Starlink © Belga

Les trains de satellites d’Elon Musk agacent les astronomes

Erik Raspoet Journaliste Knack

Les trains de satellites du constructeur automobile et aventurier de l’espace Elon Musk sont une catastrophe pour l’astronomie optique, estime l’astronome Christoffel Waelkens de la KU Leuven.

Et voilà encore cet imbécile, a pensé l’astronome Christopher Waelkens (KU Leuven) en voyant passer dans le firmament nocturne l’un des trains satellites d’Elon Musk. La dernière fois, c’était peu après le 22 avril, lorsque la compagnie SpaceX a lancé le sixième convoi de sa constellation Starlink. Pas moins de 60 mini satellites ont ainsi rejoint les 360 déployés l’année dernière à une altitude de 550 kilomètres en orbite basse autour de la terre. Selon les prévisions, ce nombre passera à 1500 d’ici mai 2021. Starlink pourra alors commencer à fournir des services internet à haut débit partout dans le monde. Cependant, il faudra beaucoup plus de satellites pour fonctionner à pleine puissance. SpaceX a reçu une licence pour 12 000 satellites de l’organisme américain de régulation des télécommunications.

Manifestement, il y a de l’argent à gagner sur l’orbite basse de la terre. Jeff Bezos, patron de l’Amazone et passionné d’espace, travaille sur le projet Kuiper, une constellation de 3700 satellites. Il y a encore plus de candidats, et pas seulement pour des raisons commerciales. La technologie qui se cache derrière Starlink est très utile à des fins militaires, comme la guerre avec les drones. Ce n’est pas une coïncidence si le Pentagone est prioritaire auprès de Starlink. Il ne fait guère de doute que la Chine et la Russie développeront également leurs propres essaims de satellites dès que possible.

Depuis le lancement de Spoutnik en 1967, 9600 satellites ont déjà été envoyés dans l’espace. Les astronomes sont donc habitués à une certaine nuisance des satellites, mais avec l’arrivée de nouvelles constellations de plus en plus grandes, la nuisance atteint un autre niveau. Début mars, l’Observatoire austral européen (ESO) a présenté un rapport sur ce problème.

À première vue, les dégâts causés à l’astronomie optique ne sont pas si graves. Le Very Large Telescope de l’ESO au Chili est à peine touché. Il en va de même pour le bien plus grand Extremely Large Telescope que l’ESO construit dans le même pays, un oeil cosmique équipé d’une lentille de 39 mètres de diamètre. Les deux télescopes géants sont conçus pour observer l’univers en profondeur de manière très précise.

Selon les prévisions, l’essaim de satellites en pleine croissance va gâcher entre 0,5 et 1 % du temps d’observation, tant au crépuscule que peu après le coucher et peu avant le lever du soleil.

Les conséquences sont beaucoup plus lourdes pour les télescopes à grand champ, qui surveillent en permanence de grandes zones du ciel. Ces objectifs exceptionnellement lumineux travaillent avec des vitesses d’obturation très longues, ce qui les rend extrêmement sensibles aux objets qui se déplacent dans leur plan d’image. Selon le rapport de l’ESO, 5 à 7 % des prises de vue risquent d’être gâchées.

La plus grande victime serait de loin l’observatoire Vera Rubin, que les Américains construisent en hauteur dans les Andes chiliennes. Le Large Synoptic Survey Telescope, la crème de la crème en astronomie optique, serait touché pendant 30 à 50 % de son temps d’observation.

À quel point est-ce grave pour l’astronomie ?

Christopher Waelkens : Le télescope de recherche à grand champ est la discipline la plus jeune et la plus passionnante de l’astronomie optique. Il y a vingt ans, le premier spécimen a été construit, le Sloan Digital Sky Survey en Arizona. Grâce à cet objectif, les astronomes pouvaient garder un oeil permanent sur des zones allant jusqu’à 1/20e du ciel. En prenant des photos à intervalles réguliers, ils ne ratent pas un seul événement, qu’il s’agisse d’une supernova, d’une explosion de rayons gamma ou de l’apparition d’astéroïdes.

En plus d’être larges, ces télescopes, avec leur énorme luminosité, peuvent aussi regarder très profondément. Le télescope Sloan nous a déjà beaucoup appris : sur l’expansion cosmique, mais aussi sur les objets inconnus.

Le rapport de l’ESO est particulièrement pessimiste pour le grand télescope d’étude synoptique de l’Observatoire Vera Rubin. Pourquoi est-ce si important ?

Avec Vera Rubin, l’astronomie d’observation pose un nouveau jalon, celui de la surveillance permanente de tout le ciel au-dessus du Chili par un télescope. Une perspective fantastique.

Grâce aux satellites, nous avons pu observer en permanence la terre entière depuis l’espace. Il s’agira désormais d’un trafic bidirectionnel, avec le LSST nous pourrons bientôt observer l’ensemble de l’espace en continu depuis la Terre. Nous ne pourrions jamais avoir une image complète de l’univers avec ses milliards de galaxies, pensaient les sceptiques. Mais si vous pouvez suivre des millions de galaxies en même temps, vous en serez bientôt à un milliard. Et juste au moment où s’ouvre cette perspective, un bandit se met en tête de tout gâcher avec son cirque de lumière. Presque toutes les images du télescope Vera Rubin risquent d’être polluées par des bandes de lumière provenant de ces mini-satellites.

Vous semblez en colère.

Pour nous apaiser, Elon Musk a promis de peindre ses satellites en noir. C’est un beau geste, mais c’est un emplâtre sur une jambe de bois. Même s’ils reflètent moins, ils restent présents, mais nous le réaliserons moins. Imaginez un objet dans le ciel qui s’assombrit soudainement. Comment savoir si c’est un satellite ou autre chose ? C’est impossible.

La prochaine génération de satellites Starlink serait même équipée de parasols pour arrêter les reflets gênants. Musk a déclaré qu’en aucun cas Starlink ne devait se faire au détriment de l’astronomie, qui lui est chère. Vous ne le croyez pas ?

Je veux croire qu’il le pense, même si j’ai l’impression qu’il est obsédé par sa place dans les livres d’histoire. Musk ne se rend pas compte de l’importance des enjeux pour la science avec des projets comme le télescope Vera Rubin.

L’internet rapide est un besoin fondamental pour des milliards de personnes. Peut-on reprocher à Musk de répondre à ce besoin? Avec Starlink, il espère d’ailleurs récolter des fonds pour ses projets pour Mars.

Je ne suis pas fan de ces plans pour Mars. Un jour, nous devrons y aller, c’est la dernière frontière de l’humanité. Mais s’il vous plaît, n’en faisons pas une deuxième course vers la lune comme s’y prend Musk.

Écoutez, les astronomes sont un petit club, mais nous cherchons des réponses à des questions fondamentales qui concernent tout le monde. Quelle est notre place dans le cosmos : c’est ce que tout le monde se demande, n’est-ce pas ?

Et l’internet rapide, un droit fondamental ? Tout être humain a également droit à un ciel étoilé sombre sans satellites clignotants.

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