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Parkinson : « Je croyais que c’était juste pour les vieux qui tremblent »

Le Vif

Pour la journée mondiale de Parkinson, un bénévole de l’association France Parkinson raconte sa maladie et son combat. Témoignage.

Tout commence par une banale « crampe de l’écrivain » au bras droit, et une consultation chez le neurologue – nous sommes en 1987. A la demande du médecin, Bernard exécute quelques mouvements, marche, lève les bras, fait « les marionnettes ». Immédiatement, le couperet tombe: c’est Parkinson. « Ça ne m’a fait ni chaud, ni froid. Je ne savais pas ce que c’était. Je croyais que c’était juste pour les vieux qui tremblent ». Bernard a 36 ans et ne tremble pas.

Cet ancien autoentrepreneur à l’allure fière et aux yeux rieurs n’est pas du genre à se laisser abattre. Son bras droit ne répond plus? Qu’à cela ne tienne! Il apprendra à écrire du gauche. A l’époque, il vient de monter sa boîte spécialisée dans la pose d’appareils de climatisation. Il a « autre chose à penser ». Il pêche, plonge, skie, marche. Il est le père de trois enfants. Le médicament que lui a prescrit sa neurologue, le Modopar, agit comme « un miracle ». Sa vie file à toute vitesse. Jusqu’à ce que son corps décide de la ralentir.

« Lune de miel »

Au cours des premières années, les symptômes restent limités – cette phase initiale porte le nom romantique de « lune de miel ». Pendant une décennie, il s’accommode de ce mariage forcé. Mais la situation s’envenime. De nouveaux troubles fonctionnels apparaissent. « Je n’arrivais plus à retirer mon sac-à-dos tout seul ». Il a de plus en plus de mal à marcher. Il fait la tournée des médecins, des hôpitaux et des cliniques de Paris. Beaujon, Saint-Antoine, Salpêtrière… Il passe progressivement d’un médicament journalier à quarante.

Sa vie professionnelle bascule à ce moment. Son associé, qui détient la moitié des parts de l’entreprise, manoeuvre pour racheter celles de Bernard. « Il voulait profiter de ma maladie pour tout reprendre… ». C’était sans compter la ténacité de l’homme. Parkinson ou pas, il ne se laisse pas faire. Il hypothèque sa maison, reprend la boîte à son compte. Mais l’aventure entrepreneuriale se termine mal. « Entre le départ de l’associé, des soucis avec l’Urssaf… J’ai dû mettre la clé sous la porte ». En 2003, il vend la société pour un euro symbolique.

Rétrospectivement, il souligne l’impact qu’ont eu ces événements sur l’évolution de sa maladie. « Le stress et l’environnement jouent un rôle énorme », affirme-t-il en tapotant sa canne posée devant lui. Son récit pudique, la légèreté de son ton peinent à dissimuler la violence et la dureté de son combat. « J’ai toujours voulu être indépendant, libre. Beaucoup s’isolent en apprenant qu’ils ont Parkinson, arrêtent de conduire par peur d’un accident… » Cet optimiste aux cheveux poivre et sel estime faire partie des « heureux »: sa femme, chef de clinique, l’a toujours supporté. « Le plus dur, c’est quand le conjoint s’en va. Il y a eu des hauts et des bas. Mais elle est là. »

Neurostimulation


Lorsqu’il décide de se faire opérer par neurostimulation en 2003, Bernard a 51 ans et ne peut plus marcher – un calvaire pour ce fou de randonnée. Il fait partie d’un protocole, dont l’objectif est de prouver à la Sécurité sociale que les patients peuvent retravailler après avoir été opérés. Grâce à cet essai, son opération est prise en charge à 100%. Une aubaine étant donnée sa situation financière. Pendant quatorze heures trente, les chirurgiens lui implantent des électrodes dans le cerveau, installent sous sa peau un boîtier de stimulation. Quinze jours plus tard, miracle. Il marche à nouveau. Même joie pour les autres parkinsoniens qui faisaient partie du protocole. « Quand l’un d’entre eux s’est réveillé, il ne tremblait plus du tout. Il est parti de l’hôpital faire un jogging ! Tout le monde s’est affolé! » raconte-t-il en riant.

Si l’opération lui a permis de retrouver l’usage de ses jambes, la stimulation cérébrale a déclenché d’autres dysfonctionnements. Il fait souvent des chutes. De temps à autre, son oeil se crispe. Mais il s’adapte. Sur sa canne, il a installé un système de laser pour simuler des obstacles au sol et maintenir son attention en éveil. Ses genoux sont équipés de protections de handball. Chaque semaine, il se rend à deux cours de gym, une séance de kiné, une d’orthophonie. Il parcourt 15 à 20 kilomètres de randonnée autour de Paris, et n’hésite pas à prendre sa voiture. « En revanche, le métro, c’est exclu. La foule m’oppresse. Et si je tombe sur les rails… ». Il veut continuer la plongée sous-marine, lui qui s’est immergé dans les eaux corses et martiniquaises. « Mais personne ne veut me délivrer de certificat ! J’ai fait un ou deux baptêmes. Mais bon… »

Bernard a pu retrouver une activité – « j’étais tellement heureux de retourner travailler ». Il a enseigné quelques temps à la Chambre de commerce de Paris à des élèves de BEP et CAP. Puis s’est porté volontaire pour prodiguer ses leçons d’entreprenariat en prison « J’ai été enfermé tous les jours de 7 heures à midi avec les prisonniers de Meaux! Ils étaient plus sages que mes précédents élèves! ». Il n’a pas fait mystère de sa maladie. Une fois, il est tombé devant eux. « L’un des prisonniers s’est fait engueuler par les autres parce qu’il ne m’a pas retenu ». Il aimait ces moments. Mais pour des raisons budgétaires, il a dû s’arrêter. « On m’a dit que je coûtais trop cher ». Bernard l’hyperactif s’est retrouvé au chômage.
« On nous prend pour des ivrognes »

Au cours de l’entretien, Charles, un autre bénévole de France Parkinson, s’installe sur une chaise. Il a été diagnostiqué en 2006, mais n’a commencé son traitement que l’année dernière. Les deux hommes racontent le déclassement aux yeux de la société, les problèmes de communication. « Les gens ne connaissent pas cette maladie. Ils s’agacent aux caisses quand on met du temps à prendre nos pièces et ranger nos courses. Des fois, ils nous prennent même pour des ivrognes, parce qu’on tombe, qu’on a des difficultés à parler… ». Charles renchérit : « On ne meurt pas de Parkinson. On a toute notre tête, on est conscient. Ce n’est pas comme Alzheimer ».

Le plus important pour les deux hommes, c’est de « ne pas s’éteindre moralement ». « Quand on va aux consultations à la Salpêtrière et qu’on voit des gens en fauteuil… on sait que c’est ce qui nous attend. C’est dur. » Leur engagement au sein de France Parkinson est une manière d’apporter leur « pierre à l’édifice ». D’insuffler leur énergie et leur optimisme aux nouveaux arrivants. Ils veulent que le plan national d’action porte enfin ses fruits, que les Parkinsoniens soient reconnus, mieux traités, mieux guéris. Qu’on injecte des fonds. Et en attendant… « On veut vivre, encore ».

Marion Guérin

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