les Pays-Bas, le FSD est actuellement testé. Aux Etats-Unis, au Canada, en Chine et au Mexique, il est déjà accessible –sous supervision. Dont acte.
Pas de conclusions hâtives
Sur la base de sa valeur boursière, Tesla reste la marque automobile la plus valorisée au monde et demeure une référence, à bien des égards, pour les constructeurs chinois. Ce n’est pas non plus la première fois que l’entreprise traverse des turbulences et renaît de ses cendres grâce à Musk.
Cette fois, les difficultés se révèlent plus vastes et plus complexes. Un autre facteur pèse lourd: les escapades politiques de Musk lui ont fait perdre beaucoup de sa crédibilité et de son charisme auprès de ses partisans. En Europe, et plus encore en Belgique, nombre de «believers» lui ont tourné le dos. Reste l’attente.