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Les larmes, la botte secrète des femmes ?

Eva Kestemont
Eva Kestemont Journaliste Knack Weekend

Que ce soit en politique, lors d’une annonce émouvante ou bien lors d’une dispute à la maison, l’idée reste la même : les femmes qui pleurent ont un objectif derrière la tête. D’où vient cette conception que les femmes utilisent leurs émotions pour arriver à leurs fins ?

Les politiciens en larmes créent souvent la polémique. Les réactions qui s’en suivent peuvent être divisées en trois groupes. Le premier félicite le politicien en question pour avoir montré sa vulnérabilité, le deuxième comprend les émotions mais se demande s’il est taillé pour la politique et le troisième soupçonne qu’une certaine stratégie se cache derrière ses pleurs.

Lorsque le politicien est une politicienne, les avis du troisième groupe se font fortement ressentir. Les réactions face à la démission de Joke Schauvliege ou aux larmes de Hillary Clinton font réfléchir à la situation. Le monde de la politique n’est pas le seul endroit où les larmes sont perçues comme un chantage émotionnel ou de la manipulation. Même dans le monde du travail ou dans la sphère privée, beaucoup de gens croient que les femmes utilisent leurs d’émotions comme une stratégie.

Mais est-ce la vérité ? Est-ce les femmes peuvent consciemment se mettre à pleurer pour obtenir quelque chose ? Qu’est-ce que des lèvres tremblantes peuvent vraiment réussir à faire ?

L’homme est rationnel, la femme est émotive

Experte en Sexisme, Liestbeth Kennes est familière avec cette image de manipulatrice émotionnelle. « Ce stéréotype sort directement du mythe sexiste classique : l’homme est l’espèce rationnelle tandis que la femme est l’espèce émotionnelle. Le soi-disant mouvement Men’s right voit ses origines dans l’Antiquité : les hommes considéraient que leur survie dépendait de leur force physique. S’ils étaient assez forts, ils pouvaient chasser des animaux et vaincre leurs adversaires. Contrairement aux hommes, les femmes ne possédaient pas cette force et selon l’histoire, elles auraient dû développer leur côté émotif pour améliorer leurs chances de survie. Une telle théorie ne me parait pas très probable mais l’image de la femme manipulatrice vit encore aujourd’hui. »

Cependant, la situation est actuellement assez étrange. En 2019, nous savons tous que les émotions ne s’attribuent pas à un genre particulier. Montrer ses émotions est d’ailleurs mieux accepté qu’auparavant. A l’époque, rester stoïque était la norme. Aujourd’hui, « même » les hommes peuvent montrer leur côté vulnérable sans être pointés du doigt. Pourtant, ce n’est pas ce qui vous pourriez croire en observant notre société à distance : Si vous voyez des larmes couler à la télévision ou au cinéma, ce sont généralement des larmes de femmes.

Cette représentation est cruciale : pvous voyez qu’une chose est acceptée, plus vous aurez tendance à faire la même chose. Selon le psychologue Ad Vingerhoets, expert dans le domaine, ce raisonnement fait partie des facteurs qui expliquent pourquoi les femmes pleurent plus souvent. Malgré une évolution, on enseigne toujours aux hommes et aux garçons à ravaler leurs larmes et leurs émotions.

D’après son enquête, il semble donc que les femmes pleurent manifestement plus que les hommes. Mais pourquoi associons-nous ce comportement au chantage ? Une partie de l’explication se cache peut-être dans le fait que les femmes ressentent plutôt du chagrin pendant les situations de crise (contrairement aux hommes qui ressentent plutôt de la colère). Si une femme confronte par exemple son mari au sujet de la répartition des tâches inégales dans leur foyer, la situation pourrait se résoudre par une promesse de l’homme de faire plus de choses. Si la conversation se passe normalement, rien ne sera perçu comme du chantage. Imaginons maintenant qu’elle explique qu’elle n’a plus de temps pour elle, puis qu’elle se met à pleurer et qu’elle sèche ses larmes après qu’une solution ait été trouvée. Les raisons et l’impact de ses larmes pourraient porter à confusion.

Peut-on expliquer ce phénomène par le fait que les hommes pleurent moins souvent ? Sont-ils décontenancés par les femmes en pleurs ? Céder au chantage et faire des promesses est-il un moyen pour calmer les larmes ? Est-ce de là que vient cette idée de chantage ?

