Les cellules de la prison de Bielefeld-Senne sont dotées d’équipements adaptés aux détenus âgés. © JVA BIELEFELD-SENNE

Comment l’Allemagne gère le défi du nombre croissant de seniors dans ses prisons (reportage)

Nathalie Versieux Journaliste, correspondante en Allemagne

La paupérisation grandissante explique le nombre croissant de détenus de plus de 60 ans. Bielefeld-Senne abrite la plus grosse unité d’entre eux en Allemagne. Une prison ouverte.

Difficile de penser à une prison quand on franchit la porte de l’établissement pénitentiaire de Bielefeld-Senne, à 200 kilomètres à l’est de Cologne. La prison de Senne est une ancienne clinique pour les malades des poumons. Entouré d’un immense parc, le bâtiment principal, façade claire, vastes fenêtres et larges balcons, ressemble plus à une maison de retraite qu’à un pénitencier. Dans un coin, quelques jouets pour les visites des familles. Ici, ni barreaux ni parloirs et pas davantage de grilles qui claquent. Le hall vaste et lumineux donne directement sur le parc aux larges allées. L’une d’elles mène vers un petit café et une église.

Dans le hall, trois prisonniers, vêtus d’un tee-shirt rouge, passent la serpillère. Un petit groupe, habillé cette fois de pantalons fonctionnels et de tee-shirts beiges, se dirige vers les ateliers. Ce qui frappe au premier regard est que presque tous les espaces sont ouverts, et que les cheveux gris ou blancs y dominent. Loin du cliché habituel sur les prisons, Senne, la plus grosse unité dédiée aux seniors du pays, est une prison ouverte. Le concept, qui favorise la réinsertion des détenus, serait particulièrement adapté aux plus âgés.

Peines incompressibles

Comme le reste de la population, celle des prisons vieillit en Allemagne. Cinquante mille adultes sont détenus dans le pays, dont 4,5% sont âgés de plus de 60 ans. Depuis 1992, ces derniers ont triplé. La Rhénanie, la région la plus peuplée du pays, compte aujourd’hui quelque 650 détenus de plus de 60 ans, dont 170 ont dépassé les 70 ans. Il n’y en avait aucun en 2000. Phénomène relativement nouveau, on meurt de plus en plus souvent de vieillesse en prison. Au cours des dix dernières années, une petite centaine de détenus sont décédés en cellule, sans tenir compte des suicides, au nombre de huit sur dix ans.

Pourquoi ce vieillissement? La moitié des seniors incarcérés sont devenus criminels sur le tard, souvent en raison de la paupérisation grandissante de cette classe d’âge. Beaucoup, incapables de payer leurs dettes, se sont lancés dans des aventures risquées, des faillites frauduleuses ou se sont livrés à de la fraude fiscale. Le reste purge de longues peines incompressibles comme cet homme qui a tué son épouse à l’âge de 70 ans. Ces seniors ont des besoins spécifiques et placent les autorités face à de nouveaux défis. «Nous avons chez nous des gens souffrant de différentes formes de démence, de dépression. Plusieurs détenus sont atteints d’un cancer, nous avons des prisonniers à mobilité réduite, qui doivent se déplacer à l’aide d’un déambulateur ou d’un fauteuil roulant, détaille Meike Mönikes, la directrice du département senior de la prison de Senne, qui a ouvert en 2012. Ce sont les problèmes médicaux qu’on retrouve dans l’ensemble de la population, mais ici, ils sont souvent aggravés. On sait depuis longtemps que les détenus subissent un processus de vieillissement accéléré, lié aux conditions carcérales, et parfois aggravé par la consommation de drogues, d’alcool ou de tabac. Ils ont besoin de plus de soins et d’encadrement.» Nombre de détenus âgés n’ont plus de famille, ou de contacts à l’extérieur de la prison.

«Je dis souvent qu’ici, je suis redevenu un être humain. Je m’y sens bien.»

Equipements adaptés

Les départements C et D de la prison de Senne occupent deux étages accessibles par un ascenseur et abritent 87 détenus âgés de 60 à 85 ans. Clés en main, Axel Berger, gardien et porte-parole de la prison, fait la visite de l’établissement. Deux ascenseurs mènent vers les étages. Situé au troisième, le département D est un long couloir beige, percé de portes fuchsia et orange. Les prisonniers sont logés à deux par chambre, en plus de quelques chambres individuelles pour les besoins spécifiques. Des mains courantes sont fixées aux murs des couloirs. Les cabines de douche sont équipées de poignées et de tabourets, les toilettes de réhausseurs. Les lits sont également surélevés, et dans les placards, les tringles sont accessibles à l’aide d’une poignée. Tous ces équipements ont été conçus par les ateliers menuiserie et ferronnerie de la maison d’arrêt, où travaillent les prisonniers n’ayant pas atteint l’âge de la retraite ou suffisamment valides et souhaitant conserver une activité. Une cuisine est installée à l’étage. Deux tables, deux plaques de cuisson électriques, quatre réfrigérateurs… Chaque détenu y a son propre compartiment, fermant à clé. «Les repas sont servis dans le réfectoire, mais tous ont la possibilité de cuisiner eux-mêmes s’ils le souhaitent, c’est important dans la perspective de leur sortie», note Axel Berger.

