Depuis 2015, le prix de la plupart des voitures neuves a augmenté bien plus vite que les salaires. La faute, surtout, à une montée en gamme des véhicules, poussée par les marques elles-mêmes.
Un véhicule neuf à moins de 15.000 euros? Les modèles du genre ne se comptent même plus sur les doigts d’une main. A ce jour, Dacia propose sa Sandero au prix de base de 12.890 euros et Fiat, sa Pandina Pop à 14.990 euros. Et puis? Hors promotions et primes de recyclage, c’est à peu près tout. En dix ans, le prix des voitures neuves a augmenté de 25 à 103%, si l’on s’intéresse aux dix modèles les plus populaires vendus auprès des particuliers en 2025.
Hors véhicules de sociétés, le top 3 des ventes se compose, dans l’ordre, des Dacia Sandero et Duster, puis de la Citroën C3, selon la dernière analyse trimestrielle de la Fédération belge de l’industrie automobile et du cycle (Febiac). Preuve que bon nombre de ménages sont en quête de modèles relativement accessibles, à défaut d’être bon marché.
En moyenne, la hausse du prix de base des dix véhicules aujourd’hui les plus vendus auprès des particuliers atteint 50% sur dix ans. Dans la plupart des cas, elle est donc supérieure à celle du salaire brut médian, résultant de l’indexation automatique des salaires et de l’indice des prix à la consommation (+31% sur la même période). Par rapport à 2015, il faut dépenser davantage de salaires mensuels nets médians dans l’achat d’une voiture neuve, l’ampleur variant considérablement selon la gamme et la hausse observée (+0,1 salaire mensuel net et médian pour une C3, +3,47 pour une Duster).
«La voiture de base d’aujourd’hui équivaut probablement à celle avec options d’il y a dix ou quinze ans.»
Derrière la hausse du prix des voitures neuves, des causes multiples
Il faut dire qu’en dix ans, le paysage automobile a bien changé. Citroën C1, Peugeot 108, Renault Twingo, VW Up, Skoda Citigo, Suzuki Celerio (ex-Alto)… Plusieurs citadines de référence ont disparu des showrooms européens. Leurs constructeurs ont invoqué des marges trop faibles et opté pour un repositionnement stratégique vers des modèles plus polyvalents et les SUV. Certains ont quitté l’Europe définitivement (Daihatsu en 2013), d’autres par intermittence. Mitsubishi, par exemple, reprendra la vente de nouveaux véhicules en Belgique juste avant le prochain Salon de l’auto. En termes d’équipements, les véhicules actuels ne sont plus comparables avec leurs prédécesseurs. «La voiture de base d’aujourd’hui équivaut probablement à celle avec options d’il y a dix ou quinze ans, commente Christophe Dubon, responsable de la communication de Febiac. Il est difficile, aujourd’hui, de trouver un modèle avec un tableau de bord doté d’aiguilles physiques. Les écrans se sont eux aussi généralisés, tout comme les solutions de connectivité, les systèmes d’aide à la conduite ou de sécurité.»
La trajectoire de Dacia illustre particulièrement cette montée en gamme. De «Scandaleusement abordable», son slogan a évolué vers «L’essentiel, simplement», reflétant une volonté de distanciation par rapport à la seule réputation low-cost. Pour sa Duster, le constructeur a, surtout, décidé d’abandonner les motorisations 100% essence ou diesel, en optant pour des versions hybrides (essence + électricité ou essence + LPG). Résultat: son prix d’entrée (hors LPG, un carburant anecdotique en Belgique) a grimpé de 103% en dix ans. Toujours plus accessible que ses concurrentes, la Sandero a elle, vu son prix augmenter de 63% sur la même période. Dans la gamme des plus petits gabarits, de nombreuses marques misent désormais sur des motorisations exclusivement hybrides ou électriques, qui se prêtent particulièrement à un usage urbain.
Quelle riposte face à la concurrence chinoise?
Face au déclin de la production européenne et à la montée en puissance des marques chinoises, proposant des modèles électriques à des prix bien plus faibles, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a plaidé en septembre dernier pour la création de modèles abordables, «tant pour le marché européen que pour répondre à la flambée de la demande à l’échelle mondiale. […] Je pense que l’Europe devrait avoir sa propre voiture électrique. Avec un E aussi pour « environnementale »: propre, efficace et légère. Avec un E pour « économique »: à un prix abordable. Avec un E pour « européenne »: construite ici en Europe, grâce à des chaînes d’approvisionnement européennes.»