Question de relation

Pour répondre à cette question, il faut d’abord analyser comment nous agissons face à quelqu’un en pleurs. Selon Vingerhoets, notre réaction dépend fortement de notre relation avec la personne en question. « Si vous ressentez déjà de la sympathie pour quelqu’un, vous la verrez encore plus comme une personne sincère et humaine, après l’avoir vue éclater en sanglots. » Mais la réaction inverse existe aussi : Si vous appréciez moins une personne, vous interpréterez plus facilement ses larmes comme un besoin d’attention ou une tactique. Que ce soit par compassion ou par irritation, il semble impensable que la personne qui ne pleure pas s’impose pour tenter d’atténuer les larmes de l’autre personne. Tout dépend de comment vous percevez la personne.

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De plus, la hiérarchie n’a pas d’importance. Que vous soyez le CEO d’une entreprise ou bien un simple employer en bas de l’échelle dans une situation difficile, la situation reste la même : notre réaction ne dépendra pas de la fonction mais plutôt de notre relation avec l’individu. Néanmoins, Liesbeth Kennes a remarqué que le domaine de la politique était régi par d’autres règles. « Pour nous, les politiciens doivent rester rationnels. Si l’un d’entre eux commence à pleurer, la situation devient plus difficile à interpréte

Nous apprécions particulièrement associer la masculinité à la « raison ». Bien que les femmes soient de plus en plus présentes dans le domaine de la politique, le secteur reste dominé par les hommes.

« Dans ce domaine, les femmes sont soumises à d’autres critères de jugement » explique Kennes. « Les politiciennes, au même titre que les chefs d’entreprises et chirurgiennes, devront redoubler leurs efforts pour éviter de se faire écarter. Nous ne devons pas sous-estimer ce phénomène Le seuil de tolérance pour une femme est plus bas que celui des hommes.

D’un point de vue émotionnel, les différences se ressentent fortement. « Les hommes ne pleurent pas souvent et lorsqu’ils le font, leurs larmes sont plus souvent perçues comme authentiques. » Si un ministre vient à pleurer pendant l’une de ses annonces, les spectateurs remettront beaucoup moins en question ses intentions. »

Tactique de choc ?

Maintenant que l’on sait dans quelles mesures les larmes sont perçues, nous pouvons nous demander si elles coulent parfois vraiment avec préméditation. Selon Vingerhoets, ce ne serait pas étonnant parce que les larmes ont un rôle social primordial : « pleurer permet de créer un lien, de rapprocher les gens. Nous considérons les personnes qui pleurent comme des personnes pacifiques. Nous les trouvons plus amicales et plus fiables. »

Si vous gardez cela à l’esprit, vous pouvez concevoir que pleurer n’est pas une mauvaise chose, surtout pas pour un politicien à la télévision nationale. Cependant, Vingerhoets n’est pas certain que pleurer s’opère dans un but particulier.

Mais si un politicien essaye d’amadouer son public en mentionnant, par exemple, son animal décédé pendant un discours, les choses pourraient se retourner contre lui.

Selon les premiers résultats d’une nouvelle enquête, il ressort que truquer ses émotions peut s’avérer être un jeu dangereux. « Les individus ne distinguent pas les faux-pleurs des pleurs authentiques. » explique Vingerhoets. « Mais, et c’est important, leur perception de l’individu en question changera énormément s’ils ont l’impression que ce sont ne sont pas des larmes authentiques. Si les sujets d’expériences constatent que ce sont des larmes de crocodiles, les personnes en pleurs descendent fortement dans leur estime.

Il s’agit donc d’une tactique avec une garantie de succès assez incertaine. Supposons cependant que les femmes soient une espèce capable de déclencher leurs larmes par opportunisme : est-ce tout de même un moyen efficace pour elles ? « Tout dépend vraiment des circonstances et du contexte » indique Vingerhoets.

Le stéréotype va bien plus loin qu’une simple stratégie consciente. Il semble que les femmes pleurent pour obtenir quelque chose. Cette idée traduit clairement un sexisme quotidien profondément ancré. Je trouve cela vraiment dommage conclut Kennes. « L’émotivité est actuellement toujours soumise à de soi-disant valeurs masculines de rationalité. Pourtant, montrer ses émotions ne devrait pas être vu d’un mauvais oeil ou être associé à un genre particulier.

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