Yves Coppieters © Belga

Yves Coppieters: « Si nous ne luttons pas contre le réchauffement climatique et la perte de la biodiversité, nous n’avons vraiment rien compris à la crise »

Celine Bouckaert
Celine Bouckaert Journaliste au Vif

Pour Yves Coppieters, professeur en épidémiologie à l’ULB, la question de l’environnement est capitale pour la prévention de pandémies. « Malheureusement, j’ai l’impression que cette question est un peu mise de côté pour l’instant », s’inquiète-t-il.

Les chiffres du Covid sont dans le vert et le retour à une vie normale se précise, avec une nouvelle étape dans le déconfinement programmée le 9 juin. Durant une semaine, Le Vif interroge des experts sur leurs espoirs et leurs inquiétudes sur l’évolution de l’épidémie. Dans tous les domaines, de la vaccination à la santé, en passant par les libertés fondamentales.

Yves Coppieters, médecin épidémiologiste, et professeur de santé publique nous parle de l’évolution de la pandémie et du risque d’apparition de nouvelles pandémies.

Selon vous, la pandémie de Covid-19 va-t-elle disparaître, devenir saisonnière ou risque-t-elle de s’aggraver?

Yves Coppieters: C’est impossible à dire. Pour l’avenir, il faut craindre les rebonds contre lesquels nous ne sommes pas à l’abri. L’épidémie va reprendre par moments, en fonction de différents facteurs que sont bien sûr les changements saisonniers, mais aussi l’effet de variants plus contagieux. Il ne faut pas craindre ces facteurs, mais il faut les anticiper.

Comment anticiper ces facteurs?

En s’assurant que la vaccination reste efficace par rapport à toutes les souches qui circulent. Il faut également maintenir absolument toutes les autres stratégies que sont le testing, l’isolement, et à certains moments, les gestes barrière. Il ne faut donc pas relâcher les mesures sanitaires trop rapidement. Avec les deux premières vagues, on a vu qu’on avait mal anticipé, et donc je pense qu’il faut maintenant entrer dans une stratégie d’anticipation de rebond à moyen terme. Pour cela, il faut que les stratégies et les structures sanitaires actuelles restent en place.

Cette pandémie en annonce-t-elle d’autres, liées aux menaces sur l’environnement et à la perte de biodiversité? Nous savons par exemple que l’élevage intensif favorise les zoonoses (la transmission d’un agent pathogène d’un animal à l’humain).

Il n’a pas fallu le Covid-19 pour se rendre compte de ces menaces. Depuis trente ans, nous avons connu une vingtaine de maladies infectieuses émergentes qui reprennent en intensité. Nous savons très bien qu’elles sont liées à différents éléments, dont l’environnement. Et il s’agit de l’environnement au sens large, pas seulement l’environnement climatique, mais l’environnement social, culturel, économique, etc. Toutes ces conditions sont favorables à l’émergence de nouvelles maladies infectieuses.

Pour le Covid-19, il est important de vraiment connaître son origine. Malheureusement, il y a toujours un débat sur son origine naturelle ou artificielle: on ignore s’il vient d’un laboratoire à Wuhan. Il faut mener jusqu’au bout l’enquête de l’origine du virus, car si c’est un virus d’origine naturelle, il y a ces facteurs de globalisation qui favorisent l’émergence. En revanche, si c’est un virus sorti de laboratoire, les facteurs sont différents. Là, c’est plutôt un problème de sécurité et de manipulation.

Cependant, même si le virus à l’origine du Covid-19 vient d’un laboratoire, il ne doit pas cacher la question de la globalisation et de la mondialisation. Si l’épidémie d’Ebola a flambé en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, c’est dû à la globalisation. Si le chikungunya a fait tant de dégâts il y a quelques années, c’est aussi dû à la globalisation. Si la dengue, une maladie tropicale, évolue en Europe du Sud, c’est dû au réchauffement climatique. Ces facteurs sont très importants par rapport à beaucoup de maladies actuelles. Et malheureusement, j’ai l’impression que la question de l’environnement est un peu mise de côté pour l’instant.

C’est cette globalisation qui vous inquiète le plus pour l’avenir?

Non, ce qui m’inquiète le plus, c’est de ne pas anticiper, car si nous reprenons une vie normale sans combattre le réchauffement climatique, et sans lutter pour le maintien de la biodiversité, c’est que nous n’avons rien compris et rien appris de la crise. C’est un enjeu capital. Il faut agir sur les problématiques transversales et majeures. Je parle aussi de la pauvreté, des inégalités à travers le monde, et de l’immigration. Tous ces facteurs contribuent à l’émergence de maladies, et à des problèmes sociaux et plus politiques.

Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir? Percevez-vous une évolution positive par rapport au Covid-19?

Oui, on sent un basculement positif. Aujourd’hui, on arrive à maintenir dans le temps un contrôle sur l’épidémie. Depuis un an, nous sommes débordés tous les deux, trois mois. C’est comme si nos outils n’étaient pas assez efficaces. Mais depuis que la vaccination a été ajoutée à tous les outils (les gestes barrière, le suivi de contacts, le testing) nous sentons que l’ensemble commence à être efficace. Premièrement, pour contrôler l’épidémie, et même deuxièmement pour la diminuer fortement. Je pense qu’on pourrait ajouter encore d’autres outils à l’arsenal. Ainsi, la recherche sur les traitements préventifs joue un rôle très important qui pourrait presque nous protéger de l’épidémie, combiné à l’ensemble des outils à disposition. Cependant, il faudra du temps pour atteindre l’immunité collective et pour que le virus circule moins. Je suis néanmoins persuadé que le temps fera bien les choses.

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