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Files interminables au contrôle technique: pourquoi la Wallonie et Bruxelles ne veulent pas suivre la Flandre

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

La Flandre s’apprête à révolutionner le contrôle technique en l’ouvrant aux garages agréés et en allégeant les règles, au nom de la concurrence et de la fluidité. Mais la Wallonie et Bruxelles freinent des quatre fers. Elles redoutent un affaiblissement de la sécurité routière et une Belgique à trois vitesses.

La Flandre passe la cinquième vitesse… et risque bien de faire cavalier seul. La Région a en effet marqué son ambition de réformer en profondeur les modalités du contrôle technique. Sur le tableau de bord, à l’horizon 2028: la possibilité pour les garages agréés de réaliser les contrôles eux-mêmes, des règles assouplies, des prix plus bas. Le but: relancer la concurrence dans un marché fermé, mais aussi décharger les centres classiques pour –et c’est la grogne principale des automobilistes– réduire le temps d’attente dans les files.

Plus concrètement, la Flandre espère notamment se débarrasser des tarifs fixes, des règles de contrôle non explicitement imposées par l’Europe, des contrôles techniques à la vente d’un véhicule d’occasion ou après l’installation d’un attelage (remorque, porte-vélo…). Elle vise aussi à réduire la fréquence des visites: tous les deux ans pour les véhicules de plus de quatre ans (au lieu d’une visite annuelle). Et lâcher du lest: en cas de carton rouge, l’automobiliste aura deux mois pour se mettre en ordre (contre deux semaines actuellement).

La compétence étant régionalisée, une question majeure s’érige: la Wallonie et Bruxelles vont-elles emboiter le pas à la Flandre, ou au contraire s’en détacher, au risque de provoquer un contrôle technique à… trois vitesses?

Contrôle technique: les organismes wallons doivent «poursuivre leurs efforts»

François Desquesnes (Les Engagés), ministre wallon de la Mobilité, répond avoir «bien pris connaissance de la note d’orientation déposée par la Flandre». Mais reste prudent. «Il s’agit à ce stade d’une intention politique.»

La réforme flamande vise surtout à fluidifier «l’expérience contrôle technique» pour l’automobiliste. La Wallonie pourrait-elle se targuer ne pas avoir les mêmes préoccupations? Pas vraiment, même si «la réforme de 2020 a déjà permis de réduire considérablement les files d’attente grâce à la systématisation des prises de rendez-vous», se défend François Desquesnes.

Les organismes aujourd’hui chargés du contrôle technique doivent toutefois «poursuivre leurs efforts, incite le ministre, pour répondre aux demandes des particuliers et des professionnels; cela fait partie de leur job d’assurer un service de qualité.» Il concède «travailler sur des pistes, que nous présenterons dans les prochains mois afin de faire coller au mieux l’offre et la demande.» Pour l’instant, donc, la conduite d’une potentielle réforme d’ampleur n’est pas à l’ordre du jour.

Garages privés pour le contrôle technique: quelle impartialité?  

L’ouverture du contrôle technique à des garages privés pose la question de l’indépendance et l’impartialité des opérateurs de contrôle. «En termes de sécurité routière, ces questions constituent un impératif: l’indépendance et la qualité des contrôles des véhicules doit être garantie», insiste François Desquesnes. Même si, détail important, les garages flamands ne pourront pas contrôler leurs propres travaux.

Même son de cloche à Bruxelles, où la ministre (démissionnaire) de la Mobilité Elke Van den Brandt (Groen), souligne que «permettre aux garages d’effectuer les contrôles poserait de sérieux problèmes d’indépendance: ils seraient juges et parties.» Et, dès lors, que la Région ne compte pas suivre la voie tracée par la Flandre. «Nous sommes en affaires courantes d’une part et de l’autre, n’avons pas la même boussole: pour nous, la sécurité routière reste prioritaire», explique-t-elle, taclant par la même occasion les ambitions au nord. «Sur le papier, la réforme flamande peut sembler séduisante pour certains automobilistes, mais elle est loin d’être réaliste. Le contrôle technique est une étape essentielle pour prévenir les accidents. Il ne peut pas être pris à la légère.»