Cette potentielle E-Car, comme elle a rapidement été baptisée, s’inspirerait en quelque sorte des keijidōsha, ou «kei cars» japonaises, des modèles particulièrement compacts (maximum 3,4 mètres de long, 1,48 mètre de large et deux mètres de haut) qui y ont capté 40% du marché. Est-ce réaliste? «Ursula von der Leyen a tout à fait le droit de le vouloir, mais à brève échéance, cela me semble compliqué, estime Christophe Dubon. Pour être considérées comme telles, les voitures nécessitent des homologations que l’on ne peut comparer aux voiturettes ou aux quadricycles légers. Par ailleurs, si de tels véhicules se vendent très bien en Asie et notamment au Japon, ce n’est pas vraiment dans la culture européenne. Il y a plusieurs années, des constructeurs avaient essayé de lancer des produits équivalents en Belgique. Cela n’avait pas très bien fonctionné.» D’autant que l’automobiliste belge, relève encore Christophe Dubon, a une spécificité par rapport à ses voisins européens: «Il est assez friand d’une personnalisation à la carte et achète donc moins de voitures de stock, proposant des packages d’options prédéfinies.»
A en croire John Elkann, le président de Stellantis et Luca de Meo, ex-patron de Renault désormais chez Kering, l’emballement du prix des voitures neuves risque de continuer à politique inchangée. «Entre 2015 et 2030, le prix d’une Renault Clio aura augmenté de 40%, et 92,5% de cette hausse est imputable à la réglementation», indiquait-il au Figaro, en mai dernier. Ce que nous demandons, c’est une réglementation différenciée pour les petites voitures. Il existe trop de règles conçues pour des voitures plus grandes et plus chères, ce qui signifie que nous ne pouvons pas produire de petites voitures dans des conditions de rentabilité acceptables.» Les deux groupes souhaitent relancer le segment des minicitadines à un prix compris entre 12.000 et 15.000 euros.
La réglementation en tort, vraiment?
Il est vrai qu’à côté des contraintes de production (hausse du prix de l’acier et des semi-conducteurs, dernière crise énergétique…), l’Europe s’est dotée de réglementations qui ne pouvaient que tirer les prix vers le haut. «Depuis quelques mois, les voitures doivent embarquer davantage de systèmes permettant d’empêcher les accidents ou d’en limiter les conséquences quand ils se produisent, illustre Christophe Dubon. Une dizaine de systèmes d’aides sont désormais obligatoires pour les voitures neuves.» Les constructeurs estiment dès lors qu’une règle applicable aux gros véhicules (en matière de régulation de la vitesse, par exemple) ne se justifie pas nécessairement pour les petits modèles.
En France, une nouvelle étude de l’Institut mobilités en transition (IMT) et du cabinet C-Way nuance toutefois cette argumentaire des marques. Sur la période 2020-2024, elle constate que la hausse de 24% du prix moyen des voitures neuves (environ 6.800 euros) relève avant tout de causes choisies par les constructeurs (douze points de pourcentage), telles que les montées en gamme et les glissements vers de plus gros modèles, puis de facteurs subis (six points de pourcentage, attribuables par exemple à l’inflation et aux réglementations) et de causes mixtes (idem, notamment l’électrification des véhicules).
Selon les chiffres de la Febiac et du SPF Mobilité et Transports, l’âge moyen du parc automobile belge a récemment dépassé la barre des dix ans. L’augmentation du prix des voitures neuves, mais aussi la réticence persistante à opter pour un modèle 100% électrique, pour des raisons de coût ou d’autonomie, incitent davantage de ménages à se tourner vers des véhicules d’occasion. Or, ceux-ci deviennent également bien plus chers, compte tenu des hausses de prix de ces dernières années. Si le prix d’achat reste une contrainte importante, voire décisive, Christophe Dubon rappelle qu’il importe de prendre en compte tous les frais liés à l’usage du véhicule durant sa durée de vie. «C’est ce que l’on appelle le coût total de possession du véhicule, conclut-il. Le gain à la pompe peut largement compenser le prix d’une motorisation hybride ou électrique.»