Le détenu affecté à la bibliothèque –5.000 livres et DVD– nous fait visiter sa «cellule», une chambre individuelle spacieuse et lumineuse. Des photos de famille sur une étagère, un téléviseur, quelques placards. La porte-fenêtre donne sur une terrasse desservant toutes les chambres mais dont l’accès est condamné. «J’ai passé des années dans une prison fermée, raconte cet homme de 74 ans, alerte, bien que lent dans les escaliers. Je dis souvent qu’ici, je suis redevenu un être humain. Je m’y sens bien.»

Des mains courantes sont placées tout le long des couloirs des étages réservés aux détenus âgés. © JVA BIELEFELD-SENNE

Davantage de possibilités

Quelle prison pour les détenus âgés? Longtemps, la Rhénanie a misé sur le concept de la mixité des âges. «La région était d’abord réticente, se souvient la directrice de l’établissement, adepte inconditionnelle du traitement spécifique en fonction de l’âge du détenu. Les plus âgés ont la réputation d’apaiser le groupe dans une prison normale. C’est bien possible. A l’époque, les seniors n’étaient pas si nombreux. Mais les statistiques sont claires. On a fini par se rendre compte que c’était important pour cette population d’être séparée des plus jeunes.»

«Le concept permet d’assurer un cadre sanitaire et de santé bien plus adapté, affirme la gérontologue Sandra Verhülsdonk, venue à Senne pour un séminaire consacré au vieillissement carcéral. Et puis, dans une prison normale, il existe un risque de victimisation des plus âgés par les plus jeunes. Eux-mêmes disent qu’ils se sentent plus en sécurité lorsqu’ils sont entourés de personnes de leur âge. D’autre part, le concept de la prison ouverte, comme à Senne, est particulièrement adapté aux seniors. Il leur offre davantage de possibilités. Il permet de conserver les contacts sociaux, c’est très important pour eux. Et c’est mieux, en règle générale, pour tous ceux qui ne sont pas exposés à un fort risque de récidive.» Le concept de prison ouverte est aujourd’hui généralisé dans la région, ainsi qu’à Berlin. Sauf pour les détenus condamnés pour meurtre ou crime sexuel.

Un parc et des bâtiments dédiés à certaines activités entourent la prison de Bielefeld-Senne. © JVA BIELEFELD-SENNE

Soins palliatifs

En début d’après-midi, de petits groupes de détenus se promènent dans le parc, accessible jusqu’au couvre-feu de 19 heures. On y trouve le café tenu par les aumôniers des églises catholique et protestante, la salle de sport et de spectacle, où ont lieu cours de yoga et de gymnastique. L’intendance occupe une troisième petite bâtisse en brique. Un prisonnier en fin de peine est chargé de la gestion des réserves. De larges bacs en plastique contiennent des piles de linge, de dentifrice, de brosses à dents, savon ou papier hygiénique, que le prisonnier, 61 ans, empaquette, à destination du site de Senne ou des autres prisons de la région. «Je suis un taulard de luxe, lance-t-il dans un éclat de rire. Je bénéficie de la liberté maximale qu’on peut avoir en prison. Je peux sortir pratiquement tous les jours, et j’ai aussi des vacances, que je peux passer à la maison. M’échapper? Je crois que tout le monde y pense un jour ou l’autre, qu’on soit en prison fermée ou ouverte. Dans une prison ouverte, ce serait bien sûr très facile de ne pas rentrer à la fin du week-end. Je pourrais vraiment partir là où personne ne me retrouverait. Ma chance, c’est que j’ai une famille intacte, avec deux filles assez jeunes. Et je n’ai jamais envisagé de risquer de perdre tout ça.» Tous les détenus connaissent le «contrat de Senne»: un écart majeur peut ramener à la case de la prison fermée. Des contrôles sont par ailleurs régulièrement menés pour contrôler consommation d’alcool ou de drogues en sortie.

«Dans une prison fermée, vous ne pouvez pas préparer les gens à la liberté, insiste la directrice, Kerstin Höltkemeyer-Schwik. Bien sûr, on y fait beaucoup pour les prisonniers dans les prisons fermées. Mais en vue de la libération, qui finit généralement par arriver; c’est comme apprendre à nager hors de l’eau. Pour les préparer, il faut leur donner petit à petit davantage de liberté, aussi à l’extérieur de la prison. C’est de toute façon bien plus sûr pour la société dans son ensemble.» Tous les personnels de la prison en sont convaincus, le concept de la prison ouverte a fait ses preuves. A Senne, le taux d’échec est stable, entre 0,1% et 0,3% des prisonniers ne rentreraient pas à la fin du week-end, par exemple.

Reste un défi, la fin de vie en prison. Et le développement de soins palliatifs sur place, surtout pour ceux qui, détenus de longue date, préfèreraient finir leurs jours dans le seul environnement qu’ils connaissent.

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