Selon la ministre, «allonger les délais entre les contrôles, comme le propose la Flandre, revient à laisser circuler plus longtemps des véhicules potentiellement dangereux. Ce n’est pas acceptable». En réalité, «la Flandre va à contre-courant des exigences européennes, qui, elles, deviennent de plus en plus strictes».

Des mesures d’assouplissement en Wallonie, un manque de personnel à Bruxelles

En Wallonie, certaines mesures d’assouplissement sont déjà en place, rappelle François Desquesnes. «Pour les véhicules privés, nous avons introduit un système de bonus: si le véhicule a moins de huit ans et moins de 110.000 kilomètres, la visite est valable pendant deux ans. C’est un levier doublement utile: il réduit les coûts pour les automobilistes et contribue à désengorger les centres de contrôle.» Ce système «valorise aussi la responsabilité des conducteurs, en les incitant à entretenir correctement leur véhicule tout au long de l’année.»

Bruxelles «partage le constat» sur le temps d’attente excessif, mais exclut la solution flamande pour y remédier. «Le vrai problème, c’est la pénurie de personnel qualifié dans le secteur, souligne Elke Van den Brandt. En Région bruxelloise, les infrastructures existent, mais elles sont sous-utilisées faute de main-d’œuvre.» La capitale est aussi passée à la prise de rendez-vous obligatoire, mais «le système ne sera efficace que lorsqu’on aura renforcé les équipes.»

Des prix plus bas?

En ouvrant la voie aux garages, la Flandre compte aussi injecter une dose de concurrence dans un secteur qui semble en manquer cruellement. «Il n’y a pas de véritable monopole, s’oppose la ministre bruxelloise. Les tarifs sont encadrés.» Les tarifs sont encadrés par un arrêté royal et, en Wallonie, ils font l’objet d’une concertation avec les organismes de contrôle technique. «Contrairement à une idée reçue, la Wallonie n’est pas systématiquement plus chère, assure François Desquesnes. D’autres régions appliquent parfois des suppléments, notamment pour les contrôles environnementaux, les véhicules diesel ou diesel utilitaire. En Wallonie, c’est un forfait: il y a une mutualisation des coûts peu importe la catégorie.»

La Région wallonne est également connue pour ses contrôles moins stricts -par exemple sur le filtre à particules, ce qui «attire» les automobilistes d’autres régions, et surcharge certains centres. «A Bruxelles, notre système est l’un des plus rigoureux d’Europe, se félicite Elke Van den Brandt. Et il faut le rappeler: les tarifs payés par les automobilistes ne couvrent pas les coûts de fonctionnement des centres. Ce sont les Régions qui compensent.»

«La Flandre refuse toute concertation»

Toujours est-il que le contrôle technique semble de plus en plus se différencier entre Régions. François Desquesnes assure travailler en concertation avec les acteurs du secteur, comme Traxio, FEBIAC (NDLR: qui n’ont pas répondu à nos questions) et les sociétés de contrôle technique, «pour adapter notre politique en fonction des réalités du terrain. Que la compétence soit régionalisée n’empêche pas qu’il y ait des concertations entre Régions. C’est ce que nous faisons tous les trois mois dans le cadre de la Conférence Interministérielle de la Mobilité. C’est le cas aussi pour cet enjeu important.»

Du côté bruxellois, le constat est plus amer. On dit avoir appris la volonté de réforme au nord du pays… via la presse. «La Flandre veut réformer, mais elle refuse toute concertation. Nous avons proposé un dialogue en profondeur, mais essuyé un refus net. Oui, une réforme est nécessaire sur plusieurs aspects. Mais la mesure flamande relève surtout du populisme: elle affaiblit la sécurité routière sans aucune coordination avec les autres Régions. C’est extrêmement frustrant.»

Enfin, le cadre de la législation européenne impose l’indépendance des organismes de contrôles et des inspecteurs. François Desquesnes prévient: «Toute réforme doit respecter cette logique qui doit assurer un niveau de sécurité pour tous les véhicules qui circulent sur nos routes.»

Si la Flandre met le pied au plancher, la concertation, elle, semble rester coincée dans les bouchons.